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La Princesse de Clèves ou l’art d’être « bien fait »

> 30 juillet 2017

La Princesse de Clèves ou l’art d’être « bien fait » La Princesse de Clèves vit dans un milieu où tout n’est qu’« ordre et beauté ». Etre « bien fait » ou même « le mieux fait » de sa personne semble constituer un pré-requis indispensable pour celui ou celle qui doit être amené(e) à côtoyer la belle princesse. A l’étroit entre un mari auquel elle a juré fidélité et un amour de cœur auquel elle ne compte pas succomber, elle va se battre contre les moulins à vent de son orgueil, de sa piété, de sa vertu... La raison finira malgré tout par l’emporter sur la passion, le souvenir sur le présent bien réel. Ayant révélé, par scrupule, les sentiments qui l’animent, à son mari et indirectement à celui qui rêve d’être son amant, la Princesse va commettre une faute qui l’entraîne dans une spirale infernale. Le duc de Nemours résume à merveille la situation : « Tout ce que je puis vous apprendre, Madame, c’est que j’ai souhaité ardemment que vous n’eussiez pas avoué à M. de Clèves ce que vous me cachiez et que vous lui eussiez caché ce que vous m’eussiez laissé voir » !

La Princesse de Clèves a la chance inouïe de vivre dans un monde harmonieux où rien ne vient chagriner l’œil.

Elle-même est décrite de manière très flatteuse. Melle de Chartres (c’est son nom de jeune fille) est « d’une grande beauté ». Elle répond aux critères de beauté de son temps en ce qui concerne la qualité de son teint. Sensible aux coups de soleil, la belle s’en protège le plus possible et ce avec succès. « La blancheur de son teint et ses cheveux blonds lui donnaient un éclat que l’on n’a jamais vu qu’à elle. » « Tous ses traits sont réguliers. » On n’en saura pas plus d’un point de vue de ses caractéristiques physiques. Mais on sait, qu’en plus, elle possède beaucoup de charme et affiche un « air modeste » qui lui sied parfaitement.

Le duc de Nemours est, quant à lui, « un chef d’œuvre de la nature, ce qu’il avait de moins admirable, c’était d’être l’homme du monde le mieux fait et le plus beau. » « Son agrément » concerne « son esprit, son visage, ses actions ». Il est exceptionnellement adroit. Il possède « une manière de s’habiller qui était toujours suivie de tout le monde, sans pouvoir être imitée. »

La beauté, pour Mme de La Fayette et pour son petit cercle d’amis qui n’a pas manqué de mettre la main à la pâte de ce roman de salon, si elle tient, pour beaucoup, de la nature, nécessite, toutefois, quelques efforts afin d’être exaltée. Lors des fiançailles du duc de Lorraine et de Claude de France, un bal est donné. La Princesse de Clèves et le duc de Nemours font assaut de soin pour se présenter sous leur meilleur jour. « Elle passa tout le jour des fiançailles chez elle à se parer [...] ». « Le soin qu’il avait pris à se parer augmentait encore l’air brillant qui était dans sa personne. » Le résultat est un coup de foudre en direct, « sous un murmure de louanges. » Si beauté rime, souvent avec apprêt, elle rime toujours avec négligé lorsque la nature s’est montrée ultra-généreuse. Lorsque le duc de Nemours surprend la Princesse dans son boudoir à Coulommiers, elle n’a pas passé des heures à se pomponner devant le miroir. « Il faisait chaud, et elle n’avait rien, sur sa tête et sur sa gorge, que ses cheveux confusément rattachés. »

Beauté et jeunesse marchent main dans la main dans ce récit. Mme de Valentinois, mieux connue sous le nom de Diane de Poitiers, est admirable de beauté. Cette nouvelle n’est pas un scoop. Les chroniqueurs du temps nous l’ont dit et redit. Nous n’obtiendrons aucun détail sur celle qui est présentée ici comme la maîtresse de deux rois, le père et le fils. Le roi François Ier n’étant pas un modèle de vertu, il papillonne de maîtresse en maîtresse. Après avoir été conquis par Diane, il tombe amoureux de Melle de Pisseleu (future duchesse d’Etampes). Celle-ci se rit de l’âge « avancé » de l’ancienne favorite. Melle de Pisseleu se vante d’être « née le jour que Diane de Poitiers avait été mariée ». Cette tactique de dénigrement a été mise au point car la demoiselle se sent en position délicate. « [...] inférieure en naissance, en esprit et en beauté [...] » elle n’a « que l’avantage de sa grande jeunesse. » Alors que le roi se plaint de la grande mollesse de son fils, le dauphin (futur Henri II), Mme de Valentinois trouve un moyen de rendre son esprit plus vif : elle devient sa maîtresse...

Les fêtes données à l’occasion des mariages princiers sont l’occasion de faire étalage de magnificence. « [...] Le duc d’Albe, qui n’était jamais vêtu que fort simplement, mit un habit de drap d’or mêlé de couleur de feu, de jaune et de noir, tout couvert de pierreries [...] ». Les princesses et les dames de leur suite arborent les couleurs de leur maison ce qui créent pour l’œil des tableaux constitués de taches colorées. « Les reines et les princesses avaient toutes leurs filles magnifiquement habillées des mêmes couleurs qu’elles étaient vêtues. » Lorsqu’un tournoi est organisé, les participants combattent pour leur belle. Là encore, il existe un code couleur. A l’habit du combattant, on reconnaît la belle pour laquelle il se bat. Le duc de Guise est ainsi en « drap d’or frisé », le roi est en « blanc et noir », en signe du veuvage de Mme de Valentinois, M. de Ferrare est en jaune et rouge, M. de Nemours en jaune et noir. Le choix de la couleur jaune n’a pas été laissé au hasard. Couleur préférée de Mme de Clèves qui ne s’habille pourtant jamais de cette couleur, le duc de Nemours parle secrètement au cœur de sa favorite, sans pour autant alerter l’ensemble de la cour. Cette couleur est aussi joyeuse que le duc de Nemours lorsqu’il pense pouvoir encore occuper un jour une place de choix dans le cœur de la Princesse. « Madame de Clèves se souvint d’avoir dit devant lui qu’elle aimait le jaune, et qu’elle était fâchée d’être blonde, parce qu’elle n’en pouvait mettre ».

Si au fil des siècles, des philosophes, des médecins, des écrivains, des poètes se sont attachés à proposer mille définitions de la beauté, Mme de La Fayette prend bien garde de brider notre imagination. La Princesse de Clèves n’est finalement décrite que très sommairement, de même que tous les personnages célèbres qui se pressent autour d’elle, dans l’ouvrage ; chacun donnera les traits qui lui plaisent le mieux aux héros et seconds rôles de cette histoire.

Un immense merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, qui nous livre ici sa vision de la création littéraire de Madame de La Fayette !

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