Nos regards
La PPD, des liaisons heureuses ou dangereuses ?

> 16 janvier 2023

La PPD, des liaisons heureuses ou dangereuses ?

La PPD : postpartum depression ?1 Non, ce n’est pas de cela dont il sera question aujourd’hui. La PPD pour p-phénylène-diamine, un colorant d’oxydation, tristement célèbre, qui défraie la chronique régulièrement du fait de son caractère allergisant ?2 Oui, c’est bien de cela dont on souhaite parler aujourd’hui. Cette molécule, qui doit réagir avec une autre afin de donner naissance à un colorant, possède une personnalité complexe. On peut l’associer à du résorcinol (c’est possible) pour un usage capillaire. On peut la retrouver associée à du henné, pour la réalisation de tatouage censé être temporaire (en cas de réaction le temporaire a tendance à évoluer vers le définitif) - cela c’est clairement interdit ! Des associations, des liaisons plus ou moins heureuses, plus ou moins dangereuses. On fait le point !

Les teintures permanentes, petit rappel indispensable

Ces teintures permettent de changer la couleur des cheveux (en particulier, cette technique est utilisée pour masquer efficacement les cheveux blancs). Cette coloration est dite permanente, car elle dure dans le temps. En effet, une fois le colorant piégé dans la fibre pilaire, il n’en ressort plus. En revanche, et comme le cheveu pousse de manière continue, on pourra voir des racines blanches devenir de plus en plus visibles au fil du temps.

On rappellera que le cheveu est composé de trois couches concentriques, qui sont de l’extérieur vers l’intérieur, la cuticule, le cortex, la moelle. Les cellules de la cuticule sont fréquemment appelées « écailles ». Dans le cas de la coloration permanente, on cherche à piéger le colorant au niveau du cortex ; pour ce faire, il faut franchir la cuticule (on a l’habitude de dire que l’on va ouvrir les écailles protectrices un peu comme on entrebâille une porte), grâce à un agent alcalin (de l’ammoniaque, par exemple). Une fois cette étape réalisée, il convient de refermer les écailles (le fameux : fermez la porte SVP), afin que le colorant ne puisse plus ressortir. Cette étape nécessite l’utilisation d’un produit à pH acide.

On parle du colorant… mais en réalité ce colorant va se former au moment de l’emploi (extemporanément, donc) lors du mélange des préparations composées de différents ingrédients. Pour obtenir le colorant qui nous intéresse, il va falloir associer entre eux deux ingrédients : une base et un coupleur. Les deux substances en réagissant entre elles vont donner naissance au colorant voulu/attendu/prévu ! Les professionnels (des coloristes) sont, bien sûr, formés pour concocter les mélanges qui vous permettront d’avoir la couleur de cheveux rêvée !

D’un point de vue chimique, la base est une diamine aromatique ou un amino-phénol avec des groupements en para. Le coupleur est une diamine aromatique ou un amino-phénol avec des groupements en méta.

Cas de la PPD (la p-phénylène-diamine), la base la plus célèbre

Cette PPD ou p-phénylène-diamine est un colorant de synthèse qui a vu le jour, en 1863, grâce au chimiste August Wilhelm von Hofmann.3 Dès 1895, Spitzer et Röhmann mettent en évidence la réaction colorée qui se produit lorsque l’on place l’alpha-naphtol et la PPD en milieu oxydant.3 Les prémices de la coloration d’oxydation, en somme !

En ce qui concerne son utilisation, on constate des utilisations rationnelles (en tant que colorant capillaire) et des utilisations irrationnelles (en tant que colorant de tatouage cutané).

Il s’agit, en effet, d’un colorant fréquemment mélangé au henné, en Afrique, au Moyen-Orient ou en Inde, afin de réaliser des tatouages au niveau de la paume des mains.4 Dans certains pays, comme en Turquie, certains vendeurs de produits présentés comme étant naturels, font commerce d’ une « pierre au henné », censée contenir du henné noir, provenant, selon leurs dires, d’une roche particulière. Il n’en est rien comme le prouvent les dosages effectués, cette pierre renfermant, selon les échantillons, entre 85 et 90 % de PPD5 ce qui, vous l’admettrez, fait tout de même beaucoup pour un produit présenté comme 100 % naturel ! On trouve également le cas dans la littérature scientifique d’une femme de 63 ans ayant acheté et consommé de la « pierre noire », pour se protéger de la COVID. Cette pierre, renfermant 99 % de PPD, avait conduit la malheureuse à l’hôpital après ingestion d’une cuillère à soupe de cette préparation mélangée à du miel. Une insuffisance rénale aiguë et une rhabdomyolyse ont été la conséquence de sa trop grande crédulité en ces réseaux sociaux qui véhiculent conseils et avis farfelus.6

En Europe, cette matière première est réglementée et ne peut absolument pas être utilisée pour un usage cutané. Ce colorant figure, en effet, à l’Annexe III du Règlement (CE) N°1223/2009, à l’entrée n°8. Une dose limite est indiquée : « Après mélange en conditions d’oxydation, la teneur maximale appliquée sur les cheveux ne doit pas dépasser 3 % calculés en base libre », ainsi que des précautions d’emploi (ne pas avoir un cuir chevelu « sensible, irrité ou abîmé ») et un âge minimum requis (« Ce produit n’est pas destiné à être employé chez les personnes de moins de 16 ans »).7 Ceci n’empêche pas certaines personnes de réaliser des tatouages temporaires, en mélangeant du henné avec de la PPD, d’où un certain nombre de réactions d’intolérance.8 La réalisation de ce type de tatouages peut s’avérer criminelle, comme en témoigne le cas de cette petite fille de 9 ans ayant succombé à la suite de la réalisation de ce genre de pratique.9

On sait également que ce colorant capillaire est utilisé en Afrique et en Asie dans le cadre d’autolyse. On comptait par exemple une centaine de cas sur une période de 1 an pour le service des urgences du Sheikh Zayed Hospital de la ville de Rahim Yar Khan, au Pakistan.10

Il s’agit d’un ingrédient cosmétique considéré comme un agent sensibilisant fort. Selon les sources, on trouve des chiffres de prévalence variables. Une étude polonaise de 2021 fait état d’une prévalence de 4,1 % (taille de l’échantillon : 4087 patients).11 On considère de manière générale que la prévalence médiane est plus forte en Amérique du Nord (6,2 %), qu’en Europe (4 %) ou en Asie (4,3 %).12

La dermatite allergique est associée à une réduction de la fonction barrière de la peau dans la mesure où la PPD est capable d’engendrer une réduction de la production des protéines cutanées (les claudines) responsables de la cohésion des cellules cutanées.13 Le SCCS insiste sur le caractère allergisant préoccupant de cet ingrédient.14

Cas du résorcinol, le coupleur, la liaison « heureuse » ?

Considéré comme un colorant capillaire sûr d’emploi à la concentration maximum de 1,25 %, dans les colorations capillaires et pour les cils et à la concentration de 0,5 % dans les lotions capillaires et les shampooings, le résorcinol fait l’objet d’une nouvelle évaluation concernant un effet perturbateur endocrinien,reconnu par l’ECHA (Agence Chimique Européenne).15

Une étude danoise, publiée en 2013, montre que le résorcinol est moins allergisant que la PPD (sur un échantillon de 2939 patients, 4,5 % étaient allergiques à la PPD, 2,8 % à la toluène-2,5-diamine, 1,8 % au p-aminophénol, 1 % au m-aminophénol et 0,1 % au résorcinol).16 Le SCCS le considère effectivement comme un sensibilisant « modéré ».17

La réaction base + coupleur donne naissance à un complexe coloré ; il reste, toutefois, une part plus ou moins importante (selon le protocole suivi) de base ou de coupleur « non consommé ».18 C’est cet aspect qui est le plus gênant !

La PPD, en bref

Une molécule dont on a du mal à se passer lorsque l’on souhaite obtenir des teintes foncées.

Un risque allergique certain, un risque carcinogène avec un point d’interrogation chez l’utilisateur (une étude américaine publiée en 2020 a mis en évidence un lien entre emploi de teintures capillaires et cancer du sein),19 probable chez le professionnel.20,21 Il est important de rappeler que les diamines aromatiques peuvent être retrouvées dans les urines des personnes ayant réalisé elle-même leur teinture et chez les coiffeurs (la concentration est 200 fois plus élevée chez particulier qui ne prend vraisemblablement pas de précaution par rapport aux coiffeurs qui sont habitués à porter des gants lors de la réalisation des teintures sur leurs clientes).22

Restent des recherches à effectuer afin de diminuer le potentiel sensibilisant de cette molécule entre autres. C’est ce que font à l’heure actuelle certains chercheurs en quête de teintures efficaces et totalement inoffensives.23

Avec la PPD, c’est certain, on est plongé jusqu’au cou dans un roman à la Choderlos de Laclos. Il y a, en effet, une molécule qui se mélange à d’autres molécules pour donner naissance à des colorants variés (en toute légalité). C’est aussi une molécule qui est mélangée - de manière illégale - au henné, afin de foncer la teinte obtenue… Cet actif, très sociable, établit donc de nombreuses liaisons avec des comparses variés… pour le meilleur (mais est-ce vraiment le meilleur ?) et surtout pour le pire !

Bibliographie

1 Falana SD, Carrington JM. Postpartum Depression: Are You Listening? Nurs Clin North Am. 2019 Dec;54(4):561-567

2 Sudhir Nayak UK. Hair dye dermatitis and para-phenylenediamine contact sensitivity. Indian Dermatol Online J. 2015 Jul-Aug;6(4):246-7

3 Menten ML. A Study of the Oxidase Reaction with alpha-Naphthol and Paraphenylenediamine. J Med Res. 1919 Sep;40(3):433-458.3

4 Chaudhary SC, Sawlani KK, Singh K. Paraphenylenediamine poisoning. Niger J Clin Pract. 2013 Apr-Jun;16(2):258-9

5 Özkaya E, Yazganoglu KD, Arda A, Topkarci Z, Erçag E. The "henna stone" myth. Indian J Dermatol Venereol Leprol. 2013 Mar-Apr;79(2):254-6

6 Houzé P, Djebrani Oussedik N, Raimbourg Q, Vodovar D, Poupon J, Labat L. Importance des réseaux sociaux dans l’origine des intoxications : à propos d’un cas d’empoisonnement par la paraphénylènediamine. Ann Biol Clin (Paris). 2022 Mar 1;80(2):175-181

7 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:02009R1223-20220731&from=EN

8 Martín JM, Revert A, Alonso V, García L, Molina I, Pereda C, Jordá E. Eczema de contacto agudo a parafenilendiamina contenida en tatuajes transitorios con henna [Acute contact eczema from paraphenylenediamine contained in temporary henna tattoos]. Actas Dermosifiliogr. 2005 Jul-Aug;96(6):382-5

9 Şık G, Çıtak A. Fatal paraphenylenediamine poisoning due to black henna. Turk J Pediatr. 2016;58(3):301-304

10 Asghar S, Mahbub S, Asghar S, Shahid S. Paraphenylenediamine (Hair Dye) Poisoning: A Prospective Study on the Clinical Outcome and Side Effects Profile. Cureus. 2022 Sep 13;14(9):e29133

11 Bacharewicz-Szczerbicka J, Reduta T, Pawłoś A, Flisiak I. Paraphenylenediamine and related chemicals as allergens responsible for allergic contact dermatitis. Arch Med Sci. 2019 Jul 18;17(3):714-723

12 Mukkanna KS, Stone NM, Ingram JR. Para-phenylenediamine allergy: current perspectives on diagnosis and management. J Asthma Allergy. 2017 Jan 18;10:9-15

13 Meisser SS, Altunbulakli C, Bandier J, Opstrup MS, Castro-Giner F, Akdis M, Bonefeld CM, Johansen JD, Akdis CA. Skin barrier damage after exposure to paraphenylenediamine. J Allergy Clin Immunol. 2020 Feb;145(2):619-631.e2

14 https://ec.europa.eu/health/scientific_committees/consumer_safety/docs/sccs_o_094.pdf

15 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/le-resorcinol-un-ingredient-cosmetique-dont-on-se-passerait-bien-2118/

16 Søsted H, Rustemeyer T, Gonçalo M, Bruze M, Goossens A, Giménez-Arnau AM, Le Coz CJ, White IR, Diepgen TL, Andersen KE, Agner T, Maibach H, Menné T, Johansen JD. Contact allergy to common ingredients in hair dyes. Contact Dermatitis. 2013 Jul;69(1):32-9

17 https://health.ec.europa.eu/system/files/2022-08/sccs_o_241.pdf

18 Rastogi SC, Søsted H, Johansen JD, Menné T, Bossi R. Unconsumed precursors and couplers after formation of oxidative hair dyes. Contact Dermatitis. 2006 Aug;55(2):95-100

19 Eberle CE, Sandler DP, Taylor KW, White AJ. Hair dye and chemical straightener use and breast cancer risk in a large US population of black and white women. Int J Cancer. 2020 Jul 15;147(2):383-391

20 Zhang Y, Birmann BM, Han J, Giovannucci EL, Speizer FE, Stampfer MJ, Rosner BA, Schernhammer ES. Personal use of permanent hair dyes and cancer risk and mortality in US women: prospective cohort study. BMJ. 2020 Sep 2;370:m2942

21 Bolt HM, Golka K. The debate on carcinogenicity of permanent hair dyes: new insights. Crit Rev Toxicol. 2007;37(6):521-36

22 Gube M, Heinrich K, Dewes P, Brand P, Kraus T, Schettgen T. Internal exposure of hairdressers to permanent hair dyes: a biomonitoring study using urinary aromatic diamines as biomarkers of exposure. Int Arch Occup Environ Health. 2011 Mar;84(3):287-92

23 Venkatesan G, Dancik Y, Sinha A, Kyaw HM, Srinivas R, Dawson TL Jr, Bigliardi M, Bigliardi P, Pastorin G. Development of novel alternative hair dyes to hazardous para-phenylenediamine. J Hazard Mater. 2021 Jan 15;402:123712

 

Retour aux regards