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La petite musique d’Amélie Nothomb qui nous parle d’une fille qui s’laisse aller !

> 28 novembre 2021

La petite musique d’Amélie Nothomb qui nous parle d’une fille qui s’laisse aller !

Le roman d’Amélie Nothomb intitulé Antéchrista a des relents d’Apocalypse.1 Une fin du monde qui prélude à une renaissance... A l’Université de Bruxelles, se rencontrent Blanche et Christa, deux jeunes filles âgées de 16 ans. Blanche - la discrète, la grise, celle que l’on ne remarque pas, celle qui se tient sur le bord - est séduite par Christa - la volubile, la rayonnante, celle que l’on ne peut ignorer, celle qui est au centre de toutes les conversations, de tous les groupes. Blanche habite à deux pas de l’Université, Christa à Perpète-lès-Oies, très précisément à Malmedy (lire Mal me dit pour une meilleure compréhension de ce qui nous attend), ce qui l’oblige à se lever à des heures indues pour arriver à être à l’heure à la faculté des Sciences politiques. Pourquoi ne pas s’installer chez Blanche ? L’affaire est rondement menée par une jeune fille qui a tout compris en matière de manipulation mentale. Les parents de Blanche, mis dans sa poche, Christa règne désormais en maître dans une famille qui l’a adoptée avec joie.

Une peau blanche pour la dénommée Blanche

La pudique Blanche ne s’expose pas au soleil. Une vraie « endive », qui préfère brûler Sous le soleil de Satan, plutôt que d’exposer son épiderme aux regards indiscrets et aux furieux ultra-violets à effet bronzant. Allongée sur son lit, Blanche dévore les livres de la bibliothèque avec avidité, le nombre de séances, contrairement à celles pratiquées en solarium, n’étant pas réglementé et, par là-même, totalement illimité. Blanche, c’est une « chose chétive », qui souffre d’un corps en pleine mutation. Une jeune fille qui souhaiterait se draper dans une cape d’invisibilité, permettant de gommer, comme par magie, des formes naissantes. Une jeune fille qui se regarde le moins souvent possible dans le miroir et qui ne consent à aller dans la salle de bain que pour les « raids indispensables » à une hygiène minimaliste. Une jeune fille toute douceur qui apprécie les hortensias, ces « sympathiques bonnets de bain des jardins ».

Une peau triomphante pour la dénommée Christa

Christa, c’est d’abord un « corps triomphant », « un corps magnifique » ! Une fille qui ne trouve son plaisir que dans la souffrance des autres. Un épiderme qui préfère de loin respirer la détresse d’autrui, par tous « les pores de sa peau », plutôt que de boucher ces mêmes pores à l’aide d’anti-transpirants 24 ou 48 heures. Christa a besoin que tous ses orifices sudoraux soient intacts pour bénéficier du malaise qu’elle provoque chez ses victimes. Cette fille superbe, qui a conquis les parents de Blanche, Michelle et François (deux enseignants, visiblement complètement obtus à la détresse de leur fille) est capable de se transformer à volonté. Morceau de charbon ou diamant à facettes taillées à la perfection ! Morceau de charbon vis-à-vis de Blanche qui joue le rôle de souffre-douleur. Un regard « vide », des lèvres « pincées », des traits « lourds » pour le tout-venant. Regard brillant, sourire séduisant, teint irradiant (ce teint que l’on obtient entre autres avec des fonds de teint illuminateurs, renfermant des particules de mica susceptibles de renvoyer la lumière dans toutes les directions)... un diamant d’une grande pureté. Telle la « vieille épouse qui, en présence de son mari, ne se gêne plus pour se promener en bigoudis, infecte robe de chambre et air renfrogné, et qui garde pour autrui les boucles charmantes, les tenues flatteuses et les mines de chatte », Christa offre deux visages/deux attitudes, selon le public en présence. La salle de bain est à elle. Une fois dans la place, impossible de l’en déloger. « Elle est dans la salle de bain, elle en a pour longtemps ». Christa aime s’observer dans la glace, tester de nouveaux cosmétiques, analyser leur impact sur sa peau, les transformations qui en découlent. Une jeune fille, pleine de morgue, dont la fleur préférée est le « désespoir-du-peintre » ! Le désespoir tout court, tout simplement.

Un fiancé de rêve pour la dénommée Christa

Bien évidemment, le fiancé de Christa, un certain Detlev, est, nous dit-elle, un beau gosse « grand, blond », avec « quelque chose de David Bowie ». Beau oui comme Bowie ? C’est vite dit. Rendez-vous dans le bar où travaille cet éphèbe pour vérifier que Christa ne nous ment pas.

Un parfum de vin chaud pour des parents déboussolés

Dans la famille Hast, Michelle et François semblent sous emprise. Christa les a séduits et les mène à la baguette. Tant pis pour Blanche, qui n’est plus que la cinquième roue d’un carrosse qui est loin d’être celui de Cendrillon. Un Noël sans Christa... on parle, bien évidemment… de Christa et l’on se dit, elle est sûrement en train de boire du vin chaud. Du coup, on en prépare une bonne dose et on savoure, « les yeux fermés », le parfum délectable « de cannelle, de clou de girofle, de zestes et de muscade ». Le parfum de Christa !

Antéchrista, en bref

Blanche Hast est devenue la possession de Christa Bildung. Tant que Christa continuera à poser son regard sur Blanche, celle-ci sera moche, c’est sûr. Il suffirait, pourtant, de peu de choses pour que le papillon sorte de sa chrysalide ; il suffirait que Christa se prenne les pieds dans le tapis de ses mensonges pour que Blanche puisse, enfin, s’épanouir. Cette jeune fille, née un 13 août (tiens, tiens !), est loin d’être bête, comme en témoignent ses excellentes notes en philosophie. Dans un roman, en noir et blanc, Amélie Nothomb nous entraîne au plus sombre de la nature humaine, nous faisant boire, de temps en temps, une gorgée de champagne, histoire de nous requinquer, et nous mettant parfois entre les oreilles les notes suaves des Beatles, « Michelle, ma belle... Sont des mots qui vont très bien ensemble », afin de nous réconforter un peu entre deux passages ténébreux. Une vraie douche écossaise !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son Antéchrita...znavour !

Bibliographie

1 Nothomb A., Antéchrista, Albin Michel, 2003, 150 pages

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