> 03 octobre 2022
La nitrocellulose ou plutôt le collodion (une solution de nitrocellulose dans des solvants organiques) constitue un excipient très en vogue au XIXe et au XXe siècle, pour la formulation de nombreuses préparations pharmaceutiques, destinées à adhérer à la peau. Une bibliographie fournie témoigne de son utilisation dans le domaine thérapeutique et ce jusque dans les années 1990. Au début des années 1950, sous couvert de mettre au point une crème barrière protectrice vis-à-vis des allergènes, l’armée américaine pense sérieusement à une association de silicone et de collodion souple présentée dans une émulsion évanescente (les fameuses émulsions sur base savon mises au point au début du XXe siècle) pour contrer les effets d’armes chimiques. Les volontaires qui testent au niveau de leurs dos les effets comparés sur peau nue et sur peau traitée à l’aide de solutions diluées de summac vénéneux s’en souviennent encore et ce d’autant plus qu’ils ont été sélectionnés pour leur capacité à réagir « bien comme il faut » ! Un petit tour dans le domaine automobile où le collodion fait briller les carrosseries et des cosmétologues avertis se piquent de faire briller les ongles de leurs compagnes de manière similaire. Les premiers vernis à ongles d’application facile et de bonne tenue voit le jour pour le grand bonheur des utilisatrices qui se laissent séduire par des laques plus sanguinolentes les unes que les autres. Un siècle après ces débuts prometteurs, la nitrocellulose, le collodion sont toujours bien présents dans les formules de vernis à ongles. Que faut-il penser de cette formidable longévité ? Réponse en un regard !
A l’origine, un scientifique touche à tout, Henri Braconnot, né au pays de la madeleine (Commercy), s’intéressant tout particulièrement aux produits de nitration de la cellulose. En faisant réagir de l’acide nitrique sur du coton, Braconnot obtient un composé qu’il nomme xyloïdine qui, dissout dans l’acide acétique, permet d’obtenir un mucilage qui en séchant forme une pellicule comparable à du verre. En traitant une toile par ce procédé, Braconnot permet de lui conférer un caractère d’imperméabilité très appréciable. Si Braconnot avait utilisé un mélange sulfo-nitrique, il aurait mis au point la pyroxyline ou pyroxyle (mot datant de 1869) également connue sous le nom de fulmicoton ou coton-poudre.1
Pour y voir clair, il faut donc, tout d’abord, évoquer le fulmicoton (mot datant de 1865, mot valise composé en associant un bout de « fulminant » (ou détonant) au mot entier « coton » également appelé Pyroxylinum par les latinistes2 ou coton-poudre, « un explosif obtenu en traitant du coton cardé par un mélange d’acides nitrique et sulfurique ».3 A manipuler avec d’infinies précautions !
Il faut, ensuite, parler du collodion (terme créé en 1848) obtenu en dissolvant le fulmicoton dans un mélange éther-alcool.1 C’est à Maynard, « de Boston », que l’on doit cette brillante association.4
A l’inventaire européen, le fulmicoton est désigné sous le nom de « nitrocellulose » (c’est le nom INCI reconnu) et est présenté comme un agent « filmogène ».5 Selon le dictionnaire international des ingrédients cosmétiques, la nitrocellulose (CAS No. 9004-70-0) est définie comme étant le dérivé cellulosique répondant généralement à la formule C12H16N4O18 (ce qui équivaut à une moyenne de 2 groupements nitrate par unité de sucre).6
Le collodion, quant à lui, est une « solution de pyroxyline (principalement de la nitrocellulose) qui contient environ 6 % de pyroxyline, 24 % d'éthanol et 70 % d'éther à caractère « filmogène et liant ».7 Le collodion souple (flexible collodion en nomenclature INCI), enfin, est un collodion auquel est incorporé du camphre et de l’huile de ricin et qui constitue un « agent filmogène ».8
Dans les vieux formulaires traitant de pharmacie, le terme « collodion » est plus large, puisqu’il fait référence au fulmicoton placé dans différents solvants comme le mélange d’alcool et d’éther, mais aussi d’alcool méthylique et d’acétate d’amyle ou d’acétone.9
Le collodion « tout court » ou bien souple ou bien flexible (flexible et souple et même parfois élastique) a constitué pendant longtemps un excipient utilisé dans le domaine médical (on le retrouve encore d’ailleurs de nos jours comme véhicule pour des préparations verrucides10 comme dans le bon vieux temps).11 A ce sujet, René Cerbelaud consacre un chapitre entier de son Formulaire des principales spécialités de parfumerie et de pharmacie aux « Coricides et collodions » commercialisés, alors, sous des noms aussi baroques que « occicors, tucors, rongicors, destrucors, dynamite »... A la base du collodion élastique ou riciné auquel on associe des principes actifs comme l’acide salicylique, l’acide acétique, l’acide lactique et on ajoute, pour l’effet visuel, un colorant vert obtenu le plus souvent à partir d’un extrait de chanvre indien.12 Tiens, tiens… il est donc déjà à la mode celui-là !
Tour à tour, ingrédient permettant la mise au point de pansements flexibles peu coûteux destinés à protéger la peau après la pause d’un cathéter (ceci donne de bons résultats en matière de prévention de la septicémie),13 véhicule pour principe actif antiseptique telle que la créosote (ratio de 15 parties de créosote pour 10 de collodion),14 excipient-actif très efficace en matière de prise en charge de l’orchite (avec un mécanisme d’action en 2 temps correspondant tout d’abord à un effet apaisant lié à la volatilisation de l’éther et à un effet de compression des tissus lors du séchage),15 de l’érysipèle (le collodion permet de séparer la zone atteinte de la zone saine et agit par mécanisme de compression),16 le collodion peut également faire des miracles dans certaines pathologies ophtalmologiques inflammatoires (effets astringent et de compression combinés)17 ou en dentisterie.18, 19 Le collodion, du milieu du XIXe au XXIe siècle, traverse les ans presque sans prendre une ride avec des applications diverses et variées dont la plupart sont désormais, malgré tout, totalement obsolètes. On aurait pu ajouter à cet inventaire les préparations à base de collodion et d’huile de cade (formule de Gaucher entre autres composée d’une partie d’huile cade pour 2 parties de collodion à l’acétone) destinées à traiter le psoriasis.20 Formule raffinée dans les années 1960 en incorporant de l'acétonide de triamcinolone21 à hauteur de 0,5 % et étendue ensuite à d’autres dermatoses autres que le psoriasis comme la dermatite atopique, le lichen simplex chronique, le lupus érythémateux discoïde, le lichen plan, l'eczéma nummulaire et ce en particulier pour traiter des zones de peau difficiles à atteindre (oreilles, coudes...).22
Dans les années 1950, l’armée américaine se penche sur le collodion, afin de mettre au point des crèmes protectrices vis-à-vis des allergènes pour le sujet souffrant d’eczéma ; les volontaires se voient ainsi badigeonner sur le dos différentes dilutions d’allergènes connus (oléorésine de toxicondendron ou poison Ivy) en étant protégés ou non par la crème barrière testée. La crème en question (Covicone),23 mélange de silicone (diméthylpolysiloxane), de nitrocellulose et d’huile de ricin dans une crème sur base savon, s’avérait particulièrement protectrice, permettant de prévenir les réactions cutanées dans une fourchette de dilution allant de 1/10 000 à 1/10.24
En outre, il faut noter que le collodion permet de réaliser des sacs à caractère semi-perméable,25, 26 susceptibles d’être insérés dans l’organisme des animaux, afin de réaliser différentes expériences et, entre autres, constituer des éléments utiles en ce qui concerne les balbutiements des techniques de dialyse.27-29
Après cette pluie d’applications thérapeutiques, on resserre la vis dans le domaine cosmétique et on fait un détour chez le carrossier qui, le premier, fut utilisateur d’une laque cellulosique afin d’obtenir un vernis rutilant de tout premier ordre.30 On l’aura compris, l’histoire des vernis à ongles tels que nous les connaissons actuellement, ne date que du début du XXe siècle, donc inutile d’aller farfouiller dans les coffrets à cosmétiques de Cléopâtre ou de Néfertiti, on n’y trouvera aucun des marqueurs caractéristiques des produits que nous utilisons aujourd’hui.
Au début du XXe siècle, le vernis moderne est composé de fulmicoton associé à des solvants (« liquides capables de dissoudre les dérivés cellulosiques » ainsi que les résines éventuellement associées), des diluants (des solvants qui doivent être choisis intelligemment afin de permettre un séchage rapide et régulier « sans à coups »), des plastifiants (des ingrédients qui permettent de donner de la souplesse au film déposé sur l’ongle mais également de la brillance et de l’adhérence), et à des colorants. A ce sujet, les teintes les plus plébiscitées sont le rouge et le corail.31
Evidemment, qui dit nouvelles formules cosmétiques dit intolérances et on ne pourra pas s’empêcher de citer la première phrase d’une publication concernant un effet indésirable lié à un cosmétique unguéal. Le canadien Howard, dans une formule lapidaire, taille un costume sur mesure pour cette catégorie de cosmétiques qui fait « l’orgueil des femmes, le profit des cosmétologues et la consternation des dermatologues ».32 Consternation dans la mesure où un vernis est susceptible de cacher une lésion ou bien de générer des effets non souhaités.33 Originalité de cette forme cosmétique, la capacité à générer des « dermatites de contact à distance », du fait de la propension qu’ont les personnes à toucher certaines zones de peau une fois les ongles faits.34 Toutefois, soyons honnêtes, ces allergies sont rarement dues à la nitrocellulose, mais bien plutôt à d’autres ingrédients présents dans la formule comme des conservateurs antimicrobiens (tels que les célèbres isothiazolinones)35 ou des actifs associés tels des filtres UV (benzophénones, par exemple).36
Petite note positive à mettre au compte de ces vernis à ongles un effet protecteur intéressant dans le cadre de la mise en place de chimiothérapie présentant une toxicité unguéale.37
Non, sûrement pas. La nitrocellulose utilisée dans les formules de vernis à ongles est un ester nitré, obtenu par la réaction d'un mélange d'acides nitrique et sulfurique avec un alcool (c'est-à-dire, un des groupes hydroxyle sur la cellulose). La cellulose obtenue à partir du coton, du bois6 ou de tout autre matériel végétal est, en revanche, bien évidemment, naturelle, ce qui amène certains abus de langage dans le cas de sociétés pratiquant le greenwashing à outrance.
Un ingrédient sûr d’emploi selon le CIR (Cosmetic ingrédient Review)6 et selon les millions d’utilisatrices qui ont ou ont eu recours à ses services tout au long de son existence.
Un ingrédient difficile à détrôner, du fait de ses qualités indéniables en matière de formation d’un film élastique à la surface de l’ongle. Cet ingrédient qui fait exploser les couleurs sur les ongles est l’ingrédient bonne humeur par excellence. Comment rester de glace devant les résultats obtenus ?
1 Labrude P., Becq C., Le pharmacien et chimiste Henri Braconnot, Revue d’histoire de la pharmacie, 2003, 337, 61 – 78
2 Formulaire Astier, Vade-mecum de médecine pratique, Paris, Vigot, 1942, 1306 pages
3 Bourrinet P., La mésaventure de l’appariteur de l’école de pharmacie pendant la révolution de 1848, Revue d’histoire de la pharmacie, 1998, 317, 95
4 Dorvault F., L’Officine, Vigot, 23e édition, Paris, 1995, 2089 pages
5 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=35506
6 https://online.personalcarecouncil.org/ctfa-static/online/lists/cir-pdfs/PRS631.pdf
7 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=99996
8 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=76308
9 Gilbert A. & Yvon P., Formulaire pratique de thérapeutique et de pharmacologie, Paris, Doin, 1905, 827 pages
10 https://www.vidal.fr/medicaments/gammes/duofilm-3088.html
11 de Groot AC, Nater JP. Contact allergy to dithranol. Contact Dermatitis. 1981 Jan;7(1):5-8
12 Cerbelaud R., Formulaire des principales spécialités de parfumerie et de pharmacie, Paris, 1912, 1177 pages
13 Babycos CR, Barrocas A, Mancuso J, Turner-Marse T. Collodion as a safe, cost-effective dressing for central venous catheters. South Med J. 1990 Nov;83(11):1286-8
14 Creosote Collodion. Dent Regist. 1862 Jul;16(7):319
15 Treatment of Orchitis by Collodion. Edinb Med Surg J. 1854 Oct 1;81(201):792-793
16 The Efficacy and Mode of Employing Collodion in Erysipelas. Edinb Med J. 1873 Feb;18(8):759-760
17 Solomon JV. Note on a Disease of the Eyelid of Asthenic Erysipelatous Type: Occurring in Young Female Children; and on Collodion as an External Application. Br Med J. 1862 Dec 20;2(103):642
18 Cantharidal Collodion. Dent Regist. 1867 Dec;21(12):526
19 Antiseptic Collodion. Dent Regist. 1887 Jun;41(6):308
20 Gilbert A. & Yvon P., Formulaire pratique de thérapeutique et de pharmacologie, Paris, Doin, 1905, 827 pages
21 CULLEN SI. PSORIASIS TREATED WITH TRIAMCINOLONE ACETONIDE IN FLEXIBLE COLLODION. Arch Dermatol. 1964 Mar;89:387-90
22 Brock W, Cullen SI. Triamcinolone acetonide in flexible collodion for dermatologic therapy. Arch Dermatol. 1967 Aug;96(2):193-4
23 https://americanhistory.si.edu/collections/search/object/nmah_834833
24 Smith CC, Day TL, Zimmerman EH. Studies of a nitrocellulose silicone cream as a skin protectant against eczematogenous contact allergens. J Invest Dermatol. 1953 Aug;21(2):111-20
25 Harris AH. A Collodion Sac for Use in Animal Experimentation. J Bacteriol. 1939 Sep;38(3):321-33
26 Harris AH. Experiments with Collodion Sacs on Inhibition of Bacterial Growth in Vitro. J Bacteriol. 1943 Feb;45(2):147-54
27 Frost WD. Collodion Sacs. Public Health Pap Rep. 1902;28:536-40
28 Gates FL. PREPARATION OF COLLODION SACS FOR USE IN BACTERIOLOGY. J Exp Med. 1921 Jan 1;33(1):25-43
29 Brown W. Preliminary Note on the Preparation of Collodion Dialysers of Graded Permeability. Biochem J. 1915 Sep;9(3):320
30 Draelos ZD. Nail Cosmetics and Adornment. Dermatol Clin. 2021 Apr;39(2):351-359
31 Cerbelaud R., Formulaire de parfumerie, Tome II, Paris, 1933, 764 pages
32 Donsky HJ. Onycholysis due to nail hardener. Can Med Assoc J. 1967 May 20;96(20):1375-6
33 Draelos ZD. Nail cosmetic issues. Dermatol Clin. 2000 Oct;18(4):675-83
34 Baran R. Nail cosmetics: allergies and irritations. Am J Clin Dermatol. 2002;3(8):547-55
35 Kullberg SA, Gupta R, Warshaw EM. Methylisothiazolinone in children's nail polish. Pediatr Dermatol. 2020 Jul;37(4):745-747
36 Boehncke WH, Schmitt M, Zollner TM, Hensel O. Nagellack-Allergie. Eine wichtige Differentialdiagnose bei Kontaktdermatitis [Nail polish allergy. An important differential diagnosis in contact dermatitis]. Dtsch Med Wochenschr. 1997 Jul 4;122(27):849-52
37 Couteau C, Paparis E, Coiffard L. Evaluation of Different Colorless Nail Polishes Used as Supportive Care in Patients with Cancer in Terms of Photoprotective Efficacy and Water Resistance. J Clin Aesthet Dermatol. 2018 Nov;11(11):20-24
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