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La myrrhe, bien plus qu’un ingrédient cosmétique

> 20 avril 2019

La myrrhe, bien plus qu’un ingrédient cosmétique

Evoquer la myrrhe, c’est se placer au beau milieu d’un conflit botanique. Le pharmacien François Dorvault nous rappelle ainsi, dans la bible du pharmacien, que cette gomme–résine « découle d’un arbre rabougri qui croît sur les frontières de l’Arabie et de la Nubie nommé Balsamodendron myrrha », selon certains auteurs et qu’elle est obtenue, pour d’autres, à partir de Commiphora abyssinica.1 Le Codex de 1949 tranche en faveur de Commiphera abyssinica (famille des Burséracées). Le Formulaire médical de Gilbert et Yvon nous propose une formule de gargarisme à base de teinture de myrrhe (gomme–résine du Balsamodendron opobalsanum).2 Chacun y va de son grain de sel et la tête nous en tourne un peu. Ce qui est certain, c’est que la myrrhe est utilisée depuis fort longtemps à différentes fins. Les Egyptiens, 2800 ans avant notre ère, y ont recours pour un usage thérapeutique, pour un usage religieux et lors du processus d’embaumement.3 La technique d’embaumement la plus coûteuse commence par une extraction du cerveau par les narines à l’aide d’un crochet ; une incision dans les flancs avec une pierre tranchante permet de créer une voie d’accès aux intestins. Les organes internes éliminés, la cavité abdominale est comblée avec du vin de palme, de la myrrhe et différents aromates. Il ne reste plus qu’à laisser macérer le corps 70 jours dans le natron, puis à l’envelopper dans de fines bandelettes de lin collées à l’aide de gomme.4 Le caractère antiseptique de la myrrhe est bien connu ; son effet parfumant également.

La myrrhe, un principe actif médicamenteux

Pour le médecin du XIXe siècle, la myrrhe est une gomme–résine aux propriétés excitantes, toniques et emménagogues. Elle peut être utilisée pour formuler des pilules antiasthmatiques, anti-catarrhales ou antichlorotiques.2 Dans le Codex 1949, on lit que la myrrhe se présente sous formes de « morceaux arrondis ou irréguliers, tantôt en masses de la grosseur d’une noisette à celle d’un œuf, formées de lames agglutinées ». Cette gomme–résine d’odeur douce et caractéristique pourra être retrouvée dans des préparations comme l’alcoolat de Fioravanti, celui de Garrus, l’emplâtre mercuriel ou les pilules de cynoglosse opiacée (pilules composées d’extrait d’opium, de semences de jusquiame, de racine de cynoglosse, de myrrhe, d’encens, de safran, de castoréum, de miel et d’eau). L’alcoolat de Fioravanti est un alcoolat de térébenthine composé. On y trouve entre autres de la térébenthine de mélèze, du styrax liquide, des baies de laurier, de l’aloès, des clous de girofle et bien d’autres extraits végétaux, le tout ayant macéré pendant 6 jours dans un milieu frais. L’alcoolat de Garrus est un succédané de l’alcoolat de Fioravanti ; il ne comporte que 8 ingrédients contre les 15 nécessaires pour mettre au point l’alcoolat authentique.5,6 En 2019, la myrrhe est un ingrédient discret retrouvé uniquement dans une spécialité médicamenteuse, le contre-coups de l’abbé Perdrigeon. Cette solution hydro-alcoolique pour application cutanée ne renferme que peu d’ingrédients. L’aloès est le principe actif. L’encens et la myrrhe sont incorporés à des fins de parfumage.7 Un certain nombre de travaux mettent en avant des propriétés cicatrisantes, analgésiques, anti-inflammatoires, antioxydantes, cardioprotectrices et anti-ulcéreuses de la myrrhe mais aucune application médicamenteuse n’existe.8

La myrrhe, un ingrédient cosmétique

La myrrhe est un ingrédient de parfumerie bien connue des professionnels de ce secteur qui distinguent la myrrhe d’Arabie (Commiphera myrra), de la myrrhe des Indes (Commiphera crythroca). Selon son origine, la composition chimique de la myrrhe ne sera pas la même. La myrrhe hérabol d’Arabie et la myrrhe bisabol des Indes vendue sous le nom d’opoponax possèdent, l’une comme l’autre, une odeur balsamique et constituent des matières parfumantes utilisées depuis le Moyen Âge.1,9 Hérodote, dès le Ve siècle avant Jésus-Christ, décrit l’Arabie comme le seul pays capable de produire l’encens, la myrrhe, la cannelle, le ladanum… La récolte de ces matières premières n’est pas simple, dans la mesure où l’encens est gardé par des « serpents ailés », la cannelle par des « chauves-souris très agressives » et le cinname transporté au sommet de très grands arbres, par de grands oiseaux. Le ladanum, quant à lui, est prélevé dans la barbe de boucs à odeur repoussante.4 Diodore de Sicile, quelques siècles plus tard, associe le nom d’Arabie avec la notion de parfum. Celui-ci est délicat et arrive à émouvoir les marins qui croisent dans les parages.10 De nos jours, l’inventaire européen connaît parfaitement bien la myrrhe ; celle-ci fait l’objet de différentes monographies. L’huile essentielle obtenue à partir de la gomme–résine est dénommée « Commiphora Myrrha Gum Oil » ou « Commiphera Myrrha Oil ». Elle est considérée comme un ingrédient parfumant ou un agent masquant. La résine « Commiphera Myrrha Resin » et l’extrait de résine « Commiphera Myrrha Resin Extract » peuvent jouer le rôle respectivement de parfum et d’agent conditionneur pour l’ongle ou la peau.11 Les constituants caractéristiques de l’huile essentielle de myrrhe sont les furanosesquiterpènes.12 Cette huile essentielle, à caractère irritant,13 devra être dosée avec la plus grande justesse dans les cosmétiques afin de ne pas provoquer de réactions indésirables. 

La myrrhe, un ingrédient symbolique dans la religion chrétienne

Comme nous l’avons vu précédemment, la myrrhe est un parfum qui est apporté à l’enfant Jésus par les Rois mages venus, en adoration, présenter leurs offrandes. Après la crucifixion, Joseph d'Arimathie se charge de transporter le corps de Jésus dans un tombeau qu’il a fait creuser à son intention. Nicodème apporte, quant à lui, le mélange de myrrhe et d’aloès nécessaire pour embaumer le corps des défunts, selon la tradition juive.14 Cette myrrhe ne sera pas nécessaire, puisque le corps du Christ ne connaîtra pas la corruption. La myrrhe qui entre dans la composition du Saint-Chrême15 est utilisée lors de certaines cérémonies et, en particulier, lors des fêtes de Pâques pour les catéchumènes qui reçoivent le sacrement de baptême.

La myrrhe, en bref

La myrrhe est plus qu’un ingrédient pour le parfumeur Serge Lutens ; c’est également un produit fini.16 Guerlain y associe une part de « clair obscur », dans un parfum plein de mystère.17 Les chrétiens voient dans cet arôme un ingrédient parfumant qui pénètre leur esprit et les marque du sceau de Dieu.

Bibliographie

1 Dorvault F. L’Officine, Vigot, Paris, 1995, 2089 pages.

2 Gilbert & Yvon, Formulaire 17e édition, 1905 Doin, Paris, 828 pages.

3 Ljaljević Grbić M, Unković N, Dimkić I, Janaćković P, Gavrilović M, Stanojević O, Stupar M, Vujisić L, Jelikić A, Stanković S, Vukojević J, Frankincense and myrrh essential oils and burn incense fume against micro-inhabitants of sacral ambients. Wisdom of the ancients?, J Ethnopharmacol., 2018, 12, 219, Pages 1-14.

4 Hérodote d’Halicarnasse, Découverte du monde antique - voyages et relations, Club des libraires de France, Paris, 1957, 305 pages.

5 Codex medicamentarius gallicus, 1949, Paris, 1227 pages.

6 Formulaire Astier, 1942, Paris, 1306 pages.

7 https://www.vidal.fr/Medicament/contre_coups_de_l_abbe_perdrigeon-4445.htm

8 Shalaby MA, Hammouda AA, Analgesic, anti-inflammatory and anti-hyperlipidemic activities of Commiphora molmol extract (Myrrh), J Intercult Ethnopharmacol., 2014, 3, 2, Pages 56-62.

9  Jeancard P. Les parfums, Baillière, 1927, Paris, 387 pages.

10 Tonkal AM, Morsy TA, An update review on Commiphora molmol and related species., J Egypt Soc Parasitol., 2008, 38, 3, 763-796.

11 http://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.results.

12 Marongiu B, Piras A, Porcedda S, Scorciapino A., Chemical composition of the essential oil and supercritical CO2 extract of Commiphora myrrha (Nees) Engl. and of Acorus calamus L., J Agric Food Chem., 2005, 5, 53, 20, Pages 7939-7943.

13 Saeed MA, Sabir AW, Irritant potential of some constituents from oleo-gum-resin of Commiphora myrrha, Fitoterapia., 2004, 75, 1, 81-84.

14 https://saintebible.com/john/19-39.htm

15 Petit L. Composition et consécration du Saint-Chrême, Revues des études byzantines, 1900, 3-3, pages 129 - 142.

16 https://www.sergelutens.com/fr/la-myrrhe.html?gclid=EAIaIQobChMImte0ifzC4QIVFfhRCh1qMg_8EAQYASABEgIO-vD_BwE

17 https://www.guerlain.com/fr/fr-fr/parfums/parfums-mixtes/bois-mysterieux-eau-de-parfum

 

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