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La Grande Mademoiselle ou les coulisses de la cour de Louis XIV

> 02 avril 2017

La Grande Mademoiselle ou les coulisses de la cour de Louis XIV Si la cour de Louis XV a été dénommée la cour parfumée, celle de Louis XIV aurait pu l'être tout autant. Dans ses Mémoires, Anne-Marie-Louise d'Orléans, la Grande Mademoiselle, cousine germaine du roi et intrigante de naissance, montre à quel point les parfums occupent une place importante. Des portraits peu ou pas du tout flatteurs, des maladies curieusement bénéfiques pour la peau... autant d’anecdotes qui nous replongent dans un siècle fascinant.

Des talons pour prendre de la hauteur...

A une époque où l’on était mariée enfant, le port de talons hauts permet de grignoter quelques centimètres bien utiles. Lors des fiançailles de Melle de Brézé avec le duc d’Enghien, « il y eut un bal où Melle de Brézé, qui était fort petite, tomba comme elle dansait une courante, à cause que, pour rehausser sa taille, on lui avait donné des souliers si hauts qu’elle ne pouvait marcher. Il n’y eut point de considération qui empêchât de rire toute la compagnie, sans excepter M. le duc d’Enghien, qui ne consentait à cette affaire qu’à regret et que par la crainte qu’il avait de déplaire à M. son père. »

Du parfum en abondance

Durant la Fronde, la cour se réfugie pour un temps à Saint-Germain. La reine Anne d’Autriche (qui en troublera plus d’un « par sa beauté soulignée par les fards » nous dit René Cerbelaud) et le jeune roi Louis XIV quittent en hâte la capitale, en n'emportant avec eux que le strict minimum. « Le roi et la reine manquaient de tout. » Anne d’Autriche fait venir de Paris des malles remplies de vêtements ; elle n’oublie pas non plus ses cosmétiques. « Parmi les hardes que la reine fit venir, il y avait un coffre de gants d’Espagne. Comme on le visitait, les bourgeois commis pour cette visite, qui n’étaient pas accoutumés à de si fortes senteurs, éternuèrent beaucoup, à ce que rapporta le page que j’avais envoyé [...] ». Ces gants sont confectionnés par la corporation des gantiers-parfumeurs, une corporation qui a le « privilège » de « parfumer les gants et de vendre toute espèce de parfums. On importait alors d’Espagne et d’Italie des peaux parfumées qui servaient pour la fabrication de toutes sortes d’accessoires de mode, gants, bourses, gibecières... » « Ces peaux coûtaient fort cher ». « Leur forte odeur de musc, d’ambre et de civette » en était caractéristique (S. Piesse, Histoire des parfums, Baillière, 1890, 371 pages).

Une vingtaine d’années plus tard, alors qu’elle se recueille dans un couvent, à Beaune, sur le tombeau d’une carmélite, sœur Marguerite du Saint-Sacrement, morte en odeur de sainteté, la Grande Mademoiselle sentit « une odeur extraordinairement bonne » qu’elle a du mal à définir car elle « ne ressemblait à aucune de celles que j’ai jamais senties, moi qui les ai fort aimées et qui en ai eu de toutes sortes. »

Le parfum accompagne la cour dans toutes les circonstances de la vie. Alors que la reine Marie-Thérèse vient de mourir, son beau-frère, peu attristé, s’amuse au frais de sa cousine. « Monsieur me conta la mort de cette reine et, en badinant, il tira une boîte de ces senteurs d’Allemagne et me dit : Sentez, je l’ai tenue deux heures sous le nez de la reine, comme elle se mourait. Je ne voulus pas sentir. » Cette senteur d’Allemagne est probablement l’ancêtre de l’eau de Cologne, dénommée ainsi en l’honneur de sa ville d’origine. C’est un produit alors tout nouveau qui provient de la «distillation d’eau alcoolisée contenant de la mélisse, du romarin et de l’iris ; on ajoutait ensuite à l’alcool condensé des essences diverses d’hespéridés et d’un peu d’essence de lavande. » On lui reconnaîtra de nombreuses propriétés thérapeutiques et ce pendant plusieurs siècles ; on comprend mieux pourquoi ce remède fut expérimenté pour ramener la reine à la vie (Voir Regard « L’eau de Cologne d’ici et d’ailleurs »).

Une beauté qui doit quelque chose à la petite vérole

La petite vérole, une maladie fréquente à cette époque, laisse des marques indélébiles sur la peau dans le meilleur des cas. Beaucoup de gens n’ont pas cette chance et en décèdent. La Grande Mademoiselle nous étonne fort lorsqu’elle considère cette maladie comme bénéfique. « Cette maladie me traita si favorablement que je ne demeurai pas rouge ; devant, j’étais fort couperosée, ce qui surprenait à mon âge et à voir la santé que j’ai. Et cela m’emporta tout : il y a peu de gens qui se voulussent servir de tel remède pour avoir le teint beau. » En effet, le teint de la princesse est vanté.
« [...] je ne manquai pas de trouver beaucoup de gens qui surent me dire assez à propos que ma belle taille, ma bonne mine, ma blancheur et l’éclat de mes cheveux blonds ne me paraient pas moins que toutes richesses qui brillaient sur ma personne. » Plus de peur que de mal, donc.

Un teint gâté par des piqûres d’insectes

Alors que Mademoiselle sort victorieuse de sa petite vérole, sa jeune sœur se débat contre les piqûres d’insectes. « Par malheur, de certaines mouches, que l’on nomme des cousins, avaient mordu ma sœur la nuit ; comme ce qu’elle a de plus beau est le teint, elle l’avait si gâté, et la gorge qu’elle a fort maigre comme ont d’ordinaire les filles de 13 ans, que c’était pitié à voir cela [...] »

Une hygiène de vie irréprochable

Melle de Montpensier prend les eaux à Forges, l’été, pour réparer la « vie sédentaire menée tout l’hiver. » Elle y reforme une véritable petite cour. « La vie de Forges est assez douce, mais bien différente de celle que l’on aime ordinairement. On se lève à 6 heures au plus tard ; on va à la fontaine ; car, pour moi, je n’aime pas prendre les eaux au logis. On se promène en les prenant ; il y a beaucoup de monde ; on parle aux uns, aux autres. » Chaque nouveau curiste expose à la société le mal qui l’amène et chaque jour l’on se réjouit de voir les « progrès que l’on fait » à détruire les différentes maladies.

Une maigreur consternante

Lors du mariage de Monsieur avec Henriette d’Angleterre, le roi Louis XIV dit à son frère : « Mon frère, vous allez épouser tous les os des saints innocents. » La maigreur n’est pas appréciée comme le montre ce second témoignage : la princesse de Modène était une « grande créature qui n’avait rien de beau ni de laid, un air mélancolique, jaune, maigre. » Une fois « engraissée », elle devint belle.

Des cheveux de manants ou bien, au contraire, poudrés à souhait

A la cour, on apporte un soin tout particulier à ses cheveux et à sa barbe. La Grande Mademoiselle nous rapporte deux anecdotes capillaires. La première concerne l’un de ses nombreux soupirants, à savoir Charles II (à 16 - 17 ans, le prince de Galles est « grand pour son âge, la tête belle, les cheveux noirs [...] »). Après l’exécution du roi Charles Ier, le pouvoir est aux mains de Cromwell. Charles II tente de renverser la situation, par la force. Son armée est vaincue à la bataille de Worcester en septembre 1651. La cousine du roi Louis XIV nous explique comment son prétendant a quitté l’Angleterre. C’est la mère de ce dernier qui lui confie : « Vous trouverez mon fils bien ridicule ; car pour se sauver, il a coupé ses cheveux et a un habit fort extraordinaire. » Jugeant par elle-même : « Je le trouvai fort bien fait et de beaucoup meilleure mine qu’il n’était devant son départ, quoiqu’il eût les cheveux courts et beaucoup de barbe, deux choses qui changent l'apparence des gens (voir aussi le Regard "Le rasage, la théorie"). La seconde concerne le grand amour de sa vie, le duc de Lauzun. Alors qu’elle l’aime avec passion, elle garde un œil lucide sur ses attraits. « C’est un petit homme [...]. Les jambes sont belles ; un bon air à tout ce qu’il fait ; peu de cheveux blonds, mais fort mêlés de gris ; mal peignés et souvent gras ; de beaux yeux bleus, mais quasi toujours rouges, un air fin ; une jolie mine. » Ajoutez à cela un « nez pointu, rouge ». Le plus souvent, Lauzun se montre fort négligé ce qui chagrine sa tendre amie. Ce n’est pas faute de lui donner des conseils, de se moquer gentiment de lui... Rien n’y fait. Le cheveu est rare et gras, « ce n’est pas la poudre qui vous les gâte ; car vous n’en mettez guère et, si vous en aviez mis, on ne vous aurait pas reproché que vous auriez tiré votre poudre aux moineaux. » Le duc de Lauzun aurait-il été avare au point d’économiser sur sa toilette ?

En bref : du parfum (beaucoup), des cheveux poudrés (abondamment), des corps charnues (il est utile de se nourrir pour alimenter sa beauté), des litres d’eau de Forges-les-Eaux (pour la santé), tels sont les conseils de beauté de la Grande Mademoiselle.


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