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La graisse bovine, un ingrédient pas vache !

> 09 octobre 2019

La graisse bovine, un ingrédient pas vache !

Des premières crèmes aux stéarates de la fin du XIXe siècle, qui laissent sur la peau un délicat « parfum de bougie »,1 aux savons vendus en pharmacie ou en grande surface du début du XXIe siècle,2,3 le suif est un ingrédient qui continue son chemin dans l’univers des cosmétiques. On le retrouve toujours et c’est une bonne chose dans le domaine de la savonnerie. Sous le nom d’acide stéarique, l’un de ses composants majoritaires, il est retrouvé dans un nombre impressionnant de cosmétiques, allant des crèmes barrière,4 aux crèmes pour les pieds,5 en passant par les produits de maquillage.6

Le suif, un ingrédient « d’odeur nauséeuse »

Le lecteur de François Dorvault devra avoir le cœur bien accroché lorsqu’il s’approchera de la monographie du suif. Cette graisse est, nous dit-on, « d’odeur nauséeuse ». Selon le cas, on distinguera le suif de bœuf (« fourni par les bœufs, les vaches et les veaux ») et le suif de mouton (fourni par les « moutons et les béliers »). Cette graisse récupérée sur la carcasse des animaux est composée de corps gras dont principalement la stéarine (triester de glycérol et d’acide stéarique).7

Le suif, un ingrédient qui doit être purifié

Des étapes de purification sont nécessaires afin de blanchir et de désodoriser le suif, avant toute utilisation.8

Le suif, un ingrédient très écologique

A la « 2ndInternational Conference on Sustainable Materials Processing and Manufacturing », qui s’est tenue du 8 au 10 mars 2019, à Sun City, en Afrique du sud, il a été question d’hygiène et de développement durable. Tlamelo Maotsela, Gwiranai Danha et Edison Muzenda de l’Université de Palapye au Botswana ont profité de l’occasion pour faire une ode au savon. Rappelant que l’origine du savon était liée à une découverte fortuite réalisée par des Romaines nettoyant leur linge dans une eau provenant du mont Sapo, lieu de culte où l’on sacrifiait nombre d’animaux aux divinités, et où flottait, par voie de conséquence, des morceaux de savon miraculeusement formés par réaction entre les cendres des bûchers et les graisses fondues, les auteurs rappellent que parmi les ingrédients de base pouvant permettre de réaliser la réaction de saponification, on compte le suif et les huiles végétales. Les animaux étant exploités pour leur cuir et leur chair, la graisse constitue un sous-produit qu’il est intéressant de valoriser. Du côté des huiles végétales, les auteurs proposent de redonner une seconde vie aux huiles de cuisson utilisées en restauration en leur faisant subir différentes étapes de purification.9 Pour ce qui est de la valorisation du suif, nous adhérons à 100 % ; en ce qui concerne le recyclage des « vieilles » huiles de cuisson chauffées, rechauffées et re-rechauffées… on est déjà nettement moins partantes.

Le suif, un ingrédient qui permet la réalisation d’un savon « moins irritant »

En 1913, dans le journal The Lancet, le procès du savon est réalisé. Le Dr. Frederick Gardiner fait état de l’effet irritant du savon lors de son utilisation pour la toilette quotidienne et ce, en particulier, chez les vieillards et chez les sujets atteints de pathologies cutanées. Il établit une classification de l’effet irritant en fonction du corps gras utilisé pour fabriquer le savon. L’huile de graines de coton utilisée pour la réalisation de savons bon marché est pointée du doigt comme la matière première la plus irritante. L’huile de coco est du même genre. L’huile de ricin est, en revanche, considérée comme moins irritante. Pour cet auteur, le suif est la matière première à recommander car les savons de suif ainsi obtenus sont les moins irritants.10 Une autre publication très intéressante établit une différence notable entre savon « ancien » (à l’huile d’olive et au suif) et savon « moderne » (à base d’huile de noix, de palme, de coco), en matière d’effet irritant. Selon l’indice de saponification de l’huile utilisée, la quantité de base nécessaire pour réaliser le savon sera plus ou moins importante ; la quantité de base relarguée dans l’eau sera donc, elle aussi, plus ou moins importante.11 En conclusion, vive le savon sur base de suif !

Le suif, un ingrédient qui gaze

Dans la littérature scientifique, on trouve de nombreuses publications ayant pour sujet la transformation de la graisse de bœuf en biodiesel.12 Celui-ci est, toutefois, majoritairement obtenu à partir d’huile végétale, l’huile de soja en particulier (dans 80 % des cas au Brésil contre 10 % pour le suif pour l’année 2015).13

Le suif, en bref

Le suif (tallow) constitue, encore de nos jours, une graisse utilisée en savonnerie. Le savon de soude (sodium tallowate) et le savon de potasse (potassium tallowate) sont en concurrence directe avec les savons végétaux réalisés à partir d’huile de palme ou de palmiste.14 L’inventaire européen connaît bien cet ingrédient et ses dérivés.15 Parmi les 19 matières premières répertoriées, on retrouve des tensioactifs non ioniques telles que des molécules éthoxylées : PEG-20 tallowate, PEG-200 glyceryl tallowate, PEG-28 glyceryl tallowate…), ainsi que des molécules hydrogénées (potassium hydrogenated tallowate).

Bibliographie

1 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/diadermine-la-creme-a-tout-faire-168/

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/c-est-roge-cavailles-qui-crie-a-la-douceur-332/

3 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/la-cigale-nantaise-pour-dejeuner-diner-ou-pour-se-laver-246/

4 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/les-cremes-barriere-des-produits-fort-utiles-85/

5 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/formule-norvegienne-ce-qui-est-bien-pour-nos-mains-est-bien-pour-nos-pieds-325/

6 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/maquillage-auriege-parfait-ce-maquillage-388/

7 Dorvault F. L’Officine, 23e édition, Vigot, Paris, 1995, 2089 pages

8 D.P. Chakawa, M. Nkala, N. Hlabangana, E. Muzenda, The novel use of calcium sulphate dihydrate as a bleaching agent for pre-processing beef tallow in the soap manufacturing process, Procedia Manufacturing, 35, 2019, Pages 911-916

9 T. Maotsela, G. Danha, E. Muzenda. Utilization of Waste Cooking Oil and Tallow for Production of Toilet “Bath” Soap., Procedia Manufacturing, 35, 2019, Pages 541-545

10 Gardiner F. Soap and the skin. The Lancet, 182, 4697, 1913, Pages 750-751

11 Anonyme. Toilet soaps from an economic and hygienic point of view. The Lancet, 183, 4714, 1914, Pages 52-55

12 Espinosa da Cunha M., Krause L.C., Aranda Moraes M.S., Schmitt Faccini C., Bastos Caramão E. Beef tallow biodiesel produced in a pilot scale. Fuel Processing Technology, 90, 4, 2009, Pages 570-575

13 Peçanha Esteves V.P., Mano Esteves E.M., Bungenstab D.J., Dias Feijó G.L., do Rosário Vaz Morgado C. Assessment of greenhouse gases (GHG) emissions from the tallow biodiesel production chain including land use change (LUC), Journal of Cleaner Production, 151, 2017, Pages 578-591

14 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/quelle-difference-entre-huile-de-palme-et-huile-de-palmiste-789/

15 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.results

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