> 08 mars 2021
Alors N ou M ? Comme Agatha Christie qui, dans son roman d’espionnage éponyme, place Tommy et Tuppence Beresford au coeur d’une sombre histoire d’espionnage, dans le cadre d’une petite station balnéaire,1 il est possible de poser la question N ou M, concernant la gomme guar. Pour certains auteurs, celle-ci se cache au sein des graines de Cyamopsis, pour d’autres au cœur des graines de Cyanopsis. L’inventaire européen tranche pour le M et présente l’ingrédient dont le nom INCI est cyamopsis tetragonoloba gum comme un additif précieux pour le formulateur : agent liant, stabilisateur d’émulsion, filmogène, parfum, agent de contrôle de la viscosité.2 Pour François Dorvault, auteur de la bible du pharmacien,3 la gomme guar, coincée entre la plantureuse monographie de la gomme arabique4 et celle, plus discrètede la gomme gutte, n’a droit qu’à quelques lignes ; c’est le N (cyanospis) qui est choisi ici.3 Il faut bien reconnaître que le M l’emporte sur le N ! Gardons donc en tête Cyamopsis et partons à la rencontre d’un ingrédient qui n’a rien d’un espion ou d’un contre-espion. Sa présence dans les cosmétiques est parfaitement justifiée (et en particulier dans les produits d’hygiène) et largement annoncée sur les emballages cosmétiques.
La gomme guar, qu’est-ce que c’est ? et les dérivés de gomme guar ?
La gomme de guar correspond à l’endosperme des graines de Cyamopsis tetragonoloba, réduit en poudre. Le composant principal est un polysaccharide complexe appelé galactomannane (la source la moins chère de galactomannane selon certains auteurs),5 un polymère de D-galactose et de D-mannose, retrouvé également sous le nom de « guarane ».3 Ce polymère, riche en groupements hydroxyles, forme avec l’eau dans laquelle on peut le dissoudre, des liaisons hydrogènes, responsables de l’augmentation de viscosité de la solution. Du fait de ses propriétés épaississantes, liantes, stabilisatrices d’émulsion, de sa solubilité rapide dans l'eau froide, de sa grande stabilité dans une large plage de pH, de son caractère filmogène et de sa biodégradabilité, cette gomme trouve des applications dans un grand nombre d'industries.6 Selon les variétés, selon la localisation géographique, le rendement en galactomannane varie de 28,6 à 34,6 g pour 100 g.7
A l’inventaire européen, il est également fait mention de dérivés de gomme guar (hydroxypropyl guar, C18-22 hydroxyalkyl hydroxypropyl guar, guar hydroxypropyltrimonium chloride, hydroxypropyl guar hydroxypropyltrimonium chloride, carboxymethyl hydroxypropyl guar, hydrolyzed guar) à effet conditionneur et régulateur de la viscosité.8
La gomme guar, un excipient pour hydrogel
La gomme guar est très étudiée en tant qu’excipient, pour réaliser des pansements, soit antiseptiques,9 soit susceptibles d’accélérer le processus de cicatrisation.10
Elle permet, par exemple, de véhiculer de manière optimale un peptide antimicrobien telle que la nisine11 ou de servir d’excipient à un mélange de principes actifs, permettant de réduire le prurit observé en cas de cicatrices hypertrophiques.12
Des synergies sont possibles avec d’autres gélifiants, comme la gomme xanthane,13 ce qui permet d’obtenir des excipients aux caractères organoleptiques acceptables (l’association de gélifiants permet de diminuer l’effet collant sur la peau).14
La gomme guar constitue également une matière première utilisable dans le cadre de la microencapsulation. Pour protéger les polyphénols de raisin, gomme arabique, gomme guar et polydextrose sont ainsi mobilisés.15
Les dérivés de gomme guar, des ingrédients très intéressants dans le domaine cosmétique
Le dérivé cationique de gomme guar, connu sous le nom de « Guar Hydroxypropyltrimonium Chloride », est un agent conditionneur, très bien toléré, incorporé dans un certain nombre de produits d’hygiène. Même à faible pourcentage d’emploi (0,05 %), cet ingrédient permet de réduire le caractère irritant d’une base lavante renfermant du lauryléthersulfate de sodium (test Zein à l’appui).16 Des interactions chimiques sont, en effet, connues entre la gomme guar et le lauryléthersulfate de sodium, interactions qui n’ont pas lieu avec la forme non éthoxylée (laurylsulfate de sodium).17
Dans le domaine de la protection solaire, des pistes de réflexion sont proposées (ces pistes datent de 2005 tout de même), avec la démonstration in vitro de l’effet protecteur de certains polysaccharides sur la lipoperoxydation engendrée par les UV. La gomme guar, l’agar agar ou l’amidon modifié constituent à ce titre de bons candidats.18
La gomme guar, des cas d’allergies
Dans la littérature scientifique, on trouve mentionnés des cas de rhinite allergique, survenant chez des salariés étant au contact de poussières de gomme guar,19 tant dans l’industrie pharmaceutique, que dans l’industrie textile ou alimentaire.20 Un cas d’apnée obstructive du sommeil a pu être observé chez une personne travaillant dans un domaine (alimentation animale) où une exposition à la gomme guar était quotidienne.21
Certains sujets présentent des taux élevés d’IgE, dirigées contre la gomme guar.22 Une enquête menée en 1990 avait montré que, dans une industrie où la gomme guar était utilisée pour fixer un colorant à un support type tapis, 23 % des salariés avaient développé un asthme professionnel et 5 % développaient une réaction immédiate à la gomme guar.22
La gomme guar, en bref
Gélifiants permettant de réduire le caractère irritant de certaines bases lavantes (celles en particulier contenant du lauryléthersulfate de sodium), les dérivés de gomme guar (le chlorure d’hydroxypropyltrimonium de guar, en particulier) sont les incontournables constituants des produits d’hygiène.23-27 Agents permettant de régler la viscosité des produits cosmétiques, la gomme guar et ses dérivés se glissent aussi bien dans les produits classiques (shampooings, gels douche) que dans les shampooings solides à la mode.28 Dans les crèmes pour bébé ou pour maman,29,30 (ou tout public), le galactomannane, extrait du haricot guar (Cyamopsis tetragonoloba), est bien là, qui veille à la bonne tenue des préparations. C’est une bonne chose, puisque cet ingrédient et ses dérivés sont jugés parfaitement sûrs d’emploi ! Sûrs d’emploi pour l’utilisateur ! Pour le salarié des industries qui en utilisent le port du masque lors de la manipulation est fortement conseillé.
Le haricot « magique » pour le formulateur se nomme décidément Cyamopsis ; ses qualités sont nombreuses et lui permettront de fournir des solutions concrètes à quelques problèmes cosmétiques pour un moindre coût. Contrairement à Jack, pas besoin de vendre une vache pour s’approvisionner en cet ingrédient... vachement bien !
Bibliographie
1 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/le-coupable-c-est-le-savon-1753/
2 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=75398
3 Dorvault F. L’Officine, Vigot, Paris, 1995, 2089 pages
5 Sharma G, Sharma S, Stadler FJ. Guar gum and its composites as potential materials for diverse applications: A review, Carbohydrate Polymers, 199, 2018, 534 – 545
6 Thombare N, Jha U, Mishra S, Siddiqui MZ., Guar gum as a promising starting material for diverse applications: A review., Int J Biol Macromol., 2016, 88, 361-72
7 Gresta F, Ceravolo G, Chiofalo B. Seed yield, galactomannan content and quality traits of different guar (Cyamopsis tetragonoloba L.) genotypes, Industrial Crops and Products, 107, 2017, 122-129
8 Johnson W Jr, Heldreth B, Bergfeld WF, Belsito DV, Hill RA, Klaassen CD, Liebler DC, Marks JG Jr, Shank RC, Slaga TJ, Snyder PW, Andersen FA., Safety Assessment of Galactomannans as Used in Cosmetics., Int J Toxicol., 2015, 34, 1 Suppl, 35S-65S
9 Khan MUA, Raza MA, Razak SIA, Abdul Kadir MR, Haider A, Shah SA, Mohd Yusof AH, Haider S, Shakir I, Aftab S., Novel functional antimicrobial and biocompatible arabinoxylan/guar gum hydrogel for skin wound dressing applications., J Tissue Eng Regen Med., 2020, 14, 10, 1488-1501
10 Nezhad-Mokhtari P, Ghorbani M, Abdyazdani N. Reinforcement of hydrogel scaffold using oxidized-guar gum incorporated with curcumin-loaded zein nanoparticles to improve biological performance, International Journal of Biological Macromolecules, 167, 2021, 59 – 65
11 Santos R, Gomes D, Macedo H, Barros D, Tibério C, Veiga AS, Tavares L, Castanho M, Oliveira M., Guar gum as a new antimicrobial peptide delivery system against diabetic foot ulcers Staphylococcus aureus isolates., J Med Microbiol., 2016, 65, 10, 1092-1099
12 Wu J, Xu R, Zhan R, Luo G, Niu X, Liu Y, Lee BT, Flury M, Wong CH, Fok M, Lau JY.Burns., Effective symptomatic treatment for severe and intractable pruritus associated with severe burn-induced hypertrophic scars: A prospective, multicenter, controlled trial., 2016, 42, 5, 1059-1066
14 Poret F, Cordinier A, Hucher N, Grisel M, Savary G., Impact of the synergistic interaction between xanthan and galactomannan on the stickiness properties of residual film after application on a surface., Carbohydr Polym., 2021, 1, 255, 117500
15 Kuck LS, Noreña CP., Microencapsulation of grape (Vitis labrusca var. Bordo) skin phenolic extract using gum Arabic, polydextrose, and partially hydrolyzed guar gum as encapsulating agents., Food Chem., 2016, 1, 194, 569-76
16 Bujak T, Nizioł-Łukaszewska Z, Ziemlewska A., Amphiphilic cationic polymers as effective substances improving the safety of use of body wash gels., Int J Biol Macromol., 2020, 15, 147, 973-979
17 Carlos H. de Seixas-Junior, Mariana M. de Carvalho, Rilton A. de Freitas, Interaction of guar gum galactomannans with the anionic surfactant sodium lauryl ether sulphate, International Journal of Biological Macromolecules, 165, 2020, 713 – 721
18 Trommer H, Neubert RH., The examination of polysaccharides as potential antioxidative compounds for topical administration using a lipid model system., Int J Pharm., 2005, 14, 298, 1, 153-63
19 Kanerva L, Tupasela O, Jolanki R, Vaheri E, Estlander T, Keskinen H., Occupational allergic rhinitis from guar gum., Clin Allergy., 1988, 18, 3, 245-52
20 Castano R., Occupational rhinitis caused by concurrent sensitization to two different allergens., Occup Med (Lond)., 2012, 62, 6, 466-8
21 Leznoff A, Haight JS, Hoffstein V., Reversible obstructive sleep apnea caused by occupational exposure to guar gum dust., Am Rev Respir Dis., 1986, 133, 5, 935-6
22 Lagier F, Cartier A, Somer J, Dolovich J, Malo JL., Occupational asthma caused by guar gum., J Allergy Clin Immunol., 1990, 85, 4, 785-90
30 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/les-dermocosmetiques-1-2-certains-sont-tres-bien-108/
Retour aux regards