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La gomina, le cosmétique de l’ennemi !

> 05 mars 2023

La gomina, le cosmétique de l’ennemi !

Cinquième livre de la saga des Pasquier - suite et fin.1 Jérôme Duhamel met le point final à l’histoire des Pasquier racontée par Laurent et débutée par son grand-père, Georges Duhamel, à partir de 1933. La guerre est perdue. L’Occupant s’installe dans la place. Le couple formé par Laurent et Jacqueline n’est plus qu’un couple de façade… Les deux époux n’échangent plus un seul mot ! Dans ce dernier tome, Laurent voir mourir ou disparaître ceux qu’il aime. Sa famille se délite. Sa patrie se désagrège !

Il y a un Maréchal qui joue les hommes sandwich pour une marque de coca !

Un académicien de piètre envergure (« L’Académie, aujourd’hui, il s’en fout comme de sa première décoration ! Ce n’était qu’un hochet de plus pour faire mousser son curriculum vitae. ») dont la déclaration radiophonique du 17 juin 1940 suinte « la trouille » ! Des mots qui laissent « une odeur aigre sur les peaux » !

Un académicien qui se réfugie à Vichy, pour « combattre les troubles de son vieil âge », à l’aide d’une eau riche « en bicarbonate de sodium ».

Un fier soldat qui fait de la publicité pour un « vin tonifiant » (« C’est d’ailleurs en reprenant la recette de cette boisson qu’un pharmacien d’Atlanta, en Amérique, avait lancé un soda tout d’abord appelé French Wine Coca et qui allait devenir cet écœurant breuvage appelé Coca-Cola. »), un vin tonifiant qui galvanise les armées et serait - dit-on - à l’origine de victoires militaires (« Les Français devaient gagner la guerre puisqu’ils avaient pour eux le Coca Mariani, le Roi des Pinards. »).

Il y a un gominé qui joue les valets de pied servile

Pour atteindre le Maréchal, pour discuter avec lui, il faut attendre et se faire guider d’antichambre en antichambre. Un « jeune homme cravaté, fort gominé (à la mode vichyssoise) » sert de guide à Laurent et à François Desqueyroux.

Il y a une belle amitié entre deux hommes qui prennent un aller-retour pour Vichy

Avec l’ami François Desqueyroux, Laurent décide d’aller morigéner le Maréchal. Dans le train qui les mène à Vichy, tous deux essaient de préparer une stratégie pour convaincre ce dernier de changer de tactique vis-à-vis des Allemands. « Dans un train totalement vide, avec juste un pyjama et une brosse à dents », les deux amis s’interrogent sur l’avenir de la France.

Il y a la fin d’un bel amour

Camille a disparu. Dans sa chambre de l’institut allemand, sa « petite pièce est bien rangée ». « Ses affaires de toilette étaient soigneusement posés à côté du lavabo. » Laurent, aux cent coups, se met à tout déranger, à tout fouiller, afin de trouver un élément qui puisse le mettre sur la piste de la bien-aimée. « Je perdis beaucoup de temps à chercher trace de son odeur, enfouissant longuement mon visage dans des vêtements qu’elle avait portés en ma présence. Je n’en ressortis qu’avec un arrière-goût de Camille, déjà lointain, et qui s’effacerait trop vite. »

Laurent apprendra plus tard que Camille a été dénoncée à la Gestapo par une lettre « tapée à la machine ». Un délateur prudent, qui n’a pas voulu courir le risque d’être reconnu par son écriture. « Avec une écriture manuscrite, même maquillée, ils arrivent généralement à savoir si l’expéditeur est un homme ou une femme. »

Il y a la fin d’une belle histoire de fraternité

Joseph Pasquier, le frère aîné, celui dont la réussite dans les affaires est incontestable, celui qui fait des affaires avec les Allemands, est retrouvé, un jour, mort, son cadavre enfermé dans un sac de jute, devant la porte de Laurent. Celui-ci s’étonne du parfait ordonnancement des cheveux de son frère, qui, bien que décédé dans des circonstances tragiques, semble sortir tout droit de chez le coiffeur. « Etonnamment, les cheveux étaient restés coiffés avec soin et je me surpris à formuler cette pensée stupide : Tiens, mon frère devait se mettre de la gomina… »

Morituri te salutant, en bref

A la fin du roman, Jérôme Duhamel nous laisse en plan. Camille est-elle toujours aux mains de la Gestapo, bien vivante tout de même ? Que va faire Laurent ? A l’heure « où les loups rôdent en meute pour s’abreuver de sang », il risque fort de choisir le bon camp… celui de la Résistance. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’a jamais fait partie du clan des gominés et qu’il ne risque pas d’en faire jamais partie un jour. Pour Jérôme Duhamel, c’est certain, le cosmétique de l’ennemi a un nom… GOMINA !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Duhamel J., Morituri te salutant in L’heure où les loups vont boire, Le clan des Pasquier, Flammarion, 2012, 621 pages

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