> 02 novembre 2024
Oh le pauvre chéri… le pauvre Tony, son « alambic intime » se met à distiller un parfum bien amer pour la seule et simple raison qu’une jeune femme qui lui avait donné rendez-vous devant le Bazar de l’hôtel de ville a oublié d’être à l’heure, il y a peu. Voire oublier de venir tout court.1
Du coup… il pleut dedans (Tony pleure) et il pleut dehors, car la météo est exécrable à tous niveaux.
Du coup… lorsque le boss fait irruption chez Félicie (Félicie est la tendre mère de Tony, qui héberge encore son grand garçon), San Antonio est prêt à changer de peau et à se glisser dans celle d’un chauffeur d’opérette. Sa nouvelle identité : Georges Rouquet ! De quoi prendre l’air et se refaire une santé mentale !
Une « pétroleuse », une « mousmé », une « souris » qui « trotte sous le derme » de San Antonio, comme une « démangeaison » ! Pas habitué à se faire planter, le séducteur invétéré !
Et en plus, il fait un temps de cochon, avec une pluie qui ne s’arrête pas de tomber. De quoi déprimer à rester là à attendre derrière une vitre qui dégouline d’eau. Rien à « maquiller », par ces temps hostiles !
San Antonio s’ennuie ferme !
Et puis, tout s’éclaire, un rayon de soleil pénètre chez Antoine (autrement dit San Antonio) et chez sa mère Félicie. Le boss s’est déplacé en personne, pour venir expliquer sa nouvelle mission à son agent préféré. De « son index manucuré », le vieux pointe une petite annonce dans le journal. Une cantatrice roumaine, Elia Filesco, établie en Angleterre, cherche « un chauffeur français ne parlant pas l’anglais » ! Sachant que cette cantatrice joue les espionnes à ses heures perdues… on comprend que San Antonio va devoir enfiler la livrée de chauffeur. Pour son anglais pas de souci, il est bien incapable d’aligner 3 mots in english !
Elia Filesco est une femme jeune, « longue, mince, blonde », aux « yeux verts » ! Sur ses paupières, elle met « du truc brillant » ; elle dessine, par ailleurs, ses « lèvres au pinceau » !
Le destin d’Elia risque bien d’être sombre, car on n’est pas espionne en toute quiétude.
Une fois Elia trépassée, San Antonio aura les mains libres pour fouiller la maison de la cantatrice. Parmi les « produits de beauté », il trouvera une boite de poudre de riz, qui contient une clé. Au milieu « de la poudre ocre », l’attention du commissaire a été attirée par un « petit objet brillant ».
Lorsqu’Elia se met à parler en anglais à San Antonio, celui-ci roule des yeux de vache espagnole. Il n’a compris que du feu… lorsqu’Elia lui en a demandé pour allumer sa cigarette. « Avec un petit geste impuissant de type qui n’est pas au parfum », San Antonio a prouvé à sa nouvelle patronne qu’il n’entravait rien à la langue de Shakespeare.
La cuisinière d’Elia, Katty, est une « grosse vioque », qui pèse trois tonnes et n’a rien pour séduire un agent du contre-espionnage.
Pas très sexy, cette cuisinière qui « sent le graillon » (San Antonio nous précise qu’il a « le sens olfactif très développé ») et se met plein de fond de teint sur le visage. Logique, quand on sait que Katty s’appelle, en réalité, Otto !
Le roi du « grimage », cet Otto, qui a mis au point tout un système pour remplacer Elia Filesco par sa propre fille !
Ce genre de gars… San Antonio leur fait leur compte. « Tout en jactant, je l’assaisonne à coups de tavasson. Je lui constitue un nouveau maquillage beaucoup plus solide que le précédent. »
San Antonio n’est guère aidé par son homologue anglais. Celui-ci est plutôt lent du cervelet. Il regarde le policier avec des « yeux de chat constipé auquel on n’a jamais parlé de l’huile de ricin. »
Dans cette enquête, San Antonio manque d’être empoisonné, ce qui le laisse un instant pantelant. Pour se remettre de ses émotions, il prend « un bon bain » et en sort « frais comme un triton » ! Cela ne l’a pourtant pas empêché de grogner contre son chef qui l’a « foutu dans ce bain ».
A peine sur place, voilà San Antonio qui séduit sa patronne, au risque de faire capoter sa mission. De quoi se traiter dans son for intérieur de « vieux lavement » !
Elia a l’air tout de même un peu bizarre. « Elle maquille des trucs peu catholiques », nous dit San Antonio, qui a l’air surpris de l’avoir vu succomber aussi rapidement à ses charmes. « Dites-moi : commencer à se cogner le nouveau chauffeur sans lui laisser le temps de déballer sa brosse à chailles, c’est un signe, non ? »
San Antonio ne manque jamais de se « laver les chailles », bien soigneusement, avant d’aller dormir !
Les intrigues de Frédéric Dard sont pleines de rebondissements… il faut suivre ! De temps en temps, l’écrivain injurie son lecteur, histoire de vérifier qu’il n’est pas assoupi, le traitant par exemple de porteur de « cerveau pas plus gros que celui d’une libellule » !
De temps à autres, il nous livre aussi quelques pensées philosophiques ou quelques vers pleins de poésie. Dans ces cas-là, il injurie également son public, le traitant par exemple de « glandulards » !
Frédéric Dard se définit lui-même comme un « mec dans le genre de Baudelaire » (à la traduction d’Edgar Poe près), capable de rédiger vite fait « Les fleurs du mâle » !
D’abord Elia, qui est retrouvée avec un « énorme pic de démolisseur » dans la poitrine. Puis, sa femme de chambre, Gloria, découverte, repliée, dans le coffre de la voiture de sa maitresse.
C’est le cas, lorsque Frédéric Dard nous parle d’un chauffeur de taxi dont la petite amie a « raclé le standing jusqu’au derme. »
Ces odeurs proviennent d’un caveau, dont San Antonio a soulevé la dalle. En effet, il était curieux de savoir qui se cachait dans le cercueil d’Arthur Paste… un individu mort aux Indes depuis longtemps (8 ans exactement !).
« Ce que je reniflais jusqu’à présent c’était le parfum Bourjois avec un J comme Jules ! Ô mes aïeux ! Après ça : voir Naples et mourir ! A moi le parfum des îles Borromées. »
Dans cette tombe odorante, point de cadavre masculin, mais la dépouille d’une blonde, qui ressemble, trait pour trait, à Elia !
Lorsque Frédéric Dard nous parle de « savonnanche Cadum », il nous parle du savon que passe un supérieur à son inférieur…
Gloria est une Allemande, ex-secrétaire particulière d’Hitler. Elia est une actrice allemande, ex-maitresse d’Himmler, qui a pris la place de la vraie Elia (celle qui est dans la tombe d’Arthur Paste) et qui finit avec un pic au travers du corps.
La fausse Elia, c’est Hildegarde Kurt, une brune, qui a dû se teindre en blonde, pour ressembler à celle dont elle a pris l’identité.
Hildegarde a remplacé la vraie Elia, le jour où celle-ci n’a plus été fiable, espionniquement parlant !
Gloria et Hildegarde sont les filles d’Otto Kurt, le gars qui surveillait le réseau d’espionnage, déguisé en grosse cuisinière !
Bien compliqué ce roman de Frédéric Dard, qui place, dans une boîte de poudre de riz, une clé qui mène à une maison à double issue.
Bien compliqué, ce roman qui met la teinture capillaire au centre d’une énigme où chacun joue un rôle différent.
Vous dire exactement pourquoi Gloria et Hildegarde ont été tuées… ça, franchement, on aurait de la peine, tant notre cerveau ressemble à celui d’une libellule !
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.
1 Dard F., J’ai bien l’honneur… de vous buter in San Antonio tome 2, Bouquins, Robert Laffont, 2022, 1258 pages