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La chirurgie reconstructrice : naissance d'une discipline au secours des Gueules cassées !

> 11 novembre 2018

La chirurgie reconstructrice : naissance d'une discipline au secours des Gueules cassées !

La Première Guerre mondiale est à l'origine de la création d'unités de chirurgie maxillo-faciale militaire à l’Hôpital du Val-de-Grâce à Paris, rendues nécessaires par le nombre considérable de blessés de la face. En effet, sur 8 millions de mobilisés, on déplorera 1 million et demi de morts et près de 300 000 mutilés, parmi lesquels 10 000 à 14 000 grands blessés de la face, que l’on désigne sous le nom de « Gueules cassées".

Léon Dufourmentel, Maurice Virenque ou encore Hippolyte Morestin exercent leur Art dans ces unités. Plusieurs d’entre eux firent preuve de « génie » et décrivirent des techniques qui inspirèrent les techniques d’aujourd’hui. Léon Dufourmentel, par exemple, prélevait un lambeau de cuir chevelu, appelé « lambeau Dufourmentel », sur les patients et les greffait essentiellement au niveau du menton (autogreffe), évitant ainsi les phénomènes de rejet.1 A Lyon, le pionnier en la matière se nomme Albéric Pont. Réformé pour cause de problème pulmonaire, il s’engage quand même, par patriotisme, en tant qu’infirmier. De sa prise de conscience de la situation va naître chez lui l’évidence de la nécessité de la mise en place de solutions d’urgence pour venir en aide aux malheureux traumatisés. Il va être à l’origine d’inventions multiples qui portent toujours son nom aujourd’hui. Il faut se rendre compte que ce type de spécialités était très peu développé en ce début de XXe siècle car les traumatismes de la face étaient rares, la circulation automobile et les activités sportives à risques n’ayant rien à voir avec ce que l’on connaît aujourd’hui ! Toutefois, il ne faudrait pas en déduire que les guerres antérieures n’avaient jamais de conséquence de cet ordre. On sait, par exemple, qu’au cours des campagnes napoléoniennes, des soldats de la Grande Armée ont été victimes de blessures graves au niveau du visage. Ils étaient alors considérés comme particulièrement fragiles et étaient achevés sur le champ de bataille…2

En 1921, est créée l'Union des Blessés de la Face et de la Tête (UBFT) " Les Gueules Cassées " par Albert Jugon, Bienaimé Jourdainet le Colonel Yves-Emile Picot, pour venir en aide aux combattants blessés au visage, défigurés, abandonnés de tous et sans ressources. En 1927, cette association est reconnue d'utilité publique. Sa devise, fort émouvante, appelle à « Sourire quand même ». Son objet social principal est de venir en aide aux très nombreux blessés de la face de la Grande Guerre, dont une grande partie des handicaps n'était pas couverte par le code des pensions militaires de l'époque. Situé à 35 kilomètres au nord de Paris, le château de Moussy est la demeure « historique » des « Gueules Cassées ».3 Les grands mutilés de la face de la guerre de 14-18 y venaient en convalescence entre chacune des multiples interventions chirurgicales qu'ils avaient à subir pour retrouver un visage leur permettant d’envisager, autant que faire se peut, une vie sociale. Ce fut ensuite le tour des blessés de la Seconde Guerre mondiale, puis d’autres conflits armés, en Indochine ou en Algérie. C’est parce qu’il y accompagne son grand-père, Eugène Fournier, durant son enfance, que Marc Dugain aura l’idée de la trame de son roman La chambre des officiers, paru en 1998, qui raconte l’histoire d’Adrien, un jeune ingénieur officier qui va être défiguré par un éclat d’obus.

Peu de toiles ou de sculptures s’élèvent comme des cris de révolte devant les atrocités vécues dans la chair même. Toutefois, nous tenons à évoquer Hendrick Wouters, connu sous le nom de Rik Wouters, un sculpteur et peintre fauviste belge, mobilisé en 1914 et qui commentera son autoportrait réalisé en 1915 et qui nous le montre en capote bleue horizon de la manière suivante : « La vue de ces jeunes décédés m’a rendu fou ».4 Tout est dit ! Quelques mots également de Jean Galtier-Boissière, dont le tableau « Défilé des mutilés, 14 juillet 1919 » est exposé au Musée d'Histoire contemporaine de Paris. Ce défilé est un peu « inhabituel » car, en ce 14 juillet 1919, défile toute la misère du monde, en fauteuil roulant, avec des béquilles, avec des bandages, à celui-là il manque un œil, à celui-ci, une jambe...5

En 2013, Eleanor Crook exprime son horreur des mutilations subies au niveau de la face par de nombreux combattants depuis la guerre de Crimée, dans une œuvre baptisée « And the band played on », qui nous donne à voir une fanfare de 5 mannequins-musiciens composant une fanfare militaire et tous caractérisés par des blessures profondes au niveau du visage.6

Toujours en 2013, Pierre Lemaitre fait paraître, chez Albin Michel, « Au revoir là-haut », roman qui lui vaudra le prix Goncourt. Edouard, l’un des deux principaux protagonistes, est un exemple littéraire récent de Gueule cassée que celle que l’on nomme « La Grande Guerre » a tout disloqué.

Morts, blessés, mutilés, gazés… honneur, en ce jour, à tous les Poilus, avec une pensée particulière pour Joseph Bretin, tué à l’ennemi le 5 septembre 1917 à Vailly (Aisne), à l’âge de 31 ans et Henri Leroyer, tué à l’ennemi le 24 septembre 1914 à Fonchettes (Somme), à l’âge de 32 ans.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, qui s'associe, aujourd'hui, à Pablo Picasso, pour un hommage personnel aux mutilés de la Guerre 14-18 !

Bibliographie


1 D. Labbé D., E. Kaluzinski (2010) Les innovations françaises en chirurgie esthétique de la face. Annales de Chirurgie Plastique Esthétique, 55, 5, 384-396
2 N. Sigaux, M. Amiel, S. Piotrovitch d’Orlik, P. Breton (2017) Albéric Pont, la grande guerre et les gueules cassées, Annales de Chirurgie Plastique Esthétique, 62, 6, 601-608
3 Anonyme (2006) L’union des blessés de la face et de la tête « les gueules cassées ». Revue de Stomatologie et de Chirurgie Maxillo-faciale, 107, 4, 318
4 http://www.leparisien.fr/laparisienne/sante/les-soldats-traumatises-de-14-18-sortent-de-l-oubli-23-01-2014-3519713.php
5 http://www.cndp.fr/entrepot/index.php?id=52
6 http://lunettesrouges.blog.lemonde.fr/2014/05/13/guerre-et-folie/img_3148/

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