> 26 octobre 2018
L’ortie dioïque (Urtica dioica) est une plante qui a trouvé la solution à la guerre des sexes. En grec ancien le terme « Oikion » (d’où dérive le terme dioica) signifie « habitation, demeure ». Sont donnés comme exemples d’habitations le « nid de l’aigle, de l’abeille, de la guêpe… », dans le Dictionnaire Bailly. L’ortie dioïque possède donc deux nids, deux demeures, l’une pour les fleurs mâles, l’une pour les fleurs femelles !
L’ortie dioïque est une plante sauvage qui pousse en climat tempéré. Considérée le plus souvent comme une mauvaise herbe du fait de sa croissance rapide et de sa capacité à recouvrir les sols, cette plante peut, cependant, parfois être cultivée. On pourra, en effet, récolter les différentes parties de la plante (feuilles, tiges, racines, graines) afin d’en exploiter la biomasse. C’est dans les années 1940 que l’on a commencé à s’intéresser à nouveau à cette plante piquante en Allemagne. Utilisée pour fabriquer des cordes et des tissus, à partir du XIIe siècle, l’ortie tombe aux oubliettes lorsque la soie est mise à l’honneur. Cette soie n’est toutefois pas adaptée à toutes les situations. On n’imagine pas le soldat de la Première Guerre mondiale équipé de soie des pieds à la tête… On l’imagine, en revanche, fort bien, équipé de chaussettes, de maillots de corps composés à partir de ces fibres. Sacs à dos et toiles de tente sont également obtenus par traitement de cette matière première végétale dont la couleur convient parfaitement aux tenues de camouflage. Rappelons au passage que ce végétal est une source de chlorophylle, ce colorant végétal utilisable comme additif dans les aliments (c’est l’additif E 140), les médicaments et les cosmétiques (rappelons que la chlorophylline cuprique est connue sous le nom INCI suivant : CI 75810).1 On considère alors que 85 % de la tenue du soldat est fabriquée à partir d’ortie. L’Institut de Botanique appliquée de Hambourg se concentre alors sur la sélection d’espèces les plus riches en fibres. Si l’ortie a pu être d’utilité pendant cette période de guerre, elle sera par la suite jetée à elle-même (pour ceux qui n’auraient pas compris – l’ortie est jetée aux orties !) pour des raisons économiques, le coton l’emportant haut la main dans la bataille textile engagée.2 L'idée de tricoter des pulls en fibres d'ortie est toujours d'actualité ; ce sont également ajoutées des perspectives dans le domaine médical, cosmétique, alimentaire ou celui de l'agriculture biodynamique.2,3
Cette plante de la famille des Urticacées est connue pour son caractère urticant ; son nom dérive du latin « urere » qui signifie « brûler ». Feuilles et tiges sont recouvertes de poils ou trichomes urticants renfermant un liquide composé de molécules telles que l’acide formique, l’histamine, l’acétylcholine, la sérotonine. Cette plante, si mal tolérée lorsque l’on s’y frotte d’un peu trop près, a pourtant été largement utilisée en médecine populaire pour cette même propriété. L’urtication ou traitement qui consiste à se fouetter à l’aide de plantes fraîches est censée activer la microcirculation et réchauffer les membres endoloris ou paralysés. Les troupes romaines pratiquaient cette curieuse façon de s’acclimater aux territoires où le climat ne leur était guère favorable. Dans l’Antiquité toujours, les Egyptiens, quant à eux, réalisaient des infusions d’ortie pour traiter douleurs articulaires et rhumatismes.4
Cette plante très prisée en médecine populaire ne pouvait pas ne pas plaire à un certain nombre de laboratoires ayant du mal à se situer sur l’échiquier du produit de santé. C’est le cas par exemple des laboratoires Weleda qui commercialisent « un médicament », le gel Combudoron « pour le soulagement et le traitement de coups de soleil et de piqûres d'insectes ». Ce gel « disponible en pharmacie et droguerie » est présenté comme « un médicament autorisé ».5 Il est composé d’eau, d’extraits éthanoliques d’arnica et d’ortie, de glycérol et d’alginate de sodium et a été testé, il y a quelques années, sur des sujets ayant été brûlés au second degré au moyen d’un laser. L’échantillon n’est composé que de deux (!) hommes âgés respectivement de 33 et 47 ans. Il faut dire que même si le protocole a été accepté par le comité d’éthique de l’hôpital universitaire de Freiburg il n’en reste pas moins fort peu habituel. Chaque sujet brûlé au niveau de 4 sites cutanés se voyait appliquer, selon le cas, une solution éthanolique d’arnica et d’ortie, le gel Combudoron ou un placébo. L’application de gel au niveau des brûlures semble exercer un effet positif avec une réduction du temps de cicatrisation par rapport au placébo. Il est toutefois difficile d’en dire plus étant donné la très (!) faible taille de l’échantillon.6
Dans le domaine cosmétique, l’ortie est utilisée traditionnellement pour éviter la chute des cheveux, pour limiter la séborrhée et pour traiter les états pelliculaires.7 Les feuilles contiennent des tanins (environ 10 % m/m) dont l’effet astringent peut expliquer l’emploi de cette plante dans les shampooings pour cheveux gras.8
De nombreuses molécules présentant un intérêt dans le domaine de la formulation des produits anti-âge sont répertoriées. L’acide ursolique qui s’accumule au niveau des racines possède un caractère anti-élastasique qui ne manquera pas de redonner de l’élasticité aux peaux matures. La quercétine présente au niveau des feuilles sera chouchoutée par les sociétés qui rêvent de mettre au point la solution cosmétique pour parer les effets de la pollution. Son effet anti-radicalaire s’opposera ainsi aux radicaux libres générés par l’air urbain de piètre qualité !9
Si l’ortie n’est pas à proprement parlé une belle plante, on ne s’en retourne pas moins sur elle sur son passage. Sur les bords des chemins, ce végétal qui s’est construit une barrière défensive à coup d’armes chimiques sait résister à qui veut la cueillir afin de réaliser une soupe bon marché.
Des shampooings pour cheveux gras aux cosmétiques anti-âge ou anti-pollution, l’ortie dioïque ne manque pas de talent. N’hésitons pas à nous y frotter…
1 Saša Đurović, Branimir Pavlić, Saša Šorgić, Saša Popov, Zoran Zeković. Chemical composition of stinging nettle leaves obtained by different analytical approaches. Journal of Functional Foods, 32, 2017, 18-26
2 Edwin Bodros, Christophe Baley, Study of the tensile properties of stinging nettle fibres (Urtica dioica). Materials Letters, 62, 14, 2008, 2143-2145
3 Nicola Di Virgilio, Eleni G. Papazoglou, Zofija Jankauskiene, Sara Di Lonardo, Kataryna Wielgusz. The potential of stinging nettle (Urtica dioica L.) as a crop with multiple uses, Industrial Crops and Products, 68, 2015, 42-49
4 Roy Upton, Stinging nettles leaf (Urtica dioica L.): Extraordinary vegetable medicine. Journal of Herbal Medicine, 3, 1, 2013, 9-38
5 https://www.weleda.ch/ch-fr/produit/c/combudoron-gel#additional-content
6 Roman Huber, Felix Bross, Christoph Schempp, Carsten Gründemann, Arnica and stinging nettle for treating burns – A self-experiment, Complementary Therapies in Medicine, 19, 5, 2011, Pages 276-280
7 Olta Allkanjari, Annabella Vitalone. What do we know about phytotherapy of benign prostatic hyperplasia?, Life Sciences, 126, 2015, 42-56
8 Markus Maier, Anna-Luisa Oelbermann, Manfred Renner, Eckhard Weidner, Screening of European medicinal herbs on their tannin content—New potential tanning agents for the leather industry, Industrial Crops and Products, 99, 2017, 19-26
9 Capucine Bourgeois, Émilie A. Leclerc, Cyrielle Corbin, Joël Doussot, Christophe Hano. Nettle (Urtica dioica L.) as a source of antioxidant and anti-aging phytochemicals for cosmetic applications, Comptes Rendus Chimie, 19, 9, 2016, 1090-1100