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L’octocrylène, un filtre UV qu’il faudrait peut-être mieux ne pas mettre à l’ombre

> 10 mars 2021

L’octocrylène, un filtre UV qu’il faudrait peut-être mieux ne pas mettre à l’ombre

Cette semaine, la publication de Downs et al.1 fait bruisser et même plus que bruisser toute la presse française ainsi que le monde cosmétique, cela va de soi. Un filtre UV à nouveau sur la sellette, c’est croustillant ! Du danger ! On en raffole. Et puis, dans deux jours, on parlera d’autre chose et dans 2 mois on conseillera aux gens de mettre de la crème solaire en intérieur, de faire eux-mêmes leur crème solaire à la maison (conseil pour le moins fort peu judicieux)2,3 ou de glisser de la crème solaire sous leur masque anti-COVID (conseil tout aussi inapproprié).4 On n’est pas à une contradiction près... Avant de faire marcher à l’ombre un filtre UV efficace et très utile, il est intéressant de faire un peu de bibliographie à son sujet.

L’octocrylène, un point sur son efficacité

L’octocrylène ou 2-Cyano-3,3-diphény lacrylate de 2-éthy lhexyle, qu’on se le dise, est un bon filtre UVB, dans la mesure où il permet d’obtenir une unité SPF par pourcentage d’emploi.5 Son caractère anti-inflammatoire marqué est à noter.6

L’octocrylène, un point sur son caractère sensibilisant

Les premières publications traitant d’une allergie croisée/associée avec le kétoprofène datent du début des années 2000.

Le kétoprofène, pour sa part, est connu depuis longtemps pour son caractère photosensibilisant. Des cas sont signalés dans la littérature scientifique de réactions photo-allergiques perdurant dans le temps, suite à l’application topique à base de cet anti-inflammatoire non stéroïdien. Ce caractère allergisant est mis en lien avec le noyau benzophénone de la molécule.7,8 Une protection solaire s’impose donc pour éviter cette manifestation... oui, mais pas une protection contenant de l’octocrylène !

Une réaction de même type est reconnue entre kétoprofène - octocrylène et kétoprofène - fénofibrate.8

Beaucoup de bruits autour de cet anti-inflammatoire et de ce filtre UV. L’industrie cosmétique rentre la tête dans les épaules ; on parle un temps d’interdiction de l’octocrylène. Et allons donc un filtre UV de moins ! Et puis la déclaration tombe, plutôt réjouissante pour l’industriel. L’octocrylène reste autorisé dans les cosmétiques ; c’est le kétoprofène qui va faire les frais de la polémique avec une suspension d’autorisation de mise sur le marché des gels en contenant en décembre 2009.9 Ouf, c’est pas passé loin ! Cette suspension ne sera d’ailleurs que de courte durée puisqu’une spécialité telle que Ketum 2,5 % gel est actuellement commercialisée. Pas d’usage conjoint donc !

En 2010, l’octocrylène est présenté comme un photo-allergène émergent avec 50 patients positifs à l’octocrylène sur 53 reçus en consultation. Des antécédents d’allergie pour les adultes étaient connus concernant le kétoprofène. Les auteurs de la publication conseillent alors pour ce type de population (allergiques au parfum, allergiques au kétoprofène, allergiques à l’octocrylène) de se méfier des produits de protection solaire parfumés renfermant de l’octocrylène. La benzophénone-3 ou oxybenzone est également évoquée dans cette liste d’ingrédients.10 Il faut préciser que la benzophénone-3 est connue pour son caractère allergisant ; c’est d’ailleurs le seul filtre UV pour lequel doit figurer sur l’emballage la mention « contient de l’oxybenzone ».

En 2014, le dermatologue Anton C De Groot montre très clairement dans une publication parfaitement bien documentée à quel point les réactions allergiques développées au contact de l’octocrylène sont en proportion variable selon la taille de l’échantillon considéré. Allergie à ce filtre UV et bouteille à l’encre semblent alors être synonyme. On peut citer comme exemple une étude réalisée en Belgique en 2004 sur 20 individus (1 personne avec patch test positif pour l’octocrylène utilisé à 10 %, soit 5 % de réaction allergique) ; une autre étude multicentrique, cette fois-ci réalisée entre 2008 et 2011, sur 1031 sujets, aboutit à un taux de positivité de 0,7 %.11 Des résultats qui font donc le grand écart et inclinent à l’optimisme ou au pessimisme selon les résultats observés.

Depuis, on revient franchement sur cette vision pessimiste de ce filtre UV et on oublie un peu ce caractère allergisant sans doute un peu monté en épingle.

L’octocrylène, un point sur son innocuité évaluée en 2019

Dans une publication du journal JEADV, des chercheurs américain, espagnol, allemand et italien dressaient un tableau complet des caractéristiques de ce filtre. En matière de pénétration transdermique, ce filtre semble alors rester préférentiellement au niveau de la couche cornée, si l’on en croit la littérature disponible. Les quantités retrouvées au niveau de l’épiderme ou au niveau du compartiment récepteur (lors de la réalisation de tests in vitro) sont très faibles (0,4 % de la dose appliquée au niveau épidermique et 0,05 % au niveau du fluide du compartiment récepteur). Il faut toutefois bien se rendre compte de l’importance du vecteur employé pour maitriser ce phénomène ; en fonction des autres ingrédients associés, on peut freiner ou au contraire augmenter cette pénétration transdermique, qui n’est bien sûr pas souhaitée.12 Il faut également savoir qu’en cas d’applications répétées (3 fois par jour à la dose de 2 mg/cm2, puis à 1 mg/cm2, 2 et 4 heures après) il est possible de retrouver de l’octocrylène au niveau plasmatique avec un pic observé 10 à 16 heures après application (test réalisé sur 20 volontaires).13 On ne peut qu’encourager le consommateur à se laver au retour de la plage ou plus généralement après utilisation d’un produit de protection solaire (question de bon sens lorsque l’on revient de la plage ou après une longue randonnée !).

Aucun effet systémique n’est à déplorer chez le lapin en cas d’utilisation topique à haute dose (534 mg/kg/j). Pas d’effet non plus sur la reproduction chez l’animal, tant chez le mâle que chez la femelle et ce pour des doses testées allant de 260 mg/kg/j à 1000 mg/kg/j.14

Une marge de sécurité calculée ; une marge confortable qui nous indique qu’à 10 % ce filtre est sûr d’emploi.

L’octocrylène, un point sur son innocuité réévaluée en 2021

En 2021, l’avis émis par le SCCS, au regard des données dont il disposait, est très clair : à concurrence de 10%, l’octocrylène est un filtre UV considéré comme sûr.15 Cet avis fait suite à un avis précédent datant de 1994 qui aboutissait aux mêmes conclusions.16

L’octocrylène, en bref

L’octocrylène est un filtre UVB efficace et qui a fait ses preuves. S’en passer totalement serait vraisemblablement une erreur. A force de condamner les filtres UV les uns après les autres les formulateurs vont avoir bien du mal à mettre au point des produits pourtant indispensables dans la lutte contre les cancers cutanés photo-induits. Formuler un produit de protection solaire sans filtre UV c’est impossible ! Formuler, sans octocrylène, certains laboratoires le font déjà très bien.17-19

Les questionnements soulevés par l’octocrylène peuvent s’appliquer aux autres filtres. Faut-il donc se doucher aux filtres UV, se tartiner de filtres UV, dormir avec des filtres UV ? Non pas vraiment. Il faut seulement les utiliser à bon escient, les incorporer dans des produits de protection solaire (et non dans des produits de soin ou de maquillage utilisés quotidiennement) pour lesquels tous les tests réglementaires sont faits dans le souci de la sécurité du consommateur. Des produits qui font l’objet de tests de stabilité, pour lesquels on vérifie la bonne tenue des filtres UV dans le temps.

Et puis pour éviter, pour limiter, pour minimiser la pénétration des filtres UV dans les couches profondes de la peau, on exclut l’alcool !20 C’est tout simple, mais efficace ! Cet exhausteur de pénétration, qui convient à la formulation des produits amincissants, en permettant de véhiculer la caféine jusqu’aux portes de l’hypoderme, ne doit pas être retrouvé dans un produit dont l’action se situe en surface.

Bibliographie

1 https://pubs.acs.org/doi/10.1021/acs.chemrestox.0c00461

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/non-non-et-non-pas-de-creme-solaire-ou-de-creme-affichant-un-spf-a-la-maison-1402/

3 Couteau C, Dupont C, Paparis E, Coiffard LJM. Demonstration of the dangerous nature of 'homemade' sunscreen recipes. J Cosmet Dermatol. 2020 Oct 12. doi: 10.1111/jocd.13783.

4 Couteau C, Paparis E, Coiffard L. What level of photoprotection can be obtained using facial mask? Determining effectiveness using an in vitro method. Dermatol Ther. 2021 Feb 1:e14837.

5 Couteau C, Pommier M, Paparis E, Coiffard LJ. Study of the efficacy of 18 sun filters authorized in European Union tested in vitro. Pharmazie. 2007;62(6):449-52

6 Couteau C, Chauvet C, Paparis E, Coiffard L.UV filters, ingredients with a recognized anti-inflammatory effect. PLoS One. 2012;7(12):e46187.

7 Albès B,  Marguery MC, Schwarze HP, Journé F, Loche F, Bazex J. Prolonged photosensitivity following contact photoallergy to ketoprofen, Dermatology, 2000, 201, 2, 171-4

8 Loh TY, Cohen PR. Ketoprofen-induced photoallergic dermatitis, Indian J Med Res, 2016, 144, 6, 803-806

9 https://www.ansm.sante.fr/S-informer/Communiques-Communiques-Points-presse/Suspension-d-autorisation-de-mise-sur-le-marche-des-gels-contenant-du-ketoprofene-communique

10 Avenel-AudranM, Hervé DutartreAn GoossensMichel JeanmouginChristelle ComteClaire BernierLamia BenkalfateMaryse MichelMarie Christine Ferrier-LebouëdecMartine ViganJean Luc BourrainOmar OuttasJean Louis PeyronLudovic Martin, Octocrylene, an emerging photoallergen, Arch Dermatol, 2010, 146, 7, 753-7

11 de Groot AC, David W Roberts, Contact and photocontact allergy to octocrylene: a review, Contact Dermatitis, 2014, 70, 4, 193-204

12 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/mais-mais-ils-sont-fous-ces-americains-1056/

13 Hiller J, Klotz K, Meyer S, Uter W, Hof K, Greiner A, Göen T, Drexler H., Systemic availability of lipophilic organic UV filters through dermal sunscreen exposure., Environ Int., 2019, 132, 105068., 2019

14 Berardesca E, Zuberbier T, Sanchez Viera M, Marinovich M., Review of the safety of octocrylene used as an ultraviolet filter in cosmetics., J Eur Acad Dermatol Venereol., 2019, 33, 7, 25-33

15 https://ec.europa.eu/health/sites/health/files/scientific_committees/consumer_safety/docs/sccs_o_249.pdf

16 https://ec.europa.eu/health/sites/health/files/scientific_committees/consumer_safety/docs/sccs2016_q_040.pdf

17 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/photoderm-kid-un-tube-totalement-indemodable-1501/

18 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/lait-enfants-avene-50-l-un-des-tubes-de-l-ete-1496/

19 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/topicrem-calm-spf-50-une-bonne-creme-solaire-tout-simplement-1757/

20 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/l-alcool-c-est-pour-l-apero-pas-sur-la-peau-768/

 

 

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