L’ichthyol, l’huile de schiste bitumeux du Tyrol, pas de quoi se mettre à yodler !

L’huile de schiste sulfonée… ça vous dit quelque chose ? Un ingrédient d’origine minérale, un bitume, qui va être distillé de façon à donner naissance à un ingrédient qui sera utilisé pendant une centaine d’années dans le domaine médical (en particulier en dermatologie… mais pas que…), mais également dans le domaine cosmétique, dès lors que l’on souhaite faire peau nette (c’est l’arme anti-boutons). Un ingrédient qui porte le nom usuel d’ichthyol et comme nom INCI (nom selon la nomenclature internationale cosmétique) ictasol. Un ingrédient, qui ne se promène pas tout seul, mais doit être purifié pour une totale innocuité. Un ingrédient très étudié en matière d’efficacité, mais dont la composition exacte n’est pas bien connue. On sait que la molécule principale est l’ichthyolsulfonate d’ammonium. Pour le reste, on nage dans une marée noire ! De quoi avoir envie de se pencher sur cet ingrédient-mystère, dont la composition complexe laisse froid les chercheurs du monde entier.

Au Cosing

L’ichthyol est connu de l’inventaire européen sous le nom INCI d’ictasol.1 Il y est considéré comme un agent antiséborrhéique et antimicrobien. Certains laboratoires pensent que son nom INCI est « Sodium shale oil sulfonate », ce qui est une erreur, puisque lorsque l’on tape ce nom d’ingrédient dans la base Cosing on reçoit la réponse suivante : « Aucun résultat correspondant trouvé ».2

Dans L’Officine de François Dorvault

L’ichthyolammonium ou ichthyolsulfonate d’ammonium ou sulfoichthyolate d’ammonium ou ichthyol (C28H36S (SO3NH4)2 n’est pas un ingrédient inconnu de François Dorvault, qui en parle dans L’Officine, la Bible du pharmacien. On y trouve, en effet, une plantureuse monographie de l’ingrédient dont le nom se décline de différentes façons. On y met, une fois de plus, le Dr Unna (de Hambourg est-il précisé) à l’honneur, en précisant, dès les premières lignes de cette monographie, qu’il s’agit du principe actif de choix du célèbre dermatologue en matière de traitement « des maladies cutanées », dont « l’eczéma » ! On nous indique également le mode d’obtention de cet ingrédient qui résulte de la « distillation sèche d’un schiste bitumeux » originaire du Tyrol. Précision est faite de la nature de ce bitume de roche, qui résulte de « matières animales décomposées » ! Les « poissons et animaux préhistoriques », morts il y a des millions d’années, ont formé, au fur et à mesure de leur dépôt en piles compactes, ces roches d’utilité médicale.

En ce qui concerne son aspect, il n’est guère tentant, puisque l’on a affaire à une sorte de « goudron noir-brun très épais », peu facile à manipuler, du fait de son caractère collant. Collant au doigt, à la spatule, à tout ce qui se trouve sur son passage. Une odeur également caractéristique, que l’on n’oublie pas et qui ne vous oublie pas du fait de son caractère rémanent. « Une odeur pénétrante », qualifiée d’empyreumatique, puisqu’elle rappelle l’odeur du brûlé !

Du point de vue de ses propriétés thérapeutiques, l’ichthyol, du moins à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, est considéré comme un « topique kératoplastique et antiseptique », qui convient parfaitement pour traiter un certain nombre de pathologies cutanées. Eczéma, psoriasis, pityriasis, érythèmes divers, brûlures, gerçures… sont ainsi traités à l’aide de pommades, de pseudo-solutions à base de glycérine. Les pourcentages d’ichthyol incorporés varient entre 1 et 10 %. Par voie orale (0,5 g à 2 g en pilules ou 0,20 à 0,30 g en capsules), l’ichthyol est proposé pour le traitement de pathologies aussi variées que la « tuberculose, les névralgies, la goutte, les douleurs rhumatismales, le diabète et la néphrite chronique). Enfin, en gynécologie, les ovules à l’ichthyol (5 à 10 %) permettent de « décongestionner l’utérus et ses annexes » !

Par ailleurs, le Dr Unna, dont on connaît bien l’intérêt pour les cosmétiques (il s’agit en effet de la caution médicale de la célèbre crème blanche comme neige), est l’inventeur d’une « poudre cuticolore », qui permet de teinter la peau et de masquer les imperfections cutanées. Cette poudre de teint à usage cosmétique peut également, bien évidemment, se teinter de propriétés thérapeutiques, par le simple ajout d’un ou de plusieurs principe(s) actif(s). Et le Dr Unna ne s’en prive pas ! On transforme alors un simple et modeste produit de beauté en une poudre « sulfo-ichthyolée » (soufre précipité et ichthyol à parts égales soit 1 g pour 8 g de poudre cuticolore).3

Dans la littérature scientifique d’hier

Le Dr Unna a été un précurseur en matière de l’emploi de l’ichthyol en dermatologie.4 Ses confrères le disent, le redisent, s’en félicitent !5 partageant, par le biais de la littérature médicale, les recettes du ponte du domaine. C’est ainsi, qu’en feuilletant des revues médicales, on peut tomber, sans se faire mal, sur une préparation dite du Dr Unna, destinée à lutter contre la transpiration excessive des pieds (la pommade en question renferme 25 parties d’ichthyol pour 15 parties d’eau et 15 parties de lanoline).6

Une panacée associée à la lanoline donc ;7 un principe actif à l’odeur désagréable qui permet de traiter de manière « extraordinaire » l’eczéma de la ménopause ;8 le meilleur principe actif en matière de traitement de l’érysipèle (avec une préparation simplissime, composée uniquement de vaseline ou de lard et d’ichthyol, parfumée à la citronnelle ou avec une sorte de pansement à base de collodion fortement dosé en ichthyol) ;9,10 un principe actif qui fait feu de toutes voies (orale et locale) et vient à bout de l’acné au bout de 5 mois, pour qui s’astreint, chaque nuit, à s’enduire d’une pommade renfermant 20 % d’ichthyol (nuits odorantes à prévoir !!).11 Sous la forme d’injection urétrale, l’efficacité sur la blennorragie gonococcique est parfois spectaculaire avec une rémission en seulement quelques jours.12

Un principe actif qui fait feu de toutes pathologies et traite aussi bien les douleurs articulaires que la goutte, dès lors que l’on accepte d’avaler des pilules ichthyolées ou de se tartiner de préparations ichthyolées,13 son caractère antiphlogistique lui permettant de s’adapter à différentes situations pathologiques.14

Et qui permet également de traiter les affections respiratoires sous la forme de préparations dont l’excipient est de l’eau de menthe.15

Et pourtant un principe actif qui n’est pas totalement infaillible, comme le prouve son manque d’intérêt en matière de traitement de la variole.16

Dans les formulaires médicaux d’hier

Le formulaire de Gilbert & Yvon est riche en exemples de formules ichthyolées. Ce principe actif rentre alors (on est en 1905),17 dans la composition de colles contre les ulcères, de vernis à base de collodion pour éliminer les naevi, de liniments contre la sciatique, de pommades anti-acnéique, de solution contre les furoncles ou l’angine… Quarante ans plus tard, Astier considère que l’action de ce principe actif est principalement due à son contenu soufré ! Il le propose, de manière classique, sous toutes sortes de formes galéniques (suppositoires, ovules, pommades) afin de traiter des dermatoses ou des pathologies comme les problèmes gynécologiques.18

Dans la littérature scientifique d’aujourd’hui

On trouve encore quelques publications relatives à ce principe actif. L’ichthyol (ou ichtammol) permet ainsi toujours de réaliser des préparations glycérinées à usage topique, permettant de traiter localement les phlébites, secondaires à la pose d’un cathéter veineux.19

Certains auteurs considèrent d’ailleurs que cet ingrédient fort utile par le passé est loin d’être à jeter à la poubelle.20 On l’incorpore d’ailleurs encore, par exemple en Italie, dans des shampooings à visée antipelliculaire, en association avec du zanthalène, de l’acide mandélique et du miel,21 son efficacité antipelliculaire étant à mettre en lien avec un effet antimitotique connu.22

En Allemagne, on le sort également des vieux musées d’apothicairerie, afin d’en tester l’efficacité antibactérienne vis-à-vis de certaines souches de staphylocoque doré. Et cela fonctionne plutôt bien.23,24 On compte sur son effet anti-inflammatoire pour traiter la rosacée25 ou l’otite externe,26,27 comme on l’a fait pendant longtemps (l’effet antibactérien y est associé à un effet anti-inflammatoire).28

A noter, l’existence d’une seule spécialité à usage dermatologique en contenant, en France, une pommade composée d’ichthyolammonium et d’oxyde de zinc dispersés dans de la lano-vaseline épaissie avec de l’amidon de maïs.29

Un mot sur son innnocuité

En matière de phototoxicité, cet ingrédient pose question car, selon les échantillons testés, selon les protocoles mis en œuvre, on conclut ou non à son caractère phototoxique.30 Pas d’effets tératogène, mutagène ou cancérigène,31 pour les plus optimistes. Même si l’on n’ignore la composition exacte de ce goudron ce qui, forcément, pose, là encore, question.32 Le CSSC, quant à lui, ne nous donne pas son avis à son sujet sans doute du fait de la rareté de son utilisation.

Quid des cosmétiques qui en contiennent ?

Ils ne sont pas si nombreux que cela. Historiquement les laboratoires Payot ont eu recours à l’ichthyol pour mettre au point leur célèbre pâte grise « stop bouton ».33 La formule actuelle n’en contient plus, les schistes bitumeux d’origine minérale ayant laissé leur place à des ingrédients d’origine végétale comme l’huile essentielle de melaleuca ou l’extrait de Reine des prés.34

Les laboratoires Uriage, quant à eux, persistent et signent évoquant de « l’huile de schiste purifiante » et hautement purifiée dans la composition de la pâte SOS Hyséac (une pâte qui lutte contre les boutons).35

Le shampooing antipelliculaire The Doctor, enfin, mise sur l’ichthyol pour lutter contre les pellicules. Le système conservateur choisi (méthylchloroisothiazolinone, méthylisothiazolinone) ne l’est pas bien… bien choisi !

L’ichthyol, en bref

L’ichthyol a largement été utilisé dans le domaine médical. C’est une chose. Tant que l’on n’avait pas grand-chose à se mettre sous la dent, cela faisait son petit effet. Maintenant, on est devenu beaucoup plus exigent.

On ne fait plus l’amalgame entre cosmétiques et médicaments (hum ! hum !) ; on souhaite choisir des ingrédients « clean », parfaitement « clean » ! Des ingrédients dont on connaît parfaitement la composition…

Dans ce cas-là, c’est certain si l’on veut privilégier les ingrédients à la composition transparente, il vaut mieux passer son chemin.

Bibliographie

1 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/details/80077

2 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/

3 Dorvault F., L’Officine, Vigot, 23e édition, Paris, 1995, 2089 pages

4 Zeisler J. Ichthyol in Skin Diseases. Chic Med J Exam. 1886 Dec;53(6):32-41

5 The Therapeutics of the Ichthyol Compounds. Hospital (Lond 1886). 1904 Jun 11;36(924):187

6 Unna’s Ichthyol Ointment for Profuse Sweating of the Feet. Tex Med J (Austin). 1898 Feb;13(8):414.

7 Lanolin and Ichthyol. Daniels Tex Med J. 1886 Oct;2(4):153

8 Ichthyol in Eczema. Hospital (Lond 1886). 1901 May 11;30(763):99

9 Ichthyol in Erysipelas. Atlanta J Rec Med. 1905 Mar;6(12):859-860

10 Ichthyol in Erysipelas. South Med Rec. 1895 Aug;25(8):427

11 Taylor AE. Ichthyol in Skin Diseases. Hospital (Lond 1886). 1902 Feb 15;31(803):337

12 Blennorrhea Treated with Ichthyol. South Med Rec. 1897 Jun;27(6):294

13 Ichthyol: Its Internal and External Uses. Buffalo Med Surg J. 1888 Sep;28(2):84

14 Gore RN. Ichthyol as a Treatment for Guinea-Worm. Ind Med Gaz. 1938 Mar;73(3):139

15 Ichthyol in Respiratory Affections. Tex Med J (Austin). 1912 Jan;27(7):272

16 Love A. The Treatment of Small-Pox by Ichthyol. Glasgow Med J. 1905 Nov;64(5):343-350

17 Gilbert A. & Yvon P., Formulaire de thérapeutique et de pharmacologie, Doin Ed, Paris, 1905, 827 pages

18 Formulaire Astier, Vade-mecum de médecine pratique, 9e édition, Paris, 1942, 1306 pages

19 Garcia-Expósito J, Sánchez-Meca J, Almenta-Saavedra JA, Llubes-Arrià L, Torné-Ruiz A, Roca J. Peripheral venous catheter-related phlebitis: A meta-analysis of topical treatment. Nurs Open. 2023 Mar;10(3):1270-1280

20 Boyd AS. Ichthammol revisited. Int J Dermatol. 2010 Jul;49(7):757-60

21 Mariano M, De Padova MP, Lorenzi S, Cameli N. Clinical and Videodermoscopic Evaluation of the Efficacy, Safety, and Tolerability of a Shampoo Containing Ichthyol, Zanthalene, Mandelic Acid, and Honey in the Treatment of Scalp Psoriasis. Skin Appendage Disord. 2018 Oct;4(4):296-300

22 Gloor M, Dressel M, Schnyder UW. The effect of coal tar distillate, cadmium sulfide, ichthyol sodium and omadine MDS on the epidermis of the guinea pig. Dermatologica. 1978;156(4):238-43

23 Heuser E, Becker K, Idelevich EA. Bactericidal Activity of Sodium Bituminosulfonate against Staphylococcus aureus. Antibiotics (Basel). 2022 Jul 5;11(7):896

24 Blisse M, Idelevich EA, Becker K. Investigation of In-Vitro Adaptation toward Sodium Bituminosulfonate in Staphylococcus aureus. Microorganisms. 2020 Dec 10;8(12):1962

25 Schiffmann S, Gunne S, Henke M, Ulshöfer T, Steinhilber D, Sethmann A, Parnham MJ. Sodium Bituminosulfonate Used to Treat Rosacea Modulates Generation of Inflammatory Mediators by Primary Human Neutrophils. J Inflamm Res. 2021 Jun 16;14:2569-2582

26 Kanagamuthu P, Dhanasekaran B, Karthika SR, Raghavan VK. To Determine the PH of External Auditory Canal in Otitis Externa: A Prospective Observational Study in a Tertiary Health Care Centre. Indian J Otolaryngol Head Neck Surg. 2023 Apr;75(Suppl 1):502-506

27 Ahmed K, Roberts ML, Mannion PT. Antimicrobial activity of glycerine-ichthammol in otitis externa. Clin Otolaryngol Allied Sci. 1995 Jun;20(3):201-3

28 Nilssen E, Wormald PJ, Oliver S. Glycerol and ichthammol: medicinal solution or mythical potion? J Laryngol Otol. 1996 Apr;110(4):319-21

29 https://www.vidal.fr/medicaments/oxythyol-pate-p-appl-cutanee-12570.html

30 Jirová D, Kejlová K, Bendová H, Ditrichová D, Mezulániková M. Phototoxicity of bituminous tars-correspondence between results of 3T3 NRU PT, 3D skin model and experimental human data. Toxicol In Vitro. 2005 Oct;19(7):931-4

31 Cholcha W, Leuschner J, Leuschner F. Untersuchungen zur Verträglichkeit von dunklem sulfoniertem Schieferöl nach lokaler und systemischer Applikation [The adverse effects of dark sulfonated shale oil following local and systemic administration]. Arzneimittelforschung. 1994 Jul;44(7):844-9

32 https://www.snfcp.org/fiches-pratiques/fiches-techniques/divers-fiches-techniques/pommade-au-goudron/

33 https://www.basler-beauty.fr/les-marques/payot/payot-pate-grise-pate-anti-imperfections-15-ml.html

34 https://www.payot.com/FR/fr/pate-grise/1074-pv-pate-grise-l-original-pot-15ml-eac-3390150588624.html

35 https://www.uriage.fr/produits/hyseac-pate-sos

Composition

Pâte grise Payot formule ancienne : HYDROXYSTEARIC/LINOLENIC/OLEIC POLYGLYCERIDES, TALC, ZINC OXIDE, PENTAERYTHRITYL TETRAISOSTEARATE, PRUNUS AMYGDALUS DULCIS (SWEET ALMOND) OIL, TRIDECYL TRIMELLITATE, AQUA (WATER), ICHTHAMMOL, SODIUM SHALE OIL SULFONATE

Pâte grise Payot nouvelle formule : AQUA (WATER) ? ZINC OXIDE ? GLYCERIN ? ILLITE ? PROPANEDIOL ? GLYCERYL STEARATE SE ? GLYCOLIC ACID ? BUTYLENE GLYCOL ? LACTIC ACID ? XANTHAN GUM ? ARGININE ? HECTORITE ? MELALEUCA ALTERNIFOLIA (TEA TREE) LEAF OIL ? SPIRAEA ULMARIA EXTRACT ? LACTOBACILLUS FERMENT LYSATE? CHLORPHENESIN ? LIMONENE

Hyséac pâte SOS : ZINC OXIDE — OLEIC/LINOLEIC/LINOLENIC/POLYGLYCERIDES — AQUA (WATER, EAU) — ILLITE — TALC — TRIDECYL TRIMELLITATE — OCTYLDODECANOL — CERA ALBA (BEESWAX) — STEARETH-2 — SODIUM SHALE OIL SULFONATE — DISTEARDIMONIUM HECTORITE — 1,2-HEXANEDIOL — PROPYLENE CARBONATE — 4-TERPINEOL — SALICYLIC ACID

Shampooing The doctor  – DErmatological shampoo :Aqua, Sodium Laureth Sulfate, Sodium Chloride, Cocamide DEA, Betula Alba Oil, Sodium Shale Oil Sulfonate, Salix Alba Bark Extract, Quercus Robur Bark Extract, Humulus Lupulus Cone Extract, Cocamidopropyl Betaine, Polyquaternium-10, Citric Acid, Parfum, Sodium Benzoate, Benzyl Alcohol, Methylchloroisothiazolinone, Methylisothiazolinone, Triethylene Glycol, Propylene Glycol.