> 21 février 2022
Aromatisant pour cigarette électronique,1 actif « bonne haleine »,2,3 insecticide vis-à-vis d’un coléoptère du genre Paederus, responsable de dermatite de contact,4,5 ingrédient évoqué par Agatha Christie,6 dans une nouvelle à faire frémir... l’huile de gaulthérie fait beaucoup parler d’elle. Additif, actif, cette huile, « naturelle », draine toutes les sympathies car, depuis quelques années déjà, l’idée que tout ce qui est naturel est sain fait recette. Estampiller un cosmétique « naturel » et voilà les consommateurs (ou tout du moins certains consommateurs) parfaitement rassurés ! Lorsque l’on sait que le principal composant de cette huile est le salicylate de méthyle, un cousin de l’acide salicylique, si décrié actuellement... on se dit que le pouvoir de l’esprit n’a pas de limites.
Vert, en hiver ? Quesaco ? La gaulthérie, pour Alphonse Allais, est un « arbre de toute beauté », sur lequel s’enroule le serpent à l’origine de tous nos maux.7 Jolie façon, pour ce pharmacien un peu déjanté, de chanter les louanges d’une plante très utilisée dans le domaine médical. La botanique est un peu écornée sur les bords, dans la mesure où la gaulthérie n’est pas un arbre, mais bien plutôt un végétal qui rampe sur le sol. La gaulthérie couchée, plante de la famille des Ericacées, possède des feuilles persistantes (toujours vertes donc, même en hiver) ; elle est naturellement présente dans le nord-est de l'Amérique du Nord et est cultivée dans le monde entier, dans les régions tempérées, à des fins ornementales et thérapeutiques. Les feuilles, les tiges et les parties aériennes entières de Gaultheria procumbens sont connues pour leurs propriétés anti-inflammatoires, analgésiques et antioxydantes, recommandées pour traiter la polyarthrite rhumatoïde, la grippe, le rhume, la fièvre, la trachéite, la pharyngite, les douleurs d'étiologies diverses et certaines maladies cutanées et parodontales...8 Ouf... on a fini l’inventaire à la Prévert, avec ces indications qui sautent du coq à l’âne.
Les auteurs sont unanimes ; le salicylate de méthyle représente 90 % de « l’essence de wintergreen », une essence obtenue à partir d’une espèce végétale du genre Gaultheria (procumbens, mais également, par extension, fragrantissima...).9 Cet ester de l’acide salicylique (« le plus anciennement connu des esters salicyliques ») se retrouve également, en proportions moindres, dans l’écorce de bouleau,10 chez la violette odorante, la pensée sauvage, la reine des prés et même le thé, la tubéreuse, l’ylang-ylang...11
Le Formulaire Astier de 1942, reconnaît au salicylate de méthyle des propriétés analgésiques. En liniments, en pommades, il peut être mélangé à divers excipients, afin de mettre au point des préparations topiques permettant de soulager des douleurs variées comme la sciatique, les rhumatismes, les lumbagos, les torticolis... et même le prurit.12 Si l’on remonte un peu plus loin dans le temps, on constate que l’huile essentielle de wintergreen est retrouvée à la monographie « Palommier » du Formulaire Gilbert & Yvon de 1905, nom donné à la gaulthérie, Gaultheria procumbens. Considérée comme un « stimulant », un « antiseptique » et un « agent parfumant », cette huile essentielle est à manipuler avec prudence si l’on souhaite éviter les « éruptions » !13
En médecine populaire, au début du XXe siècle, l’huile essentielle de wintergreen est extrêmement à la mode. Une odeur plaisante, un effet « chauffant » sur la peau... et voilà les personnes auto-médiquées en passe d’oublier leurs douleurs... Oui, mais attention, cette huile essentielle, concentrée en salicylate de méthyle, doit être maniée avec prudence ; entre 1933 et 1973, aux Etats-Unis 526 cas d’empoisonnement au salicylate de méthyle, à l’issue fatale ayant été à déplorer (on parle ici d’intoxications par voie orale).14 Même chose avec des bonbons aromatisés au salicylate de méthyle... un bébé de 21 mois pris en charge aux urgences en 1985.15 Même chose encore en 2007 avec toujours des cas d’intoxications survenant chez des enfants de moins de 6 ans, aboutissant parfois à des décès.16 Ces intoxications, toujours d’actualité et bien documentés, conduisent les centres anti-poisons à établir des protocoles stricts de prise en charge, en tenant compte de l’âge des patients et des doses administrées.17 Salicylate de méthyle et huile essentielle de wintergreen figurent encore en 2022 au Top 19 des ingrédients responsables d’intoxications ; ils occupent la 8e place d’une liste qui présente les substances par ordre décroissant d’effets toxiques et/ou en matière de difficulté de prise en charge.18
L’association huile essentielle de wintergreen et traitement à la warfarine peut se traduire par des interactions indésirables et des saignements.19 On sait, en effet, que l’application topique d’une préparation renfermant 30 % de salicylate de méthyle ou l’ingestion de 162 mg d’aspirine se traduit par le même effet en matière d’inhibition de l’agrégation plaquettaire.20
Le salicylate de méthyle, en présence, entre autres, d’acides aminés comme la glycine, en milieu alcalin, est capable de s’hydrolyser en acide salicylique.21 Cette transformation explique les intoxications appelées salicylisme. Des cas survenus en cas d’usage topique de préparations à base d’huile essentielle de wintergreen sont connus. On peut citer le cas d’un patient d’une quarantaine d’années ayant développé des manifestations caractéristiques d’une intoxication aux salicylés (acouphènes, vomissements, tachypnée et troubles acido-basiques typiques) après avoir utilisé une préparation recommandée par son naturopathe dans le cadre de la prise en charge de son psoriasis.22 On considère qu’une cuillérée à café d’huile essentielle de gaulthérie (contenance : 5 mL) équivaut à environ 7000 mg de salicylate, soit presque 22 comprimés d'aspirine adulte dosés à 325 mg.23
Une publication très intéressante datant de 1999 et désormais un peu oubliée fait échos aux études actuellement en vogue en matière de neurosciences. Oui, les odeurs nous parlent. Le célèbre « Doukipudonktan » de Raymond Queneau, qui relie les odeurs corporelles à la sensation de malaise dans le métro,24 en constitue un bon exemple. Il existe des odeurs plaisantes qui mettent en joie et des odeurs déplaisantes qui agressent, rendent malade rien que d’y penser. En Pennsylvanie, P. Dalton, en fait la démonstration à la toute fin des années 1990 en soumettant des volontaires (un échantillon de population composé de 180 personnes), considérés comme étant en « bonne santé », à des composés volatils, répertoriés arbitrairement comme étant des substances « saines » (c’est le cas de l’huile essentielle de gaulthérie), « nocives (c’est le cas du butanol) ou « neutres » (c’est le cas de l’acétate d'isobornyle). Il est à remarquer que les personnes ayant été soumises à des substances classées comme nocives ont signalé plus de symptômes au moment de l’exposition (phénomène d’irritation) et après l'exposition que celles ayant été mises en contact avec des ingrédients présentés comme « neutre » ou « sain ». Ce travail traduit bien l’importance des variables cognitives sur les effets des odeurs sur la santé.25 Ceci trouve un écho important dans notre société actuelle où tout ce qui est naturel est présenté comme sain. A méditer !
L’huile de wintergreen est connue à l’inventaire européen sous le nom INCI de « gaultheria procumbens leaf oil » comme « agent parfumant ».26 Son composant principal, le salicylate de méthyle est également référencé ; il apparaît sous différentes fonctions : « dénaturant, agent parfumant, actif à usage bucco-dentaire, actif apaisant ».27 On ne note aucune activité antibactérienne démontrée vis-à-vis de Streptococcus mutans (bactérie de la flore commensale buccale).28
Du fait d’un effet exhausteur de pénétration, suite à une altération de la fonction barrière de la peau, l’huile de wintergreen agit sur la biodisponibilité des ingrédients présents dans les formules qui en contiennent.29
Les concentrations en salicylate de méthyle retrouvées dans les cosmétiques varient entre 0,002 % dans les produits destinés au contour de l’œil et 2,52 % pour certaines pâtes dentifrices. Entre ces deux extrêmes, les pourcentages varient en fonction des cosmétiques considérés. Ces concentrations sont bien évidemment très inférieures à celles retrouvées dans des médicaments ou préparations destinées à traiter les douleurs. Dans ce cas le pourcentage en salicylate de méthyle varie entre 5 et 67 %. L’huile de gaulthérie, avec un pourcentage de 98 % à 99 %, bat tous les records lorsqu’elle est utilisée pure. Salicylate de méthyle et huile essentielle de wintergreen sont jugés sûrs d’emploi par le CSSC, aux doses retrouvées dans les cosmétiques. Toutefois, le rapport publié en octobre 2021 s’achève sur une note négative : « Le salicylate de méthyle sera métabolisé dans le corps en acide salicylique qui est classé comme toxique pour la reproduction et utilisé dans les produits cosmétiques. Par conséquent, l'exposition à différents produits cosmétiques contenant divers salicylates peut augmenter la dose d'exposition systémique et dépasser éventuellement le niveau de sécurité. »
En 2022, l’huile essentielle de wintergreen est très peu présente dans les cosmétiques industriels et on s’en félicite. On la retrouve, en revanche, dans de nombreux produits faits maison qui ne répondent pas à la définition du cosmétique dans la mesure où ils sont présentés comme susceptibles de traiter des pathologies. Huile gênes musculaires,30 cohabite ainsi sur la toile avec un « bain de vapeur visage »,31 avec un remède pour stimuler le foie,32 et une « synergie stop aux crampes menstruelles ».33 C’est un peu la foire, il faut bien le reconnaître ! Les amoureux des choses naturelles devront garder à l’esprit le spectre de l’intoxication salicylée, qui n’est pas une vue de l’esprit et se souvenir que la notion de nocivité et/ou d’innocuité n’a absolument rien à voir avec le caractère naturel ou synthétique de l’ingrédient considéré. En cosmétologie, le toxicologue a fort à faire et ne signe pas la partie « toxicologique » du dossier informations produit à vue de nez !
1 Chen C, Isabelle LM, Pickworth WB, Pankow JF. Levels of mint and wintergreen flavorants: smokeless tobacco products vs. confectionery products. Food Chem Toxicol. 2010 Feb;48(2):755-63
3 Riter LS, Laughlin BC, Nikolaev E, Cooks RG. Direct analysis of volatile organic compounds in human breath using a miniaturized cylindrical ion trap mass spectrometer with a membrane inlet. Rapid Commun Mass Spectrom. 2002;16(24):2370-3
4 Liu Z, Zhang Q, Wu X, Yu W, Guo S. Insecticidal Mechanism of Wintergreen Oil Against the Health Pest Paederus fuscipes (Coleoptera: Staphylinidae). J Med Entomol. 2018 Jan 10;55(1):155-162
5 Zhang Q, Wu X, Liu Z. Primary Screening of Plant Essential Oils as Insecticides, Fumigants, and Repellents Against the Health Pest Paederus fuscipes (Coleoptera: Staphylinidae). J Econ Entomol. 2016 Dec 1;109(6):2388-2396
8 Olszewska MA, Owczarek A, Magiera A, Granica S, Michel P. Screening for the Active Anti-Inflammatory and Antioxidant Polyphenols of Gaultheria procumbens and Their Application for Standardisation: From Identification through Cellular Studies to Quantitative Determination. Int J Mol Sci. 2021 Oct 26;22(21):11532
9 Yan-Ling X, Du XY, Yi-Rong L, Lu L. The complete chloroplast genome of Gaultheria fragrantissima Wall. (Ericaceae) from Yunnan, China, an aromatic medicinal plant in the wintergreens. Mitochondrial DNA B Resour. 2021 May 27;6(6):1761-1762
10 Le Grand F, George G, Akoka S. Natural abundance 2H-ERETIC-NMR authentication of the origin of methyl salicylate. J Agric Food Chem. 2005 Jun 29;53(13):5125-9
11 Dorvault F. L’Officine, Vigot, 23e édition, Paris, 1995, 2089 pages
12 Formulaire Astier, Vade mecum de médecine pratique, Paris, Vigot, 1942, 1306 pages
13 Gilbert & Yvon, Formulairede thérapeutique et de pharmacologie, Paris, Doin, 1905, 828 pages
14 MILLAR RJ, BOWMAN J. Oil of wintergreen (methyl salicylate) poisoning treated by exchange transfusion. Can Med Assoc J. 1961 Apr 29;84(17):956-7
15 Howrie DL, Moriarty R, Breit R. Candy flavoring as a source of salicylate poisoning. Pediatrics. 1985 May;75(5):869-71
16 Davis JE. Are one or two dangerous? Methyl salicylate exposure in toddlers. J Emerg Med. 2007 Jan;32(1):63-9
17 Chyka PA, Erdman AR, Christianson G, Wax PM, Booze LL, Manoguerra AS, Caravati EM, Nelson LS, Olson KR, Cobaugh DJ, Scharman EJ, Woolf AD, Troutman WG; Americal Association of Poison Control Centers; Healthcare Systems Bureau, Health Resources and Sevices Administration, Department of Health and Human Services. Salicylate poisoning: an evidence-based consensus guideline for out-of-hospital management. Clin Toxicol (Phila). 2007;45(2):95-131
18 Euwema MS, Swanson TJ. Deadly Single Dose Agents. 2021 Aug 3. In: StatPearls [Internet]. Treasure Island (FL): StatPearls Publishing; 2022 Jan–. PMID: 28722879
19 Chan TY. Potential dangers from topical preparations containing methyl salicylate. Hum Exp Toxicol. 1996 Sep;15(9):747-50
20 Tanen DA, Danish DC, Reardon JM, Chisholm CB, Matteucci MJ, Riffenburgh RH. Comparison of oral aspirin versus topical applied methyl salicylate for platelet inhibition. Ann Pharmacother. 2008 Oct;42(10):1396-401
21 Cheng CY, Brinzari TV, Hao Z, Wang X, Pan L. Understanding Methyl Salicylate Hydrolysis in the Presence of Amino Acids. J Agric Food Chem. 2021 Jun 2;69(21):6013-6021
22 Bell AJ, Duggin G. Acute methyl salicylate toxicity complicating herbal skin treatment for psoriasis. Emerg Med (Fremantle). 2002 Jun;14(2):188-90
23 Botma M, Colquhoun-Flannery W, Leighton S. Laryngeal oedema caused by accidental ingestion of Oil of Wintergreen. Int J Pediatr Otorhinolaryngol. 2001 May 11;58(3):229-32
25 Dalton P. Cognitive influences on health symptoms from acute chemical exposure. Health Psychol. 1999 Nov;18(6):579-90
26 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=76348
27 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=35325
28 Chaudhari LK, Jawale BA, Sharma S, Sharma H, Kumar CD, Kulkarni PA. Antimicrobial activity of commercially available essential oils against Streptococcus mutans. J Contemp Dent Pract. 2012 Jan 1;13(1):71-4
29 Gao XC, Tong Y. [Effect of wintergreen oil on in vitro transdermal permeation of osthole and geniposide]. Zhongguo Zhong Yao Za Zhi. 2017 Apr;42(7):1338-1343
30 https://www.pinterest.fr/pin/724164815057341508/
31 https://www.huiles-et-sens.com/blog/2014/03/recettes-cosmetiques-maison-express/
33 https://www.aroma-zone.com/info/recette-cosmetique/synergie-stop-crampes-menstruelles
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