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L’éviction solaire, la solution anti-âge de référence chère à François Mauriac

> 07 février 2021

L’éviction solaire, la solution anti-âge de référence chère à François Mauriac

La pharisienne de François Mauriac s’appelle Brigitte Pian.1 La seconde femme d’Octave Pian est un terrible cerbère, qui mène à la baguette mari et enfants (Louis et Michèle). Son ouvrage favori : un tricot de perfections ; cette bonne dame patronnesse se fait fort de mener tous ceux qu’elle croise à bon port, c’est-à-dire dans le giron du Seigneur. Oui, mais voilà, Brigitte n’a pas chaussé les bonnes lunettes. Les défauts d’autrui sont énormes ; les siens réduits à néant. A force de vouloir trop bien faire, Brigitte casse tout sur son passage, tel un cyclone exotique. Culpabilité, remords, péchés, bien et mal, François Mauriac et Brigitte Pian tissent, ensemble, un drôle de cache-col qui ne tient pas bien chaud l’hiver. Il y a des mailles de sautées, il y a des bouts de laine qui pendent malencontreusement de ci de là. Pourtant, la grâce est là, qui attend son heure.

Des odeurs de pensionnat, de cure, de nature

Lorsque Louis se met à rédiger ses mémoires, il se souvient très nettement des odeurs de son enfance. Il a 13 ans. A la pension, le surveillant Rausch a une « odeur de fauve ». Ni déodorant ni savon, c’est sûr ! Des cheveux « crêpelés d’un jaune ardent » ! Et puis il y a l’odeur des « plantes qui aiment l’eau et de la menthe écrasée », un parfum d’été, de jeux entre amis, de disputes aussi. Jean, le camarade de classe, Michèle, la sœur bien-aimée... Un trio qui fait l’expérience de la jalousie. Et puis, l’abbé Calou et l’odeur de la tarte aux prunes et celle du vieil armagnac, tiré du buffet. L’abbé Calou est chargé de remettre Jean dans le droit chemin. Pas à coup de triques comme le souhaite son oncle Adhémar, mais avec patience et amour. De la teinture d’iode, pour désinfecter les plaies, beaucoup de charité pour amollir les cœurs endurcis. Un peu d’eau de fleur d’oranger, pour apaiser un enfant sensible. Et puis l’odeur des fleurs pourris du cimetière, l’odeur des fleurs posées sur la tombe d’un père qui a baissé les bras et versé son chagrin dans une bouteille d’alcool.

Une belle-mère raide dans ses vêtements, raide dans son esprit

Brigitte Pian veut bien faire ; elle a charge d’âmes. On peut compter sur elle pour dénicher les péchés les mieux cachés. Cette femme, à la foi rigide, est corsetée à l’extrême. Elle porte une « guimpe et un col de guipure » qui lui enserre « le cou jusqu’aux oreilles ». Des « dents jaunes, déchaussées et solidement aurifiées » ornent la bouche de cette « Maintenon bilieuse ». « Une puissante tresse comme un gros serpent gras dont un ruban rouge lie le museau » se coule le long de son dos et de ses reins.

Un père épicurien et faible

Octave possède une « bouche gourmande », « des moustaches trop longues, faites pour tremper dans les apéritifs et dans les sauces ». Cet épicurien, qui aime la chasse et la bonne chair, est un faible, qui laisse sa femme mener la barque de son existence. Naufrage assuré !

Une fille, « noire de peau »

Michèle est une jeune fille de 15 ans, « noire de peau », gourmande de la vie. « D’admirables yeux » et des « dents pures » sont ses deux atouts. Michèle sent « l’œillet chauffé ». Elle plaît fort à Jean, qui veut en faire sa fiancée. Michèle est nature, pas un gramme de maquillage. Elle ne connaît alors ni le rouge à lèvres, ni la poudre de riz (« Elle ne fit pas le geste qu’elle aurait fait aujourd’hui : elle n’avait ni poudre ni bâton de rouge, ni d’ailleurs de sac, mais une poche sous sa jupe. »).

Une comtesse, blanche de peau

La mère de Jean, la comtesse de Mirbel, est une jolie blonde, qui use des cosmétiques, à bon escient, si l’on en croit sa silhouette et son visage. Qui pourrait penser que cette femme, à la taille d’adolescente, est la mère d’un grand jeune homme de 17 ans. Louis, devenu adulte, s’interroge encore sur les secrets cosmétiques de cette femme séduisante. « Aujourd’hui, le miracle de la jeunesse retrouvée court les rues ; il suffit d’y mettre le prix. » A l’époque, quelle pouvait donc être sa lotion miracle ? La réponse est peut-être dans sa façon de se préserver des rayons UV. « Elle avait peur du soleil et mettait autant d’acharnement à le fuir qu’elle en dépenserait aujourd’hui pour lui livrer tout son corps. » Bien à l’abri des effets délétères des rayons du soleil derrière un canotier surmonté d’une violette et d’une ombrelle, la comtesse espère bien faire mentir l’état civil. De longs gants portés en toute situation (exception faite des repas) préservent également la jeunesse de ses mains. Considérée avec mépris par Brigitte, peu encline aux soins du corps, la comtesse semble être parachutée d’une autre planète. « Le culte de son propre corps poussé à ce degré a un caractère nettement idolâtrique, qu’en pensez-vous, monsieur le curé ? » Monsieur le curé, plein de mansuétude, ne répondra pas à cette question.

Un amant qui se teint les cheveux

La comtesse de Mirbel est aussi belle qu’elle est volage. Brigitte l’a bien compris. C’est avec un homme de théâtre « mûr, aux mèches teintes et ramenés sur un crâne blanc », que la comtesse - qui se pique d’écrire des pièces - se commet dans des auberges de province. L’amant de la jolie veuve : « les cheveux teints, un bedon, et une bouche... Ah ! ignoble... » Vraiment ignoble aux yeux du fils qui découvre sa mère en pareille compagnie.

Et puis un pharmacien et sa femme pas vraiment sympathiques

Un pharmacien momifié, un petit « vieillard toujours occupé à envelopper des médicaments avec un soin aussi attentif que si la vie des malades en eût dépendu ». Et une jeune femme ordinaire, dévoyée, aux cheveux jaunes et au visage mangé de taches de rousseur. Hortense Voyod a jeté son dévolu sur Jean. Il le lui faut !

La pharisienne, en bref

La pharisienne de François Mauriac a toute une vie pour s’améliorer. La souffrance, elle l’inflige à tous ceux qu’elle aime... de trop. Un amour chaste, en fin de vie, avec un « sexagénaire bedonnant », à « barbe teinte » et crâne chauve, vient mettre un peu de baume sur le cœur sec d’une femme qui a mal compris les Saintes Ecritures. Une histoire d’amitié entre jeunes gens, une histoire d’amour paternel pour un prêtre en mal d’enfants, une histoire d’amour entre une jeune fille de bonne famille er un jeune délinquant. Le soleil joue à cache-cache dans ce roman où les femmes sont tour à tour pâles de teint ou bronzées à l’excès.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour !

Bibliographie

1 Mauriac F. La pharisienne, Le livre de Poche, Grasset, 1972, 315 pages

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