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L’eau de Cologne d’ici... ou d’ailleurs

> 25 mars 2017

L’eau de Cologne d’ici... ou d’ailleurs

L’histoire de l’eau de Cologne commence... à Cologne. Jusque-là pas de surprise. Dans l’ouvrage « Pour le parfumeur amateur ou professionnel » (A. Traveller, Dunod, 1937) l’on nous indique que cette eau de toilette, initialement dénommée Aqua mirabilis ou Eau merveilleuse, fut fabriquée, dès le XVIIe siècle, par « des parfumeurs italiens, en particulier les Jean-Marie de la famille ou plutôt DES familles Farina, car le succès du premier fabricant fit affluer dans la ville allemande toute une collection de Farina  italiens ». Cette version n’est pas admise par tous. Certains documents attribuent la paternité de l’eau de Cologne à Paul Feminis, arrière-grand-père de Jean-Antoine Farina, lui-même grand-père de Jean-Marie Farina (J. Vasse, Napoléon et l’eau de Cologne, Revue d’histoire de la pharmacie, 57,203, 1969, pages 497 - 499). Passons outre…

En ce qui concerne son obtention, elle était préparée par « distillation d’eau alcoolisée contenant de la mélisse, du romarin et de l’iris ; on ajoutait ensuite à l’alcool condensé des essences diverses d’hespéridés et d’un peu d’essence de lavande. » Tout ceci manque tout de même de précision. Aucune indication quant à la proportion des diverses essences. Le monde du parfum est décidément bien secret...

Chaque huile essentielle apporte plus qu’un parfum au mélange auquel elle participe. La mélisse (Melissa officinalis) apporte « une délicieuse odeur de citron », censée « rafraîchir l’intelligence déclinante » pour qui la porte, le romarin (Rosmarinus officinalis) « réveille et fortifie l’esprit », l’iris (Iris florentina), clin d’œil à l’origine italienne des inventeurs de l’eau de Cologne, dégage une odeur « très agréable qui, dit-on faute de comparaison meilleure, ressemble à celle de la violette » et emmène le voyageur immobile dans des contrées lointaines. Le rhizome est très utilisé, mais la fleur possède également « un parfum délicieux ». La bergamote (Citrus bergamia), hespéridé par excellence, possède une odeur « douce et agréable, trop connue pour qu’il soit nécessaire de la décrire. » « Mêlée aux autres huiles essentielles elle ajoute beaucoup à leur richesse. » Enfin, la lavande et ses nombreuses espèces apportent à l’eau de toilette une incroyable odeur de « propre ». « Les anciens employaient les fleurs et les feuilles de la plante pour aromatiser leurs bains et pour donner une odeur agréable à l’eau dans laquelle ils se lavaient ; de là son nom de lavandula. » (S. Piesse, Histoire des parfums, Baillière et fils, 1890). Plus qu’un parfum, l’eau de Cologne ressemble à s’y méprendre à un médicament. Le Codex medicamentarius, Pharmacopée rédigée par les membres de la Faculté de Médecine de Paris, édité à plusieurs reprises au cours du XVIIe siècle, propose une formule quali-quantitative de l’Aqua mirabilis (tout en latin, s’il vous plaît). Les ingrédients nécessaires sont les suivants : Spiritus vini rectificati (libras duas & unicias duodecim), sacchari albi (libras duas), aquae communis (libras fex), aquae florum aurantium effentialis (unicias duas), spiritus corticum citri (uniciam unam), oleo-sacchari citri (drachmas duas), olei effentialis bergamii (guttam unam, pro qualibet liquoris pinta). Un prospectus de la fin du XVIIIe siècle présente l’eau de Cologne comme une panacée. Par voie orale (50 à 60 gouttes dans 2 cuillérées de vin, d’eau de fontaine ou de bouillon, dans ce dernier cas il faudra que le bouillon soit « juste un peu chaud », pour ne pas dénaturer les huiles essentielles) ou par voie topique, l’eau de Cologne est souveraine pour traiter la paralysie, les tremblements, l’apoplexie, les problèmes oculaires, la migraine, les maux de dents, la pleurésie, la colique... Mêlée à de l’eau pour former ce que l’on nomme alors un lait virginal « elle procure la beauté car elle embellit le teint, le rend uni en dissipant toutes sortes de pustules ». Même la petite vérole ne lui résiste pas ! (A. Thibaudeau, Une panacée : l’eau de Cologne, d’après un prospectus du XVIIIe siècle, Bulletin d’histoire de la pharmacie, 14, 51, 1926, pages 1-3). La croyance en ces multiples vertus perdurera longtemps et on prendra l’habitude de bassiner les tempes de toute personne saisie de malaise à l’aide de la précieuse préparation. D’autres utilisations plus hasardeuses ont pu être proposées : on procédera, par exemple, à la toilette des yeux avec un mélange de glycérine, de rhum et de fleurs de cerisiers, cependant si cette formule ne convient pas, on peut s’en tenir à l’eau de Cologne ! (C. Villiers, de la Beauté chez la femme, Albin Michel, 1910, 160 pages). Elles sont témoins du crédit accordé à ce cosmétique.

L’eau de Cologne est sûrement aussi un talisman impérial. Napoléon Ier (1769 - 1821) est un grand consommateur d’eau de Cologne (selon Mme de Rémusat, une soixantaine de flacons par mois !). Il apprécie tout particulièrement la fraîcheur de la préparation. Incommodé par les parfums aux senteurs lourdes, il se tourne vers ce mélange d’huiles essentielles, conditionné, à son intention par la société Roger et Gallet, dans des flacons oblongs appelés « rouleaux de l’empereur ». Ceux-ci présentent un format qui leur permet de voyager facilement ; ils suivent l’empereur dans tous ses déplacements. Comme nous l’avons vu précédemment, l’eau de Cologne est censée posséder de nombreuses propriétés « thérapeutiques ». C’est l’avis de Napoléon Ier, qui s’en frictionne abondamment pour chasser toute trace de fatigue. Il y a recours de nombreuses fois dans la journée et plus spécifiquement au moment où il doit prendre une décision stratégique. Cet « excitant cérébral » chatouille ses neurones et l’aide à opter pour la meilleure option (J. Vasse, Napoléon et l’eau de Cologne, Revue d’histoire de la pharmacie, 57,203, 1969, pages 497 - 499). Las Cases, son chambellan et mémorialiste, note, qu’en exil, sur l’île de Sainte-Hélène, il s’en inondait toujours et ce jusqu’à ce qu’il n’en reste plus une seule goutte. L’eau de lavande, d’approvisionnement plus facile, prit alors la place du mélange plus complexe... (P. Lorthioir, Napoléon, l’eau de Cologne et la pharmacie, Revue d’histoire de la pharmacie, 58, 205, 1970, pages 113 - 114) Quand on parlait de talisman !

Après l’oncle, le neveu… ou plutôt la nièce. Créée en 1853 par Pierre-François-Pascal Guerlain pour l’impératrice Eugénie, femme de Napoléon III, l’Eau de Cologne Impériale met toutes les chances de son côté pour séduire la famille impériale. L’eau de Cologne est commandée dans le but de traiter les migraines de l’impératrice (le pouvoir bénéfique de l’eau de Cologne lui colle toujours à la peau). Pour séduire sa cliente, Pierre Guerlain utilise un flacon qui sait se faire bon courtisan : 69 abeilles dorées à l’or fin butinent le précieux nectar à même le flacon ; l’aigle, la couronne impériale et le sceptre rappellent sur l’étiquette les symboles de l’Empire. La forme du flacon n’est pas sans rappeler le sommet de la colonne Vendôme érigée par Napoléon Ier (http://www.guerlain.com/fr/fr-fr/parfums/parfums-mixtes/les-eaux/les-eaux-eau-de-cologne-imperiale-vaporisateur) en l’honneur
« d’Austerlitz rayonnante. »

A la fin du XIXe siècle, le Dr Constantin James examine avec soin les produits cosmétiques qui s’accumulent sur la coiffeuse de la parisienne. Il y trouve, en particulier deux flacons, l’un renferme de l’eau de Cologne, l’autre un vinaigre. Ces deux cosmétiques répondent au nom d’eaux de toilette. Le Dr James est dubitatif quant à l’utilisation de ces deux types de produits. Il insiste, lourdement, sur le cas de certaines eaux de Cologne « trafiquées par certaines sociétés plus soucieuses de leur porte-monnaie que de la santé de leur clientèle. « Les vinaigres sont souvent fabriqués à l’aide d’acides beaucoup trop caustiques ou même de vinaigres de bois. » ; les eaux de Cologne, quant à elles, peuvent être nuisibles lorsqu’elles sont fabriquées par des industriels peu scrupuleux. « Dans un but d’économie plus facile à comprendre qu’à justifier, ils remplacent en partie l’alcool et les huiles par de l’eau plus ou moins saturée d’extrait de saturne. Venez-vous alors à verser de ce mélange dans de l’eau, celle-ci blanchit, comme si c’était réellement de l’eau de Cologne : seulement ce n’est plus l’huile essentielle qui se précipite (sic), c’est le plomb. » Retournons regarder de près les deux flacons. L’un est à moitié vide, l’autre quasiment plein. Qui est qui ? Comme notre collègue Alain-Claude Roudot de l’UBO qui détaille, actuellement, avec précision, les habitudes de consommation des Français en matière de cosmétiques, le Dr James, en 1865, s’attache à préciser les préférences des Parisiennes (la provinciale n’est pas prise en compte dans son travail de recherche de même que l’homme, du fait du peu d’intérêt que ce dernier semble manifester pour le sujet) en ce qui concerne leurs pratiques cosmétiques. C’est le flacon d’eau de Cologne qui reste presque intouché chez la blonde amatrice de vinaigre « astringent », du fait de « sa peau spongieuse et fine ». La brune, quant à elle, au teint « animé et chaud », ne dédaigne pas les eaux de Cologne qui conviennent à son « surcroît d’activité ». Si la théorie semble assez surprenante, l’auteur s’excuse, d’ailleurs, par avance, en indiquant qu’il peut exister des exceptions à la règle, la préférence des Françaises pour les vinaigres semble bien réelle (C. James, Toilette d’une romaine au temps d’Auguste et cosmétiques d’une parisienne au XIXe siècle, 1865). En effet, un certain nombre de vinaigriers, dont le célèbre Jean-Vincent Bully, font fortune dans la parfumerie, en valorisant leur savoir-faire dans le domaine cosmétique.

Le Dr Paul Devaux confirme le goût des Françaises pour l’eau de Cologne et diverses lotions (eaux de verveine, de lavande...), en remplacement du savon. « Ces lotions à la fois détersives et rafraîchissantes débarrassent les pores de tous les corpuscules étrangers, des dépôts séreux, des matières inertes et des poussières de l’atmosphère coagulées par les émanations des foules. » (P. Devaux, Les auxiliaires de la beauté, Blot, 1887).

En 1905, le Dr Lusi propose une formule d’eau de Cologne, composée d’alcool à 90° (500 grammes), d’essence de néroli (4 grammes), d’essence de bergamote (3 grammes), d’essence d’orange (5 grammes), d’essence de citron (5 grammes), et d’essence de romarin (2 grammes). Cette eau de Cologne, « très facile à préparer, a un arôme exquis ». Il est important d’acheter les ingrédients nécessaires dans « une maison de confiance pour être de bonne qualité » (La femme moderne, son hygiène, sa beauté, ses enfants, 1905, 310 pages).

Du point de vue réglementaire, l’eau de Cologne est, comme tous les parfums d’ailleurs, un produit cosmétique comme un autre. La Société Française des Parfumeurs fait le point, dans un glossaire, sur les notions d’extrait, d’eau de parfum, de parfum de toilette, d’eau de toilette, d’eau de Cologne. L’extrait est défini comme « l’appellation professionnelle du produit mondialement consacré sous le nom de parfum ». « D’une façon générale, l’usage veut que dans une ligne de produits alcooliques, l’extrait soit fabriqué à partir de la composition la plus riche mise en solution dans un alcool à 96 % vol. ». A partir de là, on réalise des dilutions de plus en plus importantes dans l’ordre indiqué, l’eau de parfum étant plus concentrée en extrait que l’eau de Cologne qui arrive en bout de chaîne (http://www.parfumeurs-createurs.org/gene/main.php?base=409). Du point de vue de leur composition, les huiles essentielles se sont vues rejointes par un certain nombre de molécules de synthèse qui permettent d’élargir la palette olfactive de ce produit tricentenaire.

L’eau de Cologne, c’est aussi une source d’inspiration pour de nombreux écrivains : c’est le produit de toilette idéal pour un personnage trouble d’Emile Zola (E. Zola, Thérèse Raquin, 1867), c’est le parfum-médicament qui rafraichit les tempes de Thérèse Desqueyroux (F. Mauriac, 1927), c’est le parfum regretté d’Antoine de Saint-Exupéry (Lettres de jeunesse à l’amie inventée, 1953), c’est le parfum de Charles, l’un des amants de Lucile (F. Sagan, La Chamade, 1965), c’est le parfum des amours illégitimes et du péché pour José Cabanis (Le bonheur du temps, 1972) et Archibald Joseph Cronin (Les clés du royaume, 1945), c’est le parfum évocateur de l’enfance pour Michel Ragon (L’accent de ma mère, 1983), l’eau de Cologne c’est plus qu’un parfum… (C. Couteau & L. Coiffard, Dictionnaire égoïste des cosmétiques, Edilivre, 2016, 246 pages)

Face sombre de cette eau de Cologne, son pouvoir photo-sensibilisant. Les hespéridés, en particulier, sont sources de molécules photo-sensibilisantes. Sous l’action conjuguée de l’eau de Cologne et du soleil, des réactions cutanées à type de dermatites en breloque gravent, sur la peau de leurs victimes, des marques extrêmement difficiles à faire disparaitre (Anonyme, The darker side of smelling good: Ippen, H. u. Tesche, Susanne (1971). Zur Photodermatitis pigmentaria Freund (“Berloque-Dermatitis”, “Eau de Cologne Pigmentierung”). Hautarzt 22, 535, Food and Cosmetics Toxicology, 10, 6, 1972, Pages 885-886).

L’eau de Cologne est, comme on a pu le voir, une eau aux multiples vertus et, en particulier, celle de nous faire rêver à un temps où l’on se lavait à grands renforts de solutions parfumées. Produits de luxe ou bien de consommation courante, l’eau de Cologne sait se faire humble et se mettre à la portée de tous. Les effluves de bergamote, de mandarine, de néroli (Eau de Cologne Chanel), de romarin et de bois de cèdre (Eau de Cologne Mont St Michel) racontent chacune une histoire que l’on aime à se faire conter.

Un dernier mot : l’eau de Cologne, c’est un peu l’équivalent du savon de Marseille. Elle n’est, bien sûr, pas obligatoirement formulée, conçue et fabriquée dans la ville qui l’a vue naître.

Un grand merci, à nouveau à ce jeune admirateur de Napoléon Ier qu’est Antoine. C’est à lui que l'on doit le portrait qui illustre, avec bonheur, ce Regard !

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