> 02 mai 2017
L’eau dentifrice Botot n’est pas de la toute première jeunesse. Née en 1755, elle a traversé les époques et continue à être commercialisée de nos jours. Elle doit son nom à son inventeur, Edme François Julien Botot, médecin du roi Louis XV, qui voit dans cette préparation un moyen de préserver les dents de son royal patient, tout en lui assurant une haleine compatible avec sa réputation de séducteur (T. Lefebvre &
C. Raynal, Un siècle de service médical rendu : de quelques spécialités pharmaceutiques françaises centenaires, Revue d’histoire de la pharmacie, 2000, 88, 325, pages 11-44). Louis XV expérimente ainsi, sans le savoir, ce que l’on appellera plus tard une solution anti-plaque.
Du point de vue de sa composition, selon les sources, les ingrédients utilisés varient, un peu, beaucoup…
En 1910, chez Albin Michel, Colette Villiers se pique de tout savoir sur la beauté de la femme. Elle définit « la bouche d’une jolie femme » comme « un écrin de corail contenant des perles. Les perles sont de belles dents, et les belles dents sont indispensables non seulement à la santé, mais à la beauté. » Le brossage des dents se fera à l’aide d’une poudre dentifrice (poudre au charbon et au quinquina ; poudre au sucre, à la magnésie et à l’amidon…). Les préparations envisagées ne sont pas toutes très recommandables et rappellent furieusement certaines préparations-maison que nous condamnons aujourd’hui (voir à ce sujet les Regards « Noir, c'est noir : le charbon, un polluant élevé au rang d’actif cosmétique » et « Les dentifrices cariogènes, c'est possible ! »). Afin d’éliminer les grains de poudre susceptibles de rester au niveau des dents et des gencives, un rinçage à l’eau de Botot est recommandé. L’eau de Botot est présentée comme suit : 30 g d’anis vert, 8 g de cannelle, 0,50 g de girofle, 2,5 g de pyrèthre, 2,5 g de cochenille, 1 g de benjoin, 2,5 g de crème de tartre, 2 g d’essence de menthe, 1000 g d’alcool à 80°. Concassez, macérez huit jours, filtrez, utilisez !!! Sous le nom de crème de tartre se cache le tartrate acide de potassium, ingrédient très fréquemment retrouvé dans les poudres dentifrices de l’époque.
Dans les années 1940, les formulaires de cosmétiques proposent des formules très similaires. Certains auteurs distinguent les formules anciennes obtenues par macération, pendant une huitaine de jours, dans 2 litres d’alcool à 80°, d’anis vert (64 g), de cannelle (16 g), de girofle (1 g), de pyrèthre (4 g), de cochenille (5 g), de crème de tartre (5 g), de benjoin (2 g) et d’essence de menthe (4 g) (cette formule est identique à celle retrouvée dans le formulaire du Dr Lusi « La femme moderne – Son hygiène, sa beauté, ses enfants, 1905) et les formules modernes, plus simples, constituées de racine de ratanhia (500 g), de myrrhe (50 g), d’essence de lavande (5 g), d’essence de menthe (3 g), d’essence de roses (2 g). Les formules anciennes nécessitent une macération longue (plus d’une semaine), suivie une filtration, afin d’obtenir une solution limpide. Les formules modernes commercialisées « à l’étranger sous le nom d’eau de Botot » ne ressemblent que très vaguement à la préparation originale (A. Traveller, Pour le parfumeur amateur ou professionnel, Dunod, 1937)
On remarquera que la solution est colorée en rouge par la cochenille, un colorant qui doit son nom à l’insecte qui le fabrique. Ce colorant est utilisé depuis l’Antiquité pour teinter différents supports comme les textiles ou les œuvres d’art. Dactylopius et Porphyrophora (une espèce arménienne : hameli et une espèce polonaise polonica) sont les parasites en question. Dactylopius coccus, un parasite des cactus mexicains est certainement la variété de cochenille la plus connue. La conquête du Nouveau Monde aboutit à une importation massive de cochenille vers l’Europe. L’insecte femelle et le colorant qu’il contient font alors l’objet d’un négoce quasiment aussi important que celui des métaux précieux. Du point de vue de la qualité, c’est la cochenille d’origine mexicaine qui est la plus riche en matière colorante. Celle-ci est composée d’un mélange complexe de molécules possédant un noyau anthraquinone (Konstantina Stathopoulou, Lemonia Valianou, Alexios-Leandros Skaltsounis, Ioannis Karapanagiotis, Prokopios Magiatis, Structure elucidation and chromatographic identification of anthraquinone components of cochineal (Dactylopius coccus) detected in historical objects, Analytica Chimica Acta, 804, 4 2013, Pages 264-272). C’est l’acide carminique qui est la molécule la mieux représentée (c’est l’additif alimentaire E 120).
Un cas de mésusage intéressant est signalé dans la Revue d’Histoire de la Pharmacie. Il s’agit de l’addiction à l’eau de Botot d’une dame de la bourgeoisie chez laquelle fut diagnostiqué, en 1883, ce que le Dr Groussin, son médecin de famille, dénomma judicieusement « l’alcoolisme de la toilette ». La personne en question ne se contentait pas de se rincer la bouche à l’eau de Botot ; elle l’ingérait assez massivement ce qui lui procurait un état d’ivresse caractéristique (étourdissements, difficulté à effectuer des gestes et mouvements sûrs...). Inutile de dire que son haleine était toujours fraîche, ce que n’aurait pu lui procurer l’absorption d’un autre alcool fort (T. Lefebvre & C. Raynal, Un siècle de service médical rendu : de quelques spécialités pharmaceutiques françaises centenaires, Revue d’histoire de la pharmacie, 2000, 88, 325, pages 11-44).
L’eau de Botot fut fabriquée pendant dans années dans une usine à Levallois-Perret. Dans les années 1900, elle est présentée comme « le seul dentifrice approuvé par l’académie de médecine de Paris ». La forme liquide constitue alors une forme galénique en vogue, tout comme le savon (une forme qui n’existe plus de nos jours) ou la poudre (une forme dont il n’existe que peu de représentants actuellement).
Alors l’Eau de Botot, un cosmétique ou un médicament ? En 2017, c’est un cosmétique destiné à l’hygiène buccale. « Une haleine fraîche toute la journée » est promise à ses utilisateurs.
De l’alcool (en première position), de l’eau, un arôme, un édulcorant (le saccharinate de sodium), 3 colorants (bleu patenté V ou E 131, rouge cochenille A ou E 124, tartrazine E 102) et 6 allergènes. Le rouge de cochenille A ou ponceau 4R n’a de la cochenille que le nom. Il s’agit d’un colorant azoïque de synthèse. S’il est susceptible d’engendrer des allergies, il est, en revanche sûr du point de vue de son profil toxicologique (Leire Pérez-Ibarbia, Tobias Majdanski, Stephanie Schubert, Norbert Windhab, Ulrich S. Schubert, Safety and regulatory review of dyes commonly used as excipients in pharmaceutical and nutraceutical applications, European Journal of Pharmaceutical Sciences, 93, 10 2016, Pages 264-273).
La formule est très simple. Une solution hydro-alcoolique additionnée d’un arôme. Attention, toutefois à ne pas sombrer dans « l’alcoolisme de la toilette ». On aurait envie de dire à la lecture de la liste des ingrédients : « à consommer avec modération », c’est-à-dire toujours diluée dans un verre d’eau. Eviter un usage systématique et quotidien !