Nos regards
L’aluminium dans l’organisme, ça rentre, ça sort !

> 13 janvier 2020

L’aluminium dans l’organisme, ça rentre, ça sort !

Du plomb dans les crèmes de l'Antiquité destinées à faire obtenir le teint le plus blanc possible,1 de l’orpiment ou trisulfure d’arsenic dans le Rhusma Turcorum, un dépilatoire cher à Avicenne,2,3 de l’acétate de thallium dans les préparations destinées à limiter la sudation des patients atteints de sueurs nocturnes au début du XIXe siècle (les patients perdaient leurs cheveux à ce tarif-là, au point de donner l’idée à certains médecins tel Raymond Sabouraud d’employer cet ingrédient fabuleux dans le traitement de la teigne et ce même à l’égard de populations enfantines),4 du mercure dans des crèmes blanchissantes au XXe siècle…5,6 l’histoire des actifs destinés à améliorer l’aspect du teint, à éliminer les poils jugés disgracieux ou à maitriser le phénomène de sudation regorge d’exemples qui font frémir a posteriori. Dans le cas particulier du mercure, on continue à frémir car le nombre de produits illicites présents sur le marché ne diminue pas au fil du temps, comme en témoignent les nombreuses alertes de la Commission européenne via le système RAPEX. Et l’aluminium, dans tout cela, nous direz-vous. Quid de l’aluminium ?

L’aluminium constitue, véritablement, un point névralgique tant dans le domaine médical que dans le domaine cosmétique. Les anti-vaccins y voient un poison incorporé insidieusement par l’industrie pharmaceutique, afin d’augmenter les cohortes de malades, les anti-cosmétiques y voient une tactique de l’industrie cosmétique pour résoudre le problème crucial du financement des retraites. Les adeptes des produits bio, contre toute vérité scientifique, magnifient la pierre d’alun, et se refusent à voir en cette belle pierre translucide un sel d’aluminium comme un autre.

Afin de se faire une idée juste sur cette catégorie d’ingrédients (nous voulons parler des sels d’aluminium) nous nous proposons de faire une revue de la littérature ; trois Regards lui seront donc consacrés.

L’aluminium dans l’organisme, d’où vient-il et comment est-il éliminé ?

Il est important de garder à l’esprit que les sources correspondant à l’aluminium retrouvé dans l’organisme sont variées ; en effet, il y a l’air environnant, il y a les aliments et les cosmétiques. On considère que moins de 3 % de l’aluminium inhalé est susceptible de diffuser dans l’organisme. En ce qui concerne l’aluminium d’origine alimentaire, il représente 95 % de l’aluminium présent dans l’organisme (moins de 1 % de l’aluminium ingéré est retrouvé dans l’organisme). La pénétration cutanée de l’aluminium chez un adulte à peau saine est, quant à elle, généralement inférieure à 0,01 % de la dose appliquée. L'aluminium est lentement éliminé par l'organisme, principalement par excrétion urinaire. La demi-vie d'élimination du sang est de 8 heures. L'aluminium stocké dans les tissus est éliminé plus lentement, car sa demi-vie est de plusieurs semaines. Pour les expositions prolongées, l'aluminium qui s'est accumulé dans les différents compartiments osseux (trabéculaire et cortical) s’élimine très lentement ; sa demi-vie se mesure en années. Une partie de l'aluminium est stockée en permanence dans les différents organes, et la quantité d'aluminium augmente avec l'exposition et l'âge. L'aluminium stocké en permanence a été évalué et se place dans une fourchette comprise entre 30 et 50 mg chez l'adulte.7

Les sels d’aluminium dans les anti-transpirants, comment ça marche ?

C’est en 1916 que Stillians propose l’utilisation de sels d’aluminium afin de bloquer la production de sueur en cas d’hyperhydrose.8 La solution de chlorure d’aluminium à 25 % préconisée est toutefois mal tolérée.9 Afin d’éviter les réactions d’irritation, il est possible d’appliquer une couche de vaseline avant de mettre l’anti-transpirant renfermant du chlorure d’aluminium. Cela ne semble pas interférer avec l’efficacité du produit.10 En 1947, c’est au tour du chlorhydrate d’aluminium d’entrer en scène. Moins irritant, donc mieux toléré, il est également moins efficace.11

En 2020, comme en 2019, le recours à des produits à base de sels d’aluminium et en particulier de chlorure d’aluminium constitue toujours le premier réflexe en matière de prise en charge du phénomène d’hyperhydrose. En interagissant avec les mucopolysaccharides de la sueur eccrine et en formant des précipités qui bloquent la lumière du conduit de la glande sudoripare, ces sels d’aluminium forment un bouchon qui permet de réduire le volume de sueur émise. Cet effet transitoire disparait avec le processus biologique de renouvellement cutané. On reconnaît également aux sels d’aluminium un caractère bactéricide.12 Le chlorure d'aluminium est peu retrouvé dans les anti-transpirants présents actuellement sur le marché français13 ; le chlorhydrate d’aluminium, en revanche, constitue l’actif-phare des produits cosmétiques estampillés indifféremment déodorant ou anti-transpirant (on reviendra ultérieurement sur ce problème majeur).

Pour être efficace, un anti-transpirant à base de sel d’aluminium doit être appliqué le soir au moment du coucher lorsque la production de sueur est la plus faible14; le produit doit rester au contact de la peau au minimum 6 heures avant d’être éliminé lors de la toilette. Les applications peuvent être répétées toutes les 24 à 48 heures, jusqu’à obtention de l’anhidrose. Par la suite, le traitement d’entretien comprend 1 à 2 applications par semaine. Des effets indésirables à type d’irritation sont observés dans environ 20 % des cas.15

Le recours à un anti-transpirant n’est cependant pas nécessaire pour l’ensemble de la population. L’hyperhydrose ne touche, en effet, que 1 à 3 % de la population,16 si le diagnostic est posé par un médecin. La prévalence peut, toutefois, monter à 16 %, si l’on se fie sur le ressenti des sujets.17

Il faut également signaler qu’un faible pourcentage d’européens (1,2 % pour être exact) est, considéré comme « génotypiquement non odorant » mais utilise pourtant certainement un déodorant voire un anti-transpirant.18 Il faudrait que cette fraction de la population en prenne conscience, cela leur ferait faire des économies !

Les voies d’élimination de l’aluminium, une information à connaître

On a longtemps pensé que la voie d’élimination principale de l’aluminium était la voie renale ; mais on s’est rendu compte que la sueur peut également constituer un moyen efficace d’élimination de cet élément. Selon les publications, on retiendra les valeurs de 15 microgrammes/L, voire de plus de 5000 microgrammes/L. Sachant que selon les conditions, la quantité de sueur produite varie de 0,5 à 4,0 litres, on se dit que cette voie d’élimination n’est peut-être pas à négliger. Afin d’y voir plus clair, Clare Minshall a décidé, en 2013, de faire suer 20 étudiants (10 garçons et 10 filles) âgés de 20 ans, en moyenne… Pour un enseignant, rien de plus facile ! La sueur a été recueillie grâce à un patch fixé entre les omoplates. L’activité physique réalisée a consisté à pédaler en cadence sur des vélos d’appartement : 5 minutes de pédalage rapide, 20 minutes de pédalage de croisière, 5 minutes de pédalage rapide. Le recueil de la sueur (0,3 à 1,0 mL selon les sujets) et le dosage de l’aluminium a permis de mettre en évidence des variations interindividuelles très importantes. La valeur la plus faible est de 329 microgrammes/L de sueur, la valeur la plus élevée est de 5329 microgrammes/L.19 Il ne faut, toutefois, pas penser que l’utilisation d’un anti-transpirant transforme l’individu en une sorte de cocotte-minute prête de l’implosion. Lorsque l’on sait que seulement 1 % de la sueur produite par l’organisme est évacuée au niveau des aisselles,20 on relativise…

Bibliographie

1 Joseph A Witkowski, Lawrence Charles Parish, You’ve come a long way baby: a history of cosmeticlead toxicity, Clinics in Dermatology, 19, 4, 2001, Pages 367-370

2 Arnold William Klein, David Charles Rish, Depilatory and shaving products, Clinics in Dermatology, 6, 3, 1988, Pages 68-70

3 Anonyme, Epilatories and depilatories, The Lancet, 289, 7488, 1967, Page 488

4 Lewis DR, Lloyd WA, Treatment of ringworm of the scalp with thallium acetate, Br Med J., 1933, 15, 2, 3784, Pages 99-100

5 Michael R. Ori, Jaiva B. Larsen, Farshad “Mazda” Shirazi, Mercury Poisoning in a Toddler from Home Contamination due to Skin-Lightening Cream, The Journal of Pediatrics, 196, 2018, Pages 314-317.e1

6 S. S. Agrawal, Pallavi Sharma, Current status of mercury level in skin whitening creams, Current Medicine Research and Practice, 7, 2, 2017, Pages 47-50

7 J. -P. Goullé, L. Grangeot-Keros, Aluminum and vaccines: Current state of knowledge, Médecine et Maladies Infectieuses, 2019

8 Diane Walder, Neal S. Penneys, Antiperspirants and deodorizers, Clinics in Dermatology, 6, 3, 1988, Pages 37-39

9 . Zoe Kececioglu Draelos, Cosmetics: An overview, Current Problems in Dermatology, 7, 2, 1995, Pages 45-64

10 Brittany Oliver, Rachael Free, Daniel Aires, Preapplication of white petroleum jelly to adjacent skin to prevent aluminum chloride–induced irritant dermatitis, Journal of the American Academy of Dermatology, 77,1, 2017, Page e7

11 Antranik Benohanian, Antiperspirants and deodorants, Clinics in Dermatology, 19,4, 2001, Pages 398-405

12 Amanda Letícia Polli Silvestre, Maria Izabel Milani, Eduardo Luiz Rossini, Leonardo Pezza, Helena Redigolo Pezza, A paper platform for colorimetric determination of aluminum hydrochloride in antiperspirant samples, Spectrochimica Acta Part A: Molecular and Biomolecular Spectroscopy, 204, 2018, Pages 432-435

13 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/etiaxil-la-solution-a-tous-les-problemes-de-transpiration-918/

14  David F. Swaile, Clinical comparison of antiperspirant efficacy as a function of morning and/or night time application, Journal of the American Academy of Dermatology, 50, 3, Suppl, 2004, Page p77

15 Shiri Nawrocki, Jisun Cha, The etiology, diagnosis, and management of hyperhidrosis: A comprehensive review: Therapeutic options, Journal of the American Academy of Dermatology, 81, 3, 2019, Pages 669-680

16 Sofia Vasconcelos-Castro, Miguel Soares-Oliveira, Tiago Tuna, Mariana Borges-Dias, Thoracoscopic sympathotomy for palmar hyperhidrosis: How young is too young?, Journal of Pediatric Surgery, 2019

17 Kristen Ricchetti-Masterson, J. Morel Symons, Molly Aldridge, Ayush Patel, Suzanne F. Cook, Epidemiology of hyperhidrosis in 2 population-based health care databases, Journal of the American Academy of Dermatology, 78,2, 2018, Pages 358-362

18 Sara Brown, The Pharmacogenetics of BodyOdor: As Easy as ABCC?, Journal of Investigative Dermatology, 133, 7, 2013, Pages 1709-1711

19 Clare Minshall, Jodie Nadal, Christopher Exley, Aluminium in humansweat, Journal of Trace Elements in Medicine and Biology, 28, 1, 2014, Pages 87-88

20 Kris G. McGrath, Apocrinesweatglandobstruction by antiperspirants allowing transdermal absorption of cutaneous generated hormones and pheromones as a link to the observed incidence rates of breast and prostate cancer in the 20th century, Medical Hypotheses, 72,6, 2009, Pages 665-674

 

 

Retour aux regards