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L’allantoïne, un bon petit soldat au service des cosmétiques

> 11 octobre 2018

L’allantoïne, un bon petit soldat au service des cosmétiques

Du chirurgien Ambroise Paré aux soldats de la Grande Guerre (ceux-ci constataient, en effet, qu’une blessure faite par une baïonnette souillée par des larves cicatrisaient mieux qu’une blessure faite par une arme à la propreté méticuleuse !), ils ont été nombreux à constater les effets bénéfiques de l’allantoïne.1 L’histoire de cette molécule est une histoire ancienne qui mérite qu’on lui consacre un Regard attentif.

L’allantoïne, un transporteur d’azote

L’allantoïne et l’acide allantoïque sont des molécules azotées, chargées du transport de l’azote dans la sève d’un certain nombre de végétaux. Ces molécules azotées ont été découvertes pour la première fois dans le platane d’Orient (Platanus orientalis) et le haricot commun (Phaseolus vulgaris) en 1881 et 1926, respectivement.2 

L’allantoïne, le principe actif de l’asticothérapie

Au début du XXe siècle, certains médecins redécouvrent le pouvoir des asticots, mouches et autres larves d’animaux. Plutôt que de les utiliser le dimanche au bout d’une canne à pêche, ils préfèrent les incorporer dans des protocoles médicaux. A la suite d’Ambroise Paré qui constate la cicatrisation inhabituellement rapide de plaies suppurantes dans lesquelles des œufs ont été déposés, à la suite de Dominique-Jean Larrey qui s’émerveille devant des plaies infestées d’asticots, dans les pas de Joseph François Malgaigne qui constate l’effet bénéfique des asticots dans le cadre du traitement des fractures « composées », de nombreux médecins se sont laissés tenter par une technique qui ne peut pas laisser indifférent. Le début du XXe siècle voit se multiplier les expérimentations visant à mettre en évidence les propriétés curatives de ces drôles de thérapeutes. Des inconvénients liés à cette technique sont répertoriés. Si les asticots permettent de traiter certaines infections, ils en déclenchent d’autres ! Le grouillement de ces drôles de médicaments bien vivants est parfois difficile à supporter par les patients qui trouvent cette thérapie quelque peu répugnante. En 1933, un certain Robinson qui n’a rien de Crusoé se souvient qu’Ambroise Paré a confectionné en son temps une huile à base de larves bouillies et de fleur de lys, afin de traiter les blessures par balles.2 Il décide alors d’y voir clair au sujet des super-pouvoirs exercés par les asticots et trouve, dans leurs excréments, de l’allantoïne, celle-là même qui a été utilisée, une trentaine d’années auparavant, dans le traitement des ulcères. Forts de tous ces éléments, des médecins américains mettent au point une préparation topique renfermant de l’allantoïne. Cette préparation comporte de l’eau, de l’acide stéarique, de la triéthanolamine et de la glycérine.3 L’excipient est donc un savon ! En 2018, l’asticothérapie ou la larvothérapie est utilisée pour la détersion des plaies à type d’ulcères chroniques. Ce sont les larves de Lucilia sericata qui se voient charger du débridement de certaines plaies.4 

L’allantoïne, l’actif qui soude !

Difficile de parler de l’allantoïne sans parler de la grande consoude (Symphytum officinale), cette plante commune des prairies humides, qui possède des noms vernaculaires aussi amusants que variés : Oreilles d’âne ou de vache, Langue de vache, Herbe à la coupure… La racine, noire à l’extérieur et blanche à l’intérieur renferme un mucilage et de l’allantoïne. La teneur en allantoïne dans la racine varie, selon les auteurs, de 0,7 % à 2,5 %.2,5 Utilisée durant l’Antiquité pour panser les plaies et permettre la guérison des blessures, cette plante trouve, par la suite, de nombreuses applications. Les préparations réalisées à partir des différentes parties de la plantes sont indiquées, par exemple au XVIIe siècle, dans le cas d’hémorroïdes, de goutte, d’articulations douloureuses, de gangrène, d’ulcères humides, d’inflammations et d’ulcères… Actuellement, elle est toujours utilisée en médecine traditionnelle par voie topique pour le traitement des entorses, des contusions, des fractures, des inflammations articulaires, des furoncles, de l’arthrite, voire même du psoriasis. Une étude réalisée en 2014 aux Etats-Unis pointe du doigt le flou artistique qui règne dans le domaine de la médecine naturelle. Un certain nombre de prescripteurs ne savent pas, par exemple, quelle partie de la plante (feuille, racine) est incorporée dans la préparation recommandée.6 

L’allantoïne, du soja à la pomme de terre en passant par le café 

Les graines de protée (Protea compacta – teneur de 2 %), le soja (0,03 %), le café (les graines de Coffea arabica en renferment 0,09 %, les feuilles 0,03 %), la pomme de terre, la patate douce, le manioc sont autant de sources d’allantoïne.2,7 L’igname du Japon (Dioscorea japonica) ou plus généralement les plantes du genre Dioscorea sont également source d’allantoïne. C’est dans la peau du tubercule que l’on trouve le plus d’allantoïne (1,25 % du poids sec).8 

L’allantoïne, une molécule active universellement reconnue

L’allantoïne est une molécule très présente dans le milieu végétal. On la classe dans la catégorie des « protecteurs cutanés ». Le Merck index la définit comme un vulnéraire, c’est-à-dire un principe actif capable de guérir les plaies. La FDA la considère comme un principe actif sûr et efficace, pouvant être incorporé dans les médicaments OTC à des doses allant de 0,5 à 2 %, afin d’assurer une protection vis-à-vis des « coupures, éraflures, brûlures, boutons de fièvre et coups de soleil », de « prévenir et de protéger la peau et les lèvres contre les gerçures, les irritations et brûlures », de traiter le phénomène de sécheresse cutanée. Ce principe actif adoucissant permet de calmer les irritations, tant au niveau interne qu’externe. Au niveau gastro-intestinal, il assure un rôle de protecteur et de réparateur des tissus lésés.7 Le Vidal ne fait état que d’une spécialité médicamenteuse en renfermant ; il s’agit de la pommade Cicatryl. Celle-ci renferme comme principes actifs de l’acétate de tocophérol, du gaïazulène, du p-chlorométacrésol et de l’allantoïne.9 

Très utilisée au milieu du XXe siècle pour la prise en charge des blessures, l’allantoïne est associée à des antibiotiques de la famille des sulfamides.10

Si dans la grande majorité des cas les publications chantent les louanges de cette molécule aux multiples casquettes, d’autres sont beaucoup moins dithyrambiques. On citera, en particulier, ces médecins géorgiens qui voulurent croire aux capacités cicatrisantes de l’allantoïne et les mettre à profit en cas d’aphtes récidivants et qui durent se rendre compte du peu d’efficacité du gel testé en conditions réelles.11 

L’allantoïne, l’ingrédient-miracle contenu dans la bave d’escargot

Depuis quelques années, on voit fleurir sur le marché les cosmétiques à la bave d’escargot. Ces cosmétiques sont présentés par certaines sociétés comme les cosmétiques les mieux adaptés pour la prise en charge de diverses pathologies cutanées. L’allantoïne contenue dans le mucus est ainsi présentée comme le « principe actif » traitant.12 Rappelons au passage qu’un cosmétique ne peut se substituer à un médicament et qu’il est bon de se souvenir qu’il ne contiendra pas de « principes actifs » mais des « actifs ».13 Si l’on se penche sur la composition de la bave d’escargot, on se rend compte très rapidement que celle-ci est composée majoritairement d’eau et que l’allantoïne n’y est présente qu’en faibles proportions (environ 50 mg/L).14 Sachant qu’il faut récolter 10 litres de bave d’escargot pour isoler 0,5 gramme d’allantoïne, il paraît difficile de pouvoir incorporer la dose minimale nécessaire dans une formule conditionnée en pot de 100 grammes ! 

L’allantoïne, un actif obtenu désormais par synthèse

L’allantoïne utilisée dans le domaine cosmétique est obtenue actuellement par synthèse, en réalisant une oxydation alcaline de l’acide urique.15 

L’allantoïne, en bref

En feuilletant l’album souvenir de cette molécule bien sympathique, il apparait clairement que l’allantoïne est vraiment un bon petit soldat qui vient en aide au service des peaux malmenées, à point nommé. De la crème pour les mains (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/mixa-soin-des-mains-surgras-une-creme-qui-vous-veut-du-bien-22/) à l’eau démaquillante (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/les-demaquillants-apaisants-a-la-rose-c-est-chez-nuxe-400/) en passant par les produits d’hygiène intime (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/hygiene-intime-corine-de-farme-un-seul-produit-sur-le-podium-570/), l’allantoïne est la bienvenue dans tous nos cosmétiques.


Vraiment tous nos cosmétiques ? Non pas vraiment. Il existe un domaine où l’ajout d’un actif apaisant n’est pas une bonne idée : c’est le domaine de la protection solaire. Dans ce cas, l’allantoïne restera prudemment en retrait pour notre plus grand plaisir !

Bibliographie

1 Anonyme, Allantoin, maggots and wounds, Journal of the Franklin Institute, 220, 1, 1935, Page 68.
2 Sílvia B. Filippi, Ricardo A. Azevedo, Ladaslav Sodek, Paulo Mazzafera, Allantoin has a limited role as nitrogen source in cultured coffee cells, Journal of Plant Physiology, 164, 5, 2007, Pages 544-552.
3 Frederick R. Greenbaum, Allantoin: A new granulation tissue stimulating substance with especial emphasis on allantoin in ointment form, The American Journal of Surgery, 34, 2, 1936, Pages 259-265.
4 Andre Baumann, Marisa Skaljac, Rüdiger Lehmann, Andreas Vilcinskas, Zdenӗk Franta, Urate Oxidase produced by Lucilia sericata medical maggots is localized in Malpighian tubes and facilitates allantoin production, Insect Biochemistry and Molecular Biology, 83, 2017, Pages 44-53.
5 Dorvault l’officine, Vigot, Paris, 1995, 2089p.
6 Rachael Frost, Susan O'Meara, Hugh MacPherson, The external use of comfrey: A practitioner survey, Complementary Therapies in Clinical Practice, 20, 4, 2014, Pages 347-355.
7 Siegfried E. Drewes, Johannes van Staden, Determination of allantoin in Protea seed, Phytochemistry, 14, 3, 1975, Pages 751-753
8 Yi-Chung Fu, Lin-Huei A. Ferng, Pau-Yau Huang, Quantitative analysis of allantoin and allantoic acid in yam tuber, mucilage, skin and bulbil of the Dioscorea species, Food Chemistry, 94, 4, 2006, Pages 541-549.
9 https://www.vidal.fr/Medicament/cicatryl-3816.htm

10 S. Dale Spotts, Joseph B. Davis, Allantoin-sulfanilamide ointment in surgery, The American Journal of Surgery, 69, 1, 1945, Pages 4-8. 

11 Jerry J Garnick, Baldev Singh, Gail Winkley, Effectiveness of a medicament containing silicon dioxide, aloe, and allantoin on aphthous stomatitis, Oral Surgery, Oral Medicine, Oral Pathology, Oral Radiology, and Endodontology, 86, 5, 1998, Pages 550-556.
12 https://www.mlle-agathe.fr/proprietes-bienfaits-bave-descargot
13 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/actif-versus-principe-actif-12/
14 Mohamed Ahmed S. El Mubarak, Fotini N. Lamari, Christos Kontoyannis, Simultaneous determination of allantoin and glycolic acid in snail mucus and cosmetic creams with high performance liquid chromatography and ultraviolet detection, Journal of Chromatography A, 1322, 2013, Pages 49-53
15 Raquel Rennó Braga, Juliana Sales, Rita de Cassia Elias Estrela Marins, Gisela Maria Dellamora Ortiz, Sheila Garcia, Development and validation of a method for allantoin determination in liposomes and pharmaceutical formulations, Spectrochimica Acta Part A: Molecular and Biomolecular Spectroscopy, 91, 2012, Pages 389-394.

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