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L’Alcmène d’Amphitryon, c'est l'histoire d’une blonde affriolante au parfum ambré

> 31 mai 2020

L’Alcmène d’Amphitryon, c'est l'histoire d’une blonde affriolante au parfum ambré

Pour la trente-huitième version du mythe d’Amphitryon (il les a semble-t-il comptées une à une avec grand soin),1 Jean Giraudoux mêle à plaisir héros grecs et dieux romains. Dans une pièce en trois actes, il n’hésite pas à prêter des sentiments humains à des dieux et à déifier la beauté bien humaine d’Alcmène, la femme d’Amphitryon, « la plus belle des Grecques ».
Jupiter est fou amoureux d’Alcmène ; il s’est juré de passer une nuit d’amour avec elle. Seul hic, Alcmène est fidèle à son époux, d’une fidélité quasiment pathologique. Afin de se glisser dans la couche de sa victime, « blonde, grasse à point », Jupiter est aidé par Mercure qui lui glisse à l’oreille un perfide conseil : « Fais-toi passer pour Amphitryon ; fais-le partir à la guerre.». Jupiter qui souhaite être aimé pour lui-même renâcle un peu, puis cède à la tentation, se disant, qu’après tout, c’était toujours mieux que rien.

Les personnages entrent en scène. Amphitryon, Alcmène, Léda et Jupiter vont se livrer à des tours de passe-passe pour esquiver les coups du destin. Comme dans un bon vaudeville, les portes claquent. Les quiproquos s’enchaînent. Les maris trompés sont les derniers à le savoir...

Alcmène, la blonde de service, à bonne haleine

Alcmène est une jeune femme « blonde et rose », qui se maquille à ravir. Comme elle ne peut pas se laisser bronzer par le soleil (elle se « hâle affreusement l’été »), elle a recours à une poudre de soleil pour illuminer ses pommettes (« toujours rehaussée au visage par du soleil »). Son haleine est merveilleuse (« C’est le cytise qui est parfumé par ta bouche ») et son corps baigné d’ambre, car c’est le « parfum préféré de » son « mari ». Dans la journée, elle se parfume avec un parfum dont elle garde jalousement le secret.

Amphitryon, le brun de service, juste un peu ridé

Amphitryon est un jeune homme brun, « coquet avec la guerre », qui se rase de près avant d’y partir. Un peu anxieux sans doute, sa main a tremblé légèrement, occasionnant une petite coupure. Mauvais présage ! Habituée à voir son époux traîner à la maison, une barbe de quelques jours au visage, Alcmène s’étonne : « On se rase maintenant pour aller à la guerre ? Tu comptes paraître plus redoutable avec la peau poncée ? » La jalousie est bien là... Amphitryon est un bel homme qui pourrait aussi bien succomber à des déesses « roses sans fard » et « nacrées sans poudre » qu’à des étrangères belles ou « arrogamment laides » cosmétiquées à souhait et laissant derrière elles un sillage parfumé jusque-là inconnu. Son visage est exempt de rides, à l’exception de celles qui se forment aux coins de ses yeux à force de sourire.

Jupiter, le déguisé de service

Afin de pouvoir partager la couche d’Alcmène, Jupiter se rend dans un magasin de farces et attrapes. Il loue un costume un peu trop grand car il n’en reste plus qui soit à sa taille. « Et resserrez un peu votre sac humain, vous y flottez ». Mercure, appelé à la rescousse pour juger de l’effet produit, ironise. Sous le costume, on reconnaît le dieu à cent lieues à la ronde ! Les yeux sont trop brillants, la peau « trop lisse, trop douce », une vraie peau de bébé. Il va falloir arranger tout cela et transformer cette peau qui sent le lait en une peau de 30 ans, une peau qui a un goût un peu plus épicé ! En se concentrant bien sur le sujet, Jupiter arrive à vieillir... Ses cheveux et ses ongles poussent, ses rides se creusent. L’illusion est presque totale.

Léda, la déguisée de service

Encouragé par son récent succès, Jupiter, qui a récupéré ses traits divins, réclame à Alcmène une nuit d’amour. La femme qui se croit toujours fidèle à son mari s’offusque et prépare, avec Léda, un stratagème afin de tromper Jupiter. Léda qui apprécie fort la compagnie de Jupiter et est habituée à ses visites (« [...] parfois une ombre de cygne qui se pose sur moi dans le bain, et que nul savon n’enlève. ») accepte le marché.

Mercure, le fourbe de service

Mercure, c’est le dieu qui chuchote à l’oreille de Jupiter et à l’oreille d’Amphitryon. Après avoir aidé son collègue à séduire Alcmène, il se plaît à distiller dans l’esprit d’Amphitryon le germe de la jalousie. A peine parti à la guerre, déjà revenu au pied du lit de sa femme au petit matin, histoire de vérifier que tout va bien. Celle-ci vient de passer la nuit avec Jupiter déguisé en Amphitryon (déguisement réussi s’il en est !) et retrouve le vrai Amphitryon au petit matin. Oui, mais cet Amphitryon-là, elle s’en méfie. Ne serait-ce pas Jupiter qui aurait pris les traits de l’époux tant aimé pour arriver à ses fins ? Et hop... que je te pousse dans les bras de Léda recouverte de voiles pour me débarrasser de toi ! Fatale erreur !

Un cadeau divin, l’oubli

Quel succulent micmac que cette comédie où les dieux veulent se glisser dans la peau des humains ! Il y a de la trahison dans l’air. Il y a de l’eau dans le gaz et de la jalousie dans les cœurs. Heureusement, Jupiter n’est pas un mauvais dieu. Avant de quitter Alcmène, il lui fait cadeau de l’oubli, une défaillance de la mémoire bien utile en certaine circonstance. Pourvu qu’elle n’oublie pas sa routine beauté, c’est le principal !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour ta vision de la tragédie antique !

Bibliographie

1 Giraudoux J. Amphitryon 38, Le livre de Poche, 245 pages

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