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L’agar, c’est bien… l’agar-agar, c’est bien bien !

> 03 janvier 2022

L’agar, c’est bien… l’agar-agar, c’est bien bien !

L’agar est un polymère de galactose,1 présent dans la paroi cellulaire de certaines algues rouges,2 susceptible d’être utilisé pour la formation de films alimentaires3 ou permettant de modifier la viscosité des jus de fruits ou d’autres préparations alimentaires (l’agar est l’additif E406).4 Selon le mode d’extraction choisi, on obtiendra des polysaccarides plus ou moins purifiés.5 Pour l’inventaire européen, l’agar (nom INCI agar) est un « agent liant, un agent de contrôle de la viscosité, un parfum.6 Pour la littérature scientifique ancienne, l’agar-agar (et non pas encore l’agar) consiste en une algue originaire de Java, permettant la réalisation de gels à finalité alimentaire ou... médicale (la gélose utilisée en bactériologie comme milieu de culture n’est rien d’autre qu’une préparation à base d’agar-agar ; les empreintes dentaires également se pratiquent avec un gel d’agar-agar). Les galénistes et les cosmétologues d’aujourd’hui voient, dans cet ingrédient d’origine marine, un additif permettant la réalisation d’hydrogels applicables aussi bien au domaine pharmaceutique qu’au domaine cosmétique. L’histoire de cet ingrédient a un petit goût de réhabilitation... pour comprendre on se penchera sur l’histoire de Mme Hesse une cuisinière et bactériologiste pleine de ressources.

Pour François Dorvault

L’Officine, si chère au pharmacien, connaît bien l’agar-agar (ou aga-aga ou Thao ou Algues de Java, du Japon ou de Chine ou Gelidium corneum et algues voisines). Sous ce nom cabalistique et bégayant se cache, selon la monographie qui lui est consacrée dans cet ouvrage, diverses algues Rodophycées des genres Gelidium, Euchema, Gracilaria... Pour les Chinois, l’agar-agar se retrouve aussi bien dans la cuisine sous forme de mets, que dans le dressing (l’agar-agar permettant la confection d’un apprêt pour les étoffes de soie). La gelée compacte qui en résulte (son nom est Tjintiow), une fois exportée en Europe, est dénommée « colle de poisson du Bengale », « colle de Chine » ou bien « colle du Japon » ou même gélatine. Gelée passe-partout à la fois incolore, insipide, inodore. Les chercheurs les plus bretonnants voient dans le Gelidium sesquipedale breton une source d’agar-agar supérieure à celle d’Extrême-Orient...7

Pour le capitaine Grant, installé aux Indes et pour Mme Hesse, femme d’intérieur et technicienne de laboratoire

Pour en revenir à cette appellation agar-agar, précisons qu’elle est d’origine malaise. Dans une publication datant de la toute fin du XIXe siècle, le capitaine Grant (pas celui de Jules Verne, un vrai capitaine, cette fois, en chair et en os), chirurgien de son état, consacre une petite bibliographie à un ingrédient très utilisé dans les laboratoires de bactériologie (l’agar-agar permettant en effet le remplissage des fameuses boites de gélose). Outre cet usage, le capitaine fait état d’une merveilleuse gelée d’agar-agar, consommée par les musulmans, à certaines périodes de l’année.8 Le lien cuisine - bactériologie mérite d’être évoqué ici en détails. Dans le domaine de la recherche de milieux de culture performants, c’est là que Mme Fannie Hesse, épouse du Dr Walther Hesse, va faire une entrée en scène mémorable. Cette bonne maitresse de maison, aussi habile aux fourneaux qu’au laboratoire, concocte soupes et bouillons de culture avec le même enthousiasme. Lorsque le Dr Hesse s’attaque à l’étude de la qualité bactériologique de l’air, en capturant celui-ci dans des tubes remplis de gélatine, Fannie l’entend plus souvent pester qu’exulter. Les micro-organismes s’attaquent à la gélatine et ruinent ses chances de mise en culture. C’est là où Fannie, qui connaît les propriétés gélifiantes de l’agar-agar depuis des années - elle s’en sert effectivement pour mettre au point des gelées de fruits savoureuses et tient la recette de sa mère qui la tient elle-même d’amis ayant vécu à Java où l’agar-agar est un standard de l’art culinaire – va faire merveille. En deux mots, en un ingrédient, elle fournit à son époux la solution au problème qui le tracasse lui et ses collègues depuis des années. Ni une ni deux, une lettre est adressée à Robert Koch (on est en 1881) qui étudie alors le bacille de la tuberculose ; dans une publication, Koch, qui a fait sienne la recette de Fannie, fera mention de ce milieu de culture à base d’agar-agar. Une seule petite ligne, pas une de plus, sans mention à Mme Hesse. Cette plaisante histoire racontée par Arthur Parker Hitchens et Morris C. Leikind, dans une revue de bactériologie en 1939, permet de faire toute la lumière sur le sujet. L’article qui se termine par un appel à rendre à César son dû (la gélose nature ne pourrait-elle pas s’appeler désormais « milieu de Mme Hesse ») est resté assez confidentiel.9 La vérité est toutefois rétablie !

Pour le dentiste d’antan

Agar-agar rime avec « Nogacoll », un matériau destiné à réaliser des empreintes au niveau de la cavité bucco-dentaire. Son inventeur se nomme Alphons Poller ; il dépose un brevet pour la préparation en 1925.10

Pour le galéniste contemporain

L’agar-agar (ou seulement agar, selon les auteurs) constitue un additif intéressant pour la mise au point d’hydrogels permettant de servir d’excipients à des actifs interférant avec le processus de cicatrisation.11,14 En revanche, il faut se rappeler que cet ingrédient est apprécié des micro-organismes, ce qui a son importance en matière de formulation et de propreté microbiologique du milieu.15

Pour le cosmétologue d’aujourd’hui

L’agar-agar constitue un actif protecteur des membranes cellulaires, du fait d’un effet inhibiteur de la peroxydation lipidique.16 Pour le formulateur en quête d’exotisme, des associations avec d’autres gélifiants comme l’amidon d’igname pied d’éléphant et la gomme xanthane sont envisageables.17

L’agar ou agar-agar, en bref

L’agar n’est pas vraiment bien représenté, actuellement, dans le domaine cosmétique. L’extrait de Gelidium sesquipedale fait toutefois de pâles apparitions.18 Chercher l’agar-agar dans les formules du commerce demande patience et courage, tant sa discrétion est patente. Un ingrédient qui mérite sans doute que l’on se penche un peu sur son cas, afin d’évaluer toutes ses potentialités en ces temps où la recherche du naturel à tout crin oblige l’industrie cosmétique à partir à l’assaut des ingrédients oubliés.

Bibliographie

1 Moira Bertasa, Andrea Dodero, Maila Castellano, Agar gel strength: A correlation study between chemical composition and rheological properties, 123, 2020, 109442

2 Xiaodan Chen, Xiaoting Fu, Xin Gao, Agar oligosaccharides: A review of preparation, structures, bioactivities and application, 2021, 118076

3 Fatemeh Sadat Mostafavi, Davood Zaeim, Agar-based edible films for food packaging applications - A review, International Journal of Biological Macromolecules, 159, 2020,  1165-1176

4 Juliana N. da Costa, Amanda R. Lea, Paulo Henrique M. de Sousa, Texture, microstructure and volatile profile of structured guava using agar and gellan gum, International Journal of Gastronomy and Food Science, 20, 2020, 100207

5 Marta Martínez-Sanz, Laura G. Gómez-Mascaraque, Amparo López-Rubio, Production of unpurified agar-based extracts from red seaweed Gelidium sesquipedale by means of simplified extraction protocols, Algal Research, 38, 2019, 101420

6 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=31385

7 Dorvault F., L’Officine, Vigot, 23e édition, Paris, 1995, 2089 pages

8 A E Grant I M S, Agar-Agar, Ind Med Gaz, 1897, 32, 1, 4-5

9 Hitchens AP, Leikind MC., The Introduction of Agar-agar into Bacteriology., J Bacteriol., 1939, 37, 5, 485-93

10 Dilip A, Gupta R, Geiger Z., Dental Alginate Impressions., 2020, In: StatPearls [Internet]. Treasure Island (FL): StatPearls

11 Basha SI, Ghosh S, Vinothkumar K, Ramesh B, Kumari PHP, Mohan KVM, Sukumar E., Fumaric acid incorporated Ag/agar-agar hybrid hydrogel: A multifunctional avenue to tackle wound healing., Mater Sci Eng C Mater Biol Appl., 2020, 111, 110743

12 Tülin Gürkan Polat, Osman Duman, Sibel Tunç, Agar/κ-carrageenan/montmorillonite nanocomposite hydrogels for wound dressing applications, International Journal of Biological Macromolecules, 164, 2020, 4591-4602

13 Basha SI, Ghosh S, Vinothkumar K, Ramesh B, Kumari PHP, Mohan KVM, Sukumar E., Fumaric acid incorporated Ag/agar-agar hybrid hydrogel: A multifunctional avenue to tackle wound healing., Mater Sci Eng C Mater Biol Appl., 2020, 111, 110743

14 Tülin Gürkan Polat, Osman Duman, Sibel Tunç, Agar/κ-carrageenan/montmorillonite nanocomposite hydrogels for wound dressing applications, International Journal of Biological Macromolecules, 164, 2020, 4591-4602

15 Nil Erge Akkaya, Cagla Ergun, Huceste Catalgil-Giz, New biocompatible antibacterial wound dressing candidates; agar-locust bean gum and agar-salep films, International Journal of Biological Macromolecules, 155, 2020, 430-438

16 Trommer H, Neubert RH., The examination of polysaccharides as potential antioxidative compounds for topical administration using a lipid model system., Int J Pharm., 2005, 14, 298, 1, 153-63

17 Nagar M, Sharanagat VS, Kumar Y, Singh L, Mani S., Influence of xanthan and agar-agar on thermo-functional, morphological, pasting and rheological properties of elephant foot yam (Amorphophallus paeoniifolius) starch., Int J Biol Macromol., 2019, 1, 136, 831-838

18 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/alga-maris-enfant-50-un-produit-peu-efficace-652/

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