> 15 septembre 2024
Le client le plus obstiné du monde est, comme son nom l’indique, un drôle de client, qui, par un beau jour du mois de mai (le 3 exactement), s'est tapé l’incruste sur une chaise du café des Ministères de 8h10 du matin à 23 heures !1 Le temps de consommer pour ce drôle de pensionnaire : « trois cafés, un quart vichy et une limonade. »
A 23 heures, ce client obstiné est sorti du café. Et un homme qui a passé, quant à lui, sa journée, dans le café d’en face, « Chez Léon » a été abattu d’une balle de révolver !
Etrange histoire !
Dans cette nouvelle, Georges Simenon nous décrit un Paris printanier, fleurant bon le « parfum légèrement sucré des marronniers » ; cette odeur végétale se mêle à « l’odeur du Pernod », qui remplit les verres des consommateurs en fin de matinée.
Un Paris délicieux, que l’on devrait, selon Georges Simenon, « savourer » comme « on déguste un sorbet » !
La caissière, Melle Berthe, une femme « grasse, molle, rose et placide » se décolore les cheveux à l’eau oxygénée. Depuis sa caisse, elle a observé l’homme une partie de la journée.
Le patron de l’établissement, M. Monnet, ne descend travailler que vers 11 heures. Il a pris tout son temps pour se pomponner ; il est donc « rasé de frais », « les cheveux gris bien lissés » !
Le client obstiné porte des « moustaches teintes » et « cirées ». « Car l’homme a de courtes moustaches retroussées, sans doute au petit fer, d’un noir bleuté qui fait penser à la teinture » ; les employés s’interrogent sur le caractère naturel ou artificiel de cette paire de bacchantes et finissent par opter pour le caractère synthétique de cette moustache, qui ressemble, comme deux gouttes d’eau, à celle d’un colonel qui fréquente l’établissement et se teint les moustaches !
Les employés ne sont pas tous d’accord concernant la description de celui qui est, pourtant, resté sous leurs yeux pendant des heures. Quant à son âge, « Les uns diront peut-être quarante-cinq ans ou davantage, à cause de la teinture des moustaches. »
Et le commissaire Maigret insiste : « Car elles étaient teintes ? ». Et le médecin qui a constaté le décès de répondre : « Je le suppose… »
On finira par savoir qu’il s’agit d’un certain M. Auger. On n’en saura pas plus, en revanche, concernant ses moustaches.
A un moment de la journée, les employés du café ont vu une « personne plutôt bien », « presque pas maquillée » se rapprocher du client obstiné ! Une jeune femme, d’une trentaine d’années. « Bien convenable, pas maquillée ou à peine », surenchérissent les personnes qui l’ont vue !
On finira par savoir qu’il s’agit de Mme Isabelle Auger, l’épouse du client obstiné !
Ce client-là a sensiblement le même âge. Il a dû voyager en Afrique, car il a les pieds couverts de « cicatrices de chiques », ces « tiques » africaines, qui s’incrustent dans la peau « et qu’il faut extraire avec un couteau ».
Sa trace est retrouvée à l’hôtel du chemin de fer à Juvisy. L’homme se nomme Ernest Combarieu.
A l’Identité judiciaire, des photographes « maquillent le cadavre » et retouchent « l’épreuve », afin de donner au mort l’aspect d’un vivant. Munis de cette photographie, les agents peuvent ensuite faire du porte-à-porte, pour retrouver la trace de l’inconnu qu’ils ont pour mission d’identifier.
Marthe et Isabelle. Marthe se mariant avec un aventurier. Isabelle se mariant avec un courtier en assurances. La stabilité d’un côté, l’imprévu de l’autre. Lorsque le mari de Marthe, Ernest Combarieu, revient du Gabon, son beau-frère lui annonce la mort de son épouse Marthe. Sauf qu’Ernest n’est pas fou. Sa femme… il l’a reconnue. C’est celle qui se fait passer pour sa sœur défunte !
Une guerre intestine entre un couple convenable et un expatrié aviné.
C’est Isabelle (ou sans doute Marthe, si on a tout suivi) qui a tiré le coup de feu et mis le point final à cette étrange histoire !
Le commissaire Maigret n’a pas vraiment de doute. Entre Isabelle et Marthe, son opinion est faite. Mais, pourrait-on blâmer Marthe d’avoir voulu troquer un mari sans le sou et aviné contre un homme sobre à la moustache savamment cirée et teintée ?
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.
1 Simenon G., Le client le plus obstiné du monde in Maigret et l’inspecteur malgracieux, Presses de la cité, Paris, 1983, 185 pages