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L’acide déhydroacétique, un conservateur qui rend belles les oranges et pas que…

> 28 août 2019

L’acide déhydroacétique, un conservateur qui rend belles les oranges et pas que…

Dans son sketch « Les oranges », Fernand Raynaud se veut pragmatique.1 Son employé zélé, plein de bonne volonté, se propose d’attirer la clientèle à l’aide d’une ardoise sur laquelle on peut lire : « Ici, on vend de belles oranges ». D’argument en argument, l’employé convaincu (plus ou moins) et obéissant (plus que moins) efface un à un chaque mot ; à la fin, il ne va plus rester que le mot « oranges » ! Dans le cas du conservateur que nous nous proposons de présenter aujourd’hui, il en va un peu de même ; cet agent antimicrobien qui protège les agrumes du pourrissement répond au nom chimique de 3-Acétyl-6-méthyl-2H-pyran-2,4(3H)-dione ; il est listé en Annexe V du Règlement (CE) N°1223/2009.2 Il est retrouvé dans un grand nombre de cosmétiques, aussi bien biologiques que conventionnels. Lorsque l’on étudie de près son curriculum vitae, on constate qu’il y a peu de chose à en dire et… c’est plutôt une bonne chose !

Des propriétés antimicrobiennes avant tout

Les propriétés antimicrobiennes de l’acide déhydroacétique ont été découvertes après le Seconde Guerre mondiale. Utilisé sous forme acide ou sous forme de son sel de sodium, indifféremment, ce conservateur exerce un effet antifongique par altération de la membrane cellulaire des microorganismes.3 A faible concentration, le déhydroacétate de sodium a une activité bactériostatique qui s’exerce vis-à-vis de nombreux germes ; cet effet peut être renforcé par synergie avec la monolaurine ou des acides organiques. Comparé au sorbate de potassium, le déhydroacétate de sodium possède une activité bactériostatique plus forte et ce quel que soit le pH du milieu considéré.4 Il permet aussi bien d’éviter le pourrissement des fruits lors de leur stockage,5 que de préserver la propreté microbiologique des cosmétiques au moment de leur emploi.

Une incompatibilité avec les générateurs de formol

Dans les années 1980–1990, on associe fréquemment le déhydroacétate de sodium à des générateurs de formol (imidazolidinylurée, bromo-nitropropanediol…) dans les cosmétiques, afin d’assurer leur conservation. On se rend alors compte qu’il y a formation d’un précipité.6 Ceci entraîne une baisse d’efficacité du conservateur car la molécule générée ne possède pas d’activité antimicrobienne.7 Ce problème a longtemps gêné les chercheurs qui ont cherché pendant de nombreuses années à mettre au point des systèmes ingénieux (mise au point d’emballage renfermant du déhydroacétate de sodium susceptible d’être libéré au moment de l’ouverture du cosmétique) afin d’éviter la perte d’efficacité du système conservateur au fil du temps.8 Le plus sage reste sûrement de ne plus avoir recours aux générateurs de formol, tout simplement !

Quelques cas d’allergie déclarés

L’acide déhydroacétique est un conservateur sûr d’emploi.9 Quelques cas d’allergies ont cependant été déclarés chez des personnes souffrant d’ulcères de la jambe traités à l’aide de spécialités cicatrisantes, antifongiques ou anti-prurigineuses.10,11

Un conservateur qui franchit les portes de l’hôpital

La sécheresse cutanée extrême touche un grand nombre de sujets âgés. Ce phénomène peut être aggravé par une toilette réalisée avec des produits asséchants. Afin d’éviter d’aggraver cette xérose au moment des soins d’hygiène, des équipes belges ont proposé l’utilisation, lors du nursing, de gants imbibés d’un produit nettoyant (Aqua, Propylene Glycol, Coco-Glucoside, Phenoxyethanol, Parfum, Benzoic acid, Polyaminopropyl Biguanide, Octyldodecanol, Aloe Barbadensis Extract, Glycine Soja Oil, Dehydroacetic Acid, Sodium Lauroamphoacetate, Calendula Officinalis Extract, Tilia Cordata Extract, Melissa Officinalis Extract, Hamamelis Virginiana Extract, Echinacea Purpurea Extract, Chamomilla Recutita Extract, Centella Asiatica Extract, Aloe Barbadensis Gel, Tocopherol).12

La fréquence de survenue d’eczéma au niveau des mains est élevée parmi le personnel soignant ; afin de limiter ce phénomène lié à l’utilisation fréquente de solutions désinfectantes, il est possible d’utiliser une crème barrière protectrice. Celle proposée par des équipes allemandes en 2017 est conservée, entre autre, à l’aide d’acide déhydroaétique. La formule de l’émulsion est la suivante : octyloctanoate, polyglyceryl-2-dipolyhydroxystearate, dioctylcyclohexane, glycerol, Buxus chinensis (jojoba oil), Cera alba (beeswax), panthenol, magnesium sulfate, hydrolyzed wheat protein, allantoin, methylparaben, propylparaben, phenoxyethanol, dehydroacetic acid, sorbic acid, benzoic acid, lactic acid.13 Pour notre part, il ne nous parait pas judicieux d’incorporer dans ce type de formule un hydrolysat de protéines de blé, celui-ci étant connu pour être susceptible d’engendrer diverses manifestations allergiques chez les coiffeurs mis au contact avec des cosmétiques en contenant.14

L’acide déhydroacétique, en bref

Incompatibles avec les générateurs de formol (c’est une bonne nouvelle pour nous qui sommes incompatibles avec cette catégorie de conservateurs), adaptables et tout terrain, l’acide déhydroacétique et son sel de sodium sont des conservateurs antimicrobiens sûrs qui n’ont pas besoin de longs argumentaires publicitaires pour être choisis par les formulateurs.

Bibliographie

1 https://www.youtube.com/watch?v=f0OJdiHRglc

2 http://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=33185

3 Tang X, Ouyang Q, Jing G, Shao X, Tao N, Antifungal mechanism of sodium dehydroacetate against Geotrichum citri-aurantii., World J Microbiol Biotechnol., 2018, 19, 34, 2, 29

4 Yumei Zhang, Hailong Liu, Zengrong Yu, Kai Wang, Jun Yin, Sodium dehydroacetate levels in chicken tissues, Journal of Food Composition and Analysis, 47, 2016, Pages 31-37

5 Lu Li, Xu Tang, Qiuli Ouyang, Nengguo Tao, Combination of sodium dehydroacetate and sodium silicate reduces sour rot of citrus fruit, Postharvest Biology and Technology, 151, 2019, Pages 19-25

6 Bennassi CA, Semenzato A, Lucchiari M, Bettero A., Dehydroacetic acid sodium salt stability in cosmetic preservative mixtures, Int J Cosmet Sci., 1988, 10, 1, Pages 29-32

7 Gazzaniga A, Sangalli ME, Giordano F, Conte U, Semenzato A, Bettero A., Controlled release of dehydroacetic acid sodium salt for the stability improvement of cosmetic formulations, Int J Cosmet Sci., 1994, 16, 3, Pages 105-12

8 L. Zema, M. E. Sangalli, A. Maroni, A. Foppoli, A. Gazzaniga, Activepackaging for topical cosmetic/drug products: A hot-melt extruded preservative delivery device, European Journal of Pharmaceutics and Biopharmaceutics, 75, 2, 2010, Pages 291-296

9 Final Report on the Safety Assessment of Sodium Dehydroacetate and Dehydroacetic Acid, 4, 3, 1985, Pages 123-159

10 Milpied B, Collet E, Genillier N, Vigan M., Allergic contact dermatitis caused by sodium dehydroacetate, not hyaluronic acid, in Ialuset® cream, Contact Dermatitis., 2011, 65, 6, pages 359-61

11 Foti C, Romita P, Ettorre G, Angelini G, Bonamonte D, Allergic contact dermatitis caused by resorcinol and sodium dehydroacetate in a patient with leg ulcers, Contact Dermatitis., 2016, 74, 6, Pages 383-384).

12 Katrin Gillis, Inge Tency, Ella Roelant, Sarina Laureys, Dirk Lips, Skin hydration in nursing home residents using disposable bed baths, Geriatric Nursing, 37, 3, 2016, Pages 175-179

13 Helga Paula, Nils-Olaf Hübner, Ojan Assadian, Katja Bransmöller, Axel Kramer, Effect of hand lotion on the effectiveness of hygienic hand antisepsis: Implications for practicing hand hygiene, American Journal of Infection Control, 45, 8, 2017, Pages 835-838

14 Lissa Airaksinen, Paula Pallasaho, Risto Voutilainen, Maria Pesonen, Occupational rhinitis, asthma, and contact urticaria caused by hydrolyzed wheat protein in hairdressers, Annals of Allergy, Asthma & Immunology, 111, 6, 2013, Pages 577-579

 

 

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