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L’acide benzoïque, une molécule qui a de l’affinité pour le fromage et la crème pour les pieds !

> 04 septembre 2019

L’acide benzoïque, une molécule qui a de l’affinité pour le fromage et la crème pour les pieds !

L’acide benzoïque est un ingrédient trouvé naturellement dans un certain nombre d’aliments, mais obtenu par voie de synthèse pour des questions pratiques évidentes. Incorporé un temps dans les préparations médicamenteuses, cet antiseptique est tombé en désuétude et n’est plus retrouvé que dans des produits préparés par les industrie agro-alimentaire et cosmétique. Dans ces deux types de produits, il joue le rôle de conservateur antimicrobien. Lorsque l’on se penche sur son cas, on se rend compte qu’il est relativement bien toléré et qu’il ne déclenche aucune polémique. Il n’y a donc aucune raison de lui faire grise mine. Du fromage à la crème pour les pieds,1 ce conservateur qui ne manque pas d’humour se dévoile en nous disant tout sur lui.

Où en trouve-t-on ?

L’acide benzoïque est un conservateur antimicrobien retrouvé aussi bien dans les aliments que dans les médicaments (noter ici son caractère historique) ou les cosmétiques d’hier et d’aujourd’hui. Utilisé comme additif alimentaire (la dose journalière admissible est de 5 mg/kg de poids corporel/j),2 il permet d’éviter le développement de germes responsables d’intoxications, tels que Listeria monocytogenes, Vibrio sp., Escherichia coli ou Penicillium sp. On le retrouve également naturellement dans les produits laitiers ou les fromages, du fait de sa production lors du processus de fermentation,3 mais également dans certains fruits et légumes ou épices. Selon les ferments utilisés pour fabriquer le fromage, selon la température et la durée du processus, le taux d’acide benzoïque sera variable (les valeurs extrêmes étant de 2,38 et de 14,55 mg/kg).4 On en retrouve également dans le kéfir lacté, une boisson traditionnelle du Caucase. Les grains de kéfir sont de petits granules de forme irrégulière, d'aspect semblable à celui d’un chou-fleur, contenant une communauté microbienne diversifiée, formée d'espèces bactériennes et de levures présentes dans une matrice exopolysaccharidique spéciale, appelée kéfiran.5 Ces grains se transmettent de génération en génération et permettent, dans les bonnes conditions, d’obtenir une boisson qui est considérée comme le champagne des boissons fermentées. C’est enfin l’un des composés du baume du Pérou, Myroxylon balsanum pereirae,6 et de la teinture de benjoin (Styrax benzoin).

Comment l’obtient-on ?

C’est Blaise de Vigenère, dans son Traité du feu et du sel, paru en 1608, qui donne, le premier, le secret de sa fabrication. Le point de départ est le benjoin, qui est traité à la « chaleur ménagée ». Il semblerait que si l’on chauffe un mélange de benjoin et de sable, dans une terrine recouverte « d’une feuille de papier à filtrer bien tendu et d’un tissu peu serré » et d’un « chapeau de carton, traversé par des fils », on pourra recueillir de l’acide benzoïque sublimé. Pour ceux qui trouvent ce procédé un peu étrange et pas très précis, il est possible d’utiliser un protocole qui nous vient d’Allemagne et qui consiste à transformer l’acide hippurique, contenu dans l’urine des chevaux, en acide benzoïque. L’acide hippurique ou benzoyl-glycocolle, présent dans l’urine à raison de 0,38 %, par réaction avec de l’acide chlorhydrique, donne du chlorhydrate de glycocolle et de l’acide benzoïque. Ceux qui ne s’imaginent pas manipulant de l’urine de cheval ou dont le nez délicat s’accommode mal avec l’odeur désagréable du produit obtenu se tourneront vers une troisième possibilité, en oxydant du toluène ou l’un de ses dérivés chlorés, en présence d’acide nitrique ou d’acide acétique.7,8

Un principe actif un peu oublié

Les formulaires pharmaceutiques anciens font état de l’usage de l’acide benzoïque pour le traitement des bronchites chroniques (mise à profit de son effet expectorant) et des cystites et pyélites (comme balsamique). C’est à l’aide de cuillérées à soupe d’une potion composée d’acide benzoïque (1 g), de cognac (20 g), de sirop de bourgeons de pin (20 g) et d’eau de tilleul (quantité suffisante pour 150 cm3) que l’on tente de traiter les problèmes pulmonaires.9 L’acide benzoïque entre également dans la composition de l’élixir parégorique, une préparation sédative et anti-diarrhéique, inscrite au Codex Français en 1837. La préparation à base d’opium (0,5 %), d’alcool, de camphre, d’essence d’anis et d’acide benzoïque fait son apparition sur le marché français au XIXe siècle.10

La teinture de benjoin qui renferme de l’acide benzoïque est, quant à elle, utilisée à partir du XVe siècle pour traiter les plaies, les ulcères, les fissures des mamelons, des lèvres et de l'anus. Le baume du Commandeur de Pernes constitue une préparation emblématique à base de teinture de benjoin. On en trouve la composition exacte dans un ouvrage datant de 1697, intitulé Histoire générale des drogues.11 C’est grâce à des compresses de teinture de benjoin que l’on aseptise et que l’on permet la cicatrisation des plaies, au XIXe siècle. Le Dr Fergus Brown présente ainsi deux cas cliniques dont il est très fier dans le journal The Lancet.12 Il n’est pas le seul à y faire référence, puisque l’on retrouve d’autres auteurs évoquant des cas cliniques similaires durant la même période.13 La teinture de benjoin entre dans la composition de nombreuses préparations, allant de l’eau hémostatique à la poudre contre la coqueluche, en passant par la lotion contre l’acné ou la poudre anti-catarrhale.14 Dans les années 1950, lorsqu’il y a nécessité de réaliser des pansements à l’aide de rubans adhésifs, on utilise la teinture de benjoin afin d’augmenter l’adhérence de ceux-ci à la peau. On mélange également la teinture de benjoin à de l’eau et de la glycérine pour permettre la réalisation de fumigations.15 La teinture de benjoin est également préconisée pour le traitement des affections bulleuses survenant au niveau de la cavité buccale.16

A l’heure actuelle, l’acide benzoïque a déserté le domaine pharmaceutique.

Quel est son taux de pénétration au niveau cutané ?

Une étude réalisée dans 10 laboratoires européens en 2004 permet de se rendre compte de la grande variabilité qui existe entre les individus en matière de passage transdermique. L’acide benzoïque apparait ici comme la molécule la plus susceptible de traverser la peau, par comparaison avec la caféine et la testostérone. Le flux moyen après 24 heures d’exposition (16,54 ± 11,87 microgrammes/cm2/h – on notera au passage l’écart-type extrêmement élevé, lié au fait que les échantillons de peau correspondent à des sujets d’âge très divers et à des zones de peau différentes) est respectivement 7 et 10 fois supérieur à celui observé dans le cas de la caféine et de la testostérone.17 L’occlusion joue un rôle important et bien connu dans ce type de phénomène. Une étude datant de 1992 montre ainsi que le pourcentage d’acide benzoïque capable de traverser la peau est multiplié par un facteur proche de 2 sous occlusion (le pourcentage de la dose administrée qui traverse respectivement la peau étant de 37,8 ± 6,9 % et de 65,5 ± 7,1 %, sans occlusion ou sous occlusion, après 72 heures de contact).18

Comment peut-on augmenter sa solubilité dans l’eau ?

A température ambiante, l’acide benzoïque se présente sous forme de cristaux ou de paillettes incolores. Sa solubilité dans l’eau varie avec la température. Une partie d’acide benzoïque est soluble dans 373 parties d’eau à 20°C et dans 45,7 parties d’eau à 75°C. Afin d’augmenter sa solubilité dans l’eau il est possible d’avoir recours à des co-solvants, tels que la glycérine. Plus la quantité de glycérol augmente plus la solubilité de l’acide benzoïque est importante.8

Est-il sûr d’emploi ?

L’acide benzoïque et son sel de sodium sont considérés comme des ingrédients sûrs d’emploi aux doses de 2,5 % dans les produits rincés, sauf les produits bucco-dentaires, de 1,7 % dans les produits à usage bucco-dentaire et de 0,5 % dans les produits sans rinçage.19 Son pouvoir allergisant est faible. Il faut distinguer l’acide benzoïque de la teinture de benjoin. La littérature est peu bavarde au sujet de l’acide benzoïque. On évoque le cas d’un boulanger, en 1945, atteint d’une dermatite de contact, liée à l’emploi d’une farine contenant des traces d’acide benzoïque.20 En 1997, une vague de dermatites de contact survenant au niveau des mains de personnes travaillant au décorticage de crevettes a entraîné la réalisation d’une enquête. On peut penser que les produits en cause sont l’agent nettoyant destiné à aseptiser les mains ou bien le conservateur utilisé pour améliorer la conservation des crevettes. Il s’avère qu’après les tests allergologiques effectués, l’acide benzoïque a été lavé de tout soupçon (avec zéro réaction positive). La chair des crevettes et le produit nettoyant sont, en revanche, responsables des 127 cas de dermatites observés (127 cas sur 635 ouvrières).21 On trouve également mention de tests réalisés auprès d’une centaine de patients allergiques au baume de Tolu. Parmi toutes les molécules qui composent ce baume, l’acide benzoïque est l’agent sensibilisant dans 19,5 % des cas pour la centaine de patients concernés.6

Si l’on se tourne du côté pharmaceutique, on constate que l’acide benzoïque et le benzoate de sodium sont considérés comme des excipients à effet notoire. On considère, en effet, que, sans seuil de dose, un usage topique peut entraîner un effet irritant au niveau de la zone d’application.22 L’absence de dose seuil permet de poser un regard critique sur cet avis.

L’acide benzoïque, en bref

L’acide benzoïque est un conservateur largement retrouvé dans les produits cosmétiques qu’ils soient bio ou conventionnels.23,24 Il n’y a aucune raison de se priver de son aide pour garantir la propreté microbiologique du cosmétique durant toute sa vie.

Bibliographie

1 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/creme-pieds-l-occitane-en-provence-un-conservateur-a-changer-au-pied-leve-836/

2 Timothy E. Hoffman, William H. Hanneman, Physiologically-based pharmacokinetic analysis of benzoic acid in rats, guinea pigs and humans: Implications for dietary exposures and interspecies uncertainty, Computational Toxicology, 3, 2017, Pages 19-32

3 Ping qi, Hong Hong, Xiaoyan Liang, Donghao Liu, Assessment of benzoic acid levels in milk in China, Food Control, 20, 4, 2009, Pages 414-418

4 Sun-Young Park, Mi-Young Yoo, Hyun-Dong Paik, Sang-Dong Lim, Production of benzoic acid as a natural compound in fermented skim milk using commercial cheese starter, Journal of Dairy Science, 100, 6, June 2017, Pages 4269-4275

5 Enes Dertli, Ahmet Hilmi Çon, Microbial diversity of traditional kefir grains and their role on kefir aroma, LWT - Food Science and Technology, 85, A, 2017, Pages 151-157

6 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/le-baume-du-perou-c-est-vraiment-pas-le-perou-464/

7 Dorvault F. lL'Officine, Vigot, Paris, 1995, 2089 pages.

8 Hudzaifah Yousuf Humayun, M. Nizamuddin N. M. Shaarani, Ali warrior, Bawadi Abdullah, Md Abdus Salam, The Effect of Co-solvent on the Solubility of a Sparingly Soluble Crystal of Benzoic Acid, Procedia Engineering, 148, 2016, Pages 1320-1325

9 Formulaire Astier, Vigot, Paris, 1942, 1306 pages

10 Warolin C., La Pharmacopée opiacée en France des origines aux XIXe siècle, Revue d’histoire de la pharmacie, 2010, 365, Pages 81 – 90

11 Storck J., Le baume du chevalier de Saint-Victor alias le baume du commandeur de Pernes, Revue d’histoire de la pharmacie, 1998, 320, Pages 439 – 446

12 FergusM. Brown, the treatment of compound fracture with compound tincture of benzoin, The lancet, 116, 2966, 1880, Pages 9-10

13 Bryant, Guy’s hospital : cases of compound fracture in which the wounds were closed with compresses soaked in compound tincture of benzoin, The Lancet, 108, 2779, 1876, Pages 781-782

14 Formulaire de thérapeutique et de pharmacologie, Doin, Paris, 1905, 828 pages

15 Karl Steiner, William Leifer, Investigation of Contact-type Dermatitis Due to Compound Tincture of Benzoin, Journal of Investigative Dermatology, 13, 6, 1949, Pages 351-359

16 Compound benzoin tincture of vesiculobullous lesions of the mucous membranes: H. H. Perlman., Arch. Dermat. & Syph., 61: 119, 1950, cas rapporté dans la revue Oral Surgery, Oral Medicine, Oral Pathology, 3, 4, 1950, Pages 545-546

17 J. J. M. van de Sandt, J. A. van Burgsteden, S. Cage, P. L. Carmichael, F. M. Williams, In vitro predictions of skin absorption of caffeine, testosterone, and benzoic acid: a multi-centre comparison study, Regulatory Toxicology and Pharmacology, 39, 3, 2004, Pages 271-281

18 S. A. M. Hotchkiss, P. Hewitt, J. Caldwell, W. L. Chen, R. R. Rowe, Percutaneous absorption of nicotinic acid, phenol, benzoic acid and triclopyr butoxyethyl ester through rat and human skin in vitro: Further validation of an in vitro model by comparison with in vivo data, Food and Chemical Toxicology, 30,10, 1992, Pages 891-899

19 https://ec.europa.eu/health/ph_risk/committees/04_sccp/docs/sccp_o_015.pdf

20 K. A. Baird, Allergy to chemicals in flour: A case of dermatitis due to benzoic acid, Journal of Allergy, 16, 4, 1945, Pages 195-198

21 C. H. Laraqui, I. Belamallem, K. Harourate, M. Laroussi, C. Verger, Allergies cutanées dans une usine de décortication de crevettes, Revue Française d'Allergologie et d'Immunologie Clinique, 37, 4, 1997, Pages 438-441

22 https://www.ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/29aa941a3e557fb62cbe45ab09dce305.pdf

23 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/cosmetiques-u-bio-la-plupart-trouvent-place-dans-notre-cabas-997/

24 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/creme-confort-xera-mega-la-creme-hydratante-tout-public-1002/

 

 

 

 

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