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Juste un nuage de poudre pour plaire encore… un peu !

> 06 novembre 2022

Juste un nuage de poudre pour plaire encore… un peu !

Au chapitre des mères dénaturées, il y va tout de même un peu fort ce cher François Mauriac.1 Dans Destins, Elisabeth Gornac, une quadragénaire, va ainsi s’enticher d’un jeune gommeux, aux mœurs dissolues. Un amour volé au fruit de sa chair, un jeune homme trop bien sous tous rapports. Le démon de midi ressemble, ici, à un bel ange !

Elisabeth Gornac, née Lavignasse, juste un nuage de poudre sur la peau pour être jolie

Cette veuve exemplaire âgée de 48 ans consacre sa vie à son domaine agricole, situé en Gironde et à son beau-père âgé de 80 ans. Mère de 3 enfants, Elisabeth en a déjà vu mourir deux. Il faut dire qu’à l’époque, on traite les bronchites avec du « thé tiède » ! Il ne lui reste plus, alors, que son fils Pierre.

Toujours chapeautée et gantée afin d’éviter les méfaits du soleil sur sa peau, Elisabeth conserve, coûte que coûte, un teint pâle. Pour cette femme, un bon époux est un homme établi, corpulent, avec une « calvitie » ! Enfin cela, c’était avant… avant que Bob ne déboule dans sa vie.

Cette femme, à l’embonpoint tout maternel, semble toute chamboulée à l’arrivée de Bob, au point de faire ses 4 volontés et même d’accueillir, au mépris de toute moralité, Paule de la Sesque, l’amie de Bob. Elisabeth est tombée sous le charme, complètement envoûtée. Le foulard de Bob oublié sur une chaise lui livre le parfum de l’amour, une senteur mêlant habilement « la nicotine et l’ambre » !

Cette épouse-modèle, cette mère-parfaite est au bord du gouffre. Un parfum de scandale est entré dans sa maison. On imagine, dans ces conditions, la façon dont Pierre, le fils pétri de sentiments religieux, va être accueilli à son arrivée impromptue !

Et lorsque Pierre viendra démolir l’image de Bob, Elisabeth ne fléchira pas. Ses sentiments resteront intacts. Pour Bob, Elisabeth continuera à jouer les coquettes, relevant ses cheveux avec soin et poudrant « son visage tuméfié par le sommeil. » Un geste qui paraît incongru pour une telle femme !

Prudent Gornac, juste 4 apéritifs par jour pour oublier les ennuis

Prudent Gornac n’est plus… On ne peut pas dire que le couple qu’il formait avec Elisabeth ait merveilleusement fonctionné ! Visiblement, peu de points communs entre les deux époux. Une propension à boire, vite corrigée par Elisabeth, une femme de devoir avant tout. « Après un an de mariage, Prudent ne buvait plus que ses 4 apéritifs par jour, comme tout le monde ; il se baignait quelquefois, se rasait presque tous les matins. »

Bob, juste un parfum chypré pour faire tourner les têtes

Robert, Bob pour les intimes, est un jeune « gommeux » de 23 ans. Sa grand-mère, Maria Lagave, a travaillé, autrefois, pour les Gornac. Ce Bob est fils du diable… Beau comme un ange, blond comme les blés, avec un regard ombré de cils « d’une longueur presque gênante », Bob fait tourner les têtes, toutes les têtes, même les plus solides. Ce séducteur jouit de la vie, sans se poser de questions métaphysiques, savourant l’instant présent, sans état d’âme. Charmeur, élevé dans du coton, ce jeune homme, qui se dit décorateur (en réalité le terme de « gigolo » convient mieux à son activité quotidienne) vient, de temps en temps, chez sa grand-mère se mettre au vert. Au sortir d’une maladie, d’une pleurésie par exemple, il vient respirer l’odeur du pin des landes et renouer avec une hygiène de vie un peu plus saine que celle qu’il pratique à la ville.

Habitué à prendre des douches, Bob révolutionne les habitudes de la maison. Il s’ébroue dans l’eau, éclabousse tout sur son passage. « L’eau de son tub avait giclé hors de la toile cirée clouée devant la toilette : ce n’était pas la peine d’avoir, le matin-même, repassé le parquet à l’encaustique ».

Il faut dire qu’avant d’exaspérer sa grand-mère, Bob a irrité les nerfs de son père et traumatisé ses récepteurs olfactifs… En effet, il se parfume au grand désespoir de son père Augustin. « Il (il s’agit ici d’Augustin) exécrait les parfums, mais par-dessus tout, redoutait cette odeur d’eau de Cologne, de chypre, de tabac anglais […] » qui caractérise son fils.

Il faut dire aussi que durant sa maladie Bob a reçu des visites parfumées, des « femmes peintes », qui parlaient fort et sentaient fort. Et Augustin d’enrager… en reniflant « cette odeur de femmes » et de « monde » qui s’insinue, tel un poison, chez lui. Cette odeur de « cocotte » le révulse… Dès que tout ce beau monde s’est éclipsé, Augustin ouvre les fenêtres toutes grandes, afin de « purifier l’atmosphère ». Dans ces conditions, et quand on sait que les amis de Bob se moquent ouvertement d’Augustin, de sa petite taille, des « pellicules » qui ornent « le col de sa jaquette », on comprend que le mieux est encore d’expédier le jeune homme se refaire une santé à la campagne !

Chez sa grand-mère, Bob respire à nouveau. Adulé par Elisabeth, il fait le beau pour un public restreint. Ce jeune homme, tourmenté par son physique depuis l’âge de 18 ans (« Le matin, dans son miroir, il épiait les signes imperceptibles encore, mais qui lui étaient familiers, cette petite ride entre les narines et la commissure des lèvres, quelques cheveux blancs arrachés sans cesse et qui réapparaissaient toujours. »), a un irrépressible besoin d’être admiré pour vivre.

Maria Lagave, juste une confusion entre sang et rouge à lèvres

Une domestique comme on en fait plus. Une bête de somme, toujours prête à travailler, astiquer… Une vieille femme, qui se méfie des femmes fardées au parfum violent. Les amies de son petit-fils sont bien étranges avec ces lèvres ensanglantées (« Maria crut voir, sur la natte, des traces de sang : ce n’était qu’un bâton de rouge écrasé. ») L’air de la chambre de Bob est saturé d’une odeur de « tabac et de parfums » ! Quel scandale !

Paule de la Sesque, juste une coupe de cheveux ultra-courte pour jouer les affranchies

Une belle « tête » de garçon brun ». Rappelons que nous sommes à la fin des années 20 et que la coupe à la garçonne cartonne !

Pierre Gornac, juste un parfum de raison

A son arrivée à Viridis, Pierre apparaît à sa mère, plein de « taches de suie ». Ce grand gaillard de 22 ans et d’1m80 se voit alors intimer l’ordre, comme un gosse, d’aller se « débarbouiller » et ce à peine le pas de la porte franchi. Pierre sent bien que quelque chose ne tourne pas rond et comprend très vite qu’il a toutes les raisons d’être jaloux de celui qui lui vole un peu (et même beaucoup) de l’affection maternelle. Un peu « de valérianate dans du tilleul bien chaud », voilà la recette d’Elisabeth pour apaiser son fils ! Pas sûr que cela suffise.

Et, en effet, cela ne suffit pas. Pierre veut tout détruire, effacer toute trace d’amour dans le cœur d’Elisabeth, dans le cœur de Paule. Des révélations… voilà ce qu’il est capable de faire. Bob n’est qu’un voyou, un dévoyé de la pire espèce ! Voilà c’est dit !

Destins, en bref

Les pins brûlent au loin, comme tous les étés. Il y a des « odeurs » persistantes de « résine brûlée ». Il y a le feu dans la forêt et pas que… Cela brûle aussi et se consume dans le cœur, dans le corps d’Elisabeth. Il y a « l’odeur de la laine du châle » d’Elisabeth, l’odeur qui rappelle à un fils tous les moments de tendresse de la petite enfance. Il y a l’odeur de « vanille » et de « clous de girofle » de la cuisine de la vieille Maria, une odeur qui invite au péché de gourmandise.

Cet été-là en Gironde, la vie d’Elisabeth s’est arrêtée. Bob est reparti avec sa bande d’amis. Après tout, Paule s’était enfuie… alors pourquoi rester ? Un accident de voiture… et le destin vient mettre un point final à une jeune vie très tourmentée. Reste, dans les affaires de Bob, un mouchoir d’Elisabeth imprégné d’une odeur de tabac et d’eau de Cologne !

Cet été-là en Gironde, le feu a ravagé des hectares de forêt ; le feu a tout dévasté sur son passage. Il ne reste plus une once d’espoir dans le cœur d’Elisabeth !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration.

Bibliographie

1 Mauriac F., Destins, Le livre de poche, Grasset, 1966, 191 pages

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