Nos regards
Joyeux Noël, Madame Noël !

> 25 décembre 2018

Joyeux Noël, Madame Noël !

Tout le monde, petits et grands confondus, connaissent par cœur l’histoire du père Noël… certains l’ont même rencontré, un soir, qu’ils avaient veillé un peu tard…

Tout le monde, en revanche, est loin de connaître l’histoire de la mère Noël, ce médecin impliqué dans la cause féminine au destin fait de plaies et de bosses. C’est cette femme pas vraiment ordinaire que nous avons choisi de mettre en lumière en cette belle journée du 25 décembre 2018.

Suzanne Noël, née Suzanne Blanche Marguerite Gros, en 1878 à Laon, en Picardie, peut être considérée comme la première femme impliquée dans le domaine de la chirurgie esthétique. Si sa carrière fut brillante, elle souffrit d’une vie privée assez malheureuse, sans doute à l’origine de l’acharnement qu’elle mit à réussir sa vie professionnelle. Son éducation ne la prédestinait pas à l’usage du bistouri. Issue de la classe moyenne, elle s’adonne à la broderie et à la peinture. Premier drame familial : elle est la seule survivante d’une fratrie de quatre enfants. A 19 ans, elle réalise un bon mariage avec un médecin de 9 ans son aîné, Henri Pertat. Il va lui mettre le pied à l’étrier. A 27 ans, la jeune femme débute ses études de médecine dans le but de pouvoir travailler avec son mari dans le service de dermatologie de celui-ci. Elle a un excellent niveau, ce qui lui permet, malgré une période de maladie et d’arrêt pour cause de maternité, de se placer 4e sur 64 au concours de l’internat des hôpitaux de Paris. Nous sommes en 1912. En 1919, elle est veuve et se remarie avec un jeune étudiant en dermatologie, André Noël. Il vient tout juste de rentrer du front. Il finit son internat, moins brillamment toutefois que son épouse, puisqu’il est en queue de promotion et achève ses études par une thèse qui traite de la « Douche filiforme appliquée à la dermatologie ». Il se serait, dit-on, fortement inspiré des travaux de sa femme dans le domaine… Leur mariage ne fera pas long feu. A la mort de la fille de Suzanne, André sombre dans une forte dépression qui le conduira au suicide en 1924. Il se jette dans la Seine, sous les yeux de sa femme. Suzanne est dépassée par les évènements ; elle se consacre alors furieusement à son travail pour oublier ses déboires conjugaux. L’intérêt de Suzanne Noël pour la chirurgie esthétique date de 1912, année où elle remarque que Sarah Bernhardt est revenue d’une tournée en Amérique, miraculeusement rajeunie. L’actrice avait alors 69 ans. Prenant rendez-vous avec celle-ci, elle se fait confirmer qu’il y a eu acte chirurgical. Suzanne Noël va alors jouer avec son visage, le pinçant çà et là pour voir l’effet produit. L’idée du lifting germe dans son esprit. Avant de passer sur l’homme, il faut réaliser des essais sur l’animal ; elle choisit le lapin car il a, selon elle, une peau similaire à la peau humaine en ce qui concerne « délicatesse et élasticité ». Elle s’intéresse ensuite aux Gueules cassées (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/la-chirurgie-reconstructrice-naissance-d-une-discipline-au-secours-des-gueules-cassees-853/) avant de se passionner pour les traitements de rajeunissement. L’élément déclenchant pour elle, c’est l’opération qu’elle réalise sur une femme vieillissante qui ne trouve pas d’emploi en raison de son âge. Un lifting plus tard, son cas est réglé ! L’avocate des droits de la femme est touchée, la « suffragette » se réveille en elle. Sa carrière durera de 1916 à 1950. Cette passion a nécessité beaucoup d’énergie car ses premiers pas dans le domaine esthétique ont dû être discrets. La spécialité n’est pas reconnue et les hôpitaux n’acceptent pas les chirurgiens qui souhaitent se consacrer uniquement à cette tâche. Elle est donc obligée de créer sa propre clinique. Elle s’attache tout d’abord à corriger les effets du temps au niveau du visage et des yeux. Elle acquiert très vite une grande réputation et draine une partie de l’aristocratie européenne en quête de jeunesse éternelle. La féministe s’oublie un peu ! Elle s’éloigne de son idéologie de base : mettre la chirurgie esthétique au service de la femme en souffrance. La Seconde Guerre mondiale met un terme à l’histoire de sa clinique privée. Elle occupe désormais un poste à la clinique des bleuets à Paris. Elle y fait preuve de toute sa polyvalence. Elle remodèle des seins, excise la graisse des ventres, des bras, des jambes, élimine les rides des mains en injectant des solutions sclérosantes in situ. Suzanne Noël est, comme on peut le constater, un personnage hors pair, qui s’est habituée à être pionnière dans tous les domaines. En dehors des blocs opératoires, on pouvait la voir participer à des manifestations arborant sur son chapeau le célèbre slogan : « Je veux voter » (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/publications/dictionnaire-egoiste-des-cosmetiques-19/).

Suzanne Noël ou un père Noël en jupons, c’est ainsi que nous nous plaisons à imaginer cette femme pleine de volonté qui offrit un nouveau sourire à bon nombre de ses patients.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, qui rend hommage, à sa manière à celle que nous appelons aujourd'hui la mère Noël !

 

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