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Journal d’une femme de chambre ou Marie-Antoinette intime

> 10 septembre 2017

Journal d’une femme de chambre ou Marie-Antoinette intime La femme de chambre dont il est question ici, c’est Mme Campan, une femme de chambre un peu particulière puisqu’elle joue plus les dames de compagnie que les aides actives. Avant d’entrer au service de Marie-Antoinette, elle fut lectrice pour Mesdames, les filles de Louis XV. La vie de Mme Campan se mêle à celle des souverains. Son mari et son beau-père jouent la comédie au côté des acteurs princiers. Qui dit activité théâtrale, dit maquillage. C’est « en rouge » que les acteurs improvisés griment leur visage. Mais le « rouge » ne sert pas qu’aux acteurs, il est également employé pour briller en société d’un éclat jugé particulier par les détracteurs de ce type de maquillage quelque peu voyant.

Mme Campan livre, aux amoureux de l’histoire de la vie quotidienne sous l’Ancien Régime, un certain nombre d’anecdotes et de renseignements qui ne manqueront pas de leur plaire. Ses sentiments y transparaissent clairement et l’on comprend, tout de suite, qui lui plaît ou, à l’inverse, lui déplaît… souverainement !

Louis XV est présenté comme un père de famille entrevu seulement quelques instants, le matin au petit-déjeuner, par ses filles. « Louis XV voyait très peu sa famille ; il descendait tous les matins, par un escalier dérobé, dans l’appartement de Mme Adélaïde. Souvent, il y apportait et y prenait du café qu’il avait fait lui-même ». Le café est alors une boisson et non encore un ingrédient cosmétique amincissant. Cette seule idée aurait bien faire rire la cour d’alors qui appréciait les beautés avantageuses… (https://theconversation.com/le-tuto-beaute-du-duc-de-saint-simon-pour-une-grace-tres-xviii-siecle-71685 ; https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/les-indiscretions-du-duc-de-luynes-1735-1758-163/ ; https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/la-grande-mademoiselle-ou-les-coulisses-de-la-cour-de-louis-xiv-183/)

Le fard rouge très utilisé à la cour de Versailles n’est absolument pas du goût de l’empereur Joseph II, l’un des frères de Marie-Antoinette. Envoyé en France par Marie-Thérèse, leur mère, afin de sermonner la jeune écervelée, il fait des remontrances à celle qui, bien que reine de France, n’en est pas moins et restera toujours sa petite sœur. « La toilette de la reine était aussi un sujet perpétuel de critique pour l’empereur. Il lui reprochait d’avoir introduit trop de modes nouvelles, et la tourmentait sur l’usage du rouge, auquel ses yeux ne pouvaient s’habituer. Un jour qu’elle en mettait plus que de coutume, devant aller au spectacle, il lui conseilla d’en ajouter encore, et indiquant une dame qui était dans la chambre et qui en avait à la vérité beaucoup : Encore un peu, sous les yeux, dit l’empereur à la reine ; mettez du rouge en furie, comme madame ». Un esprit moqueur – un trait d’union manifeste entre le frère et la sœur ! La leçon mettra quelques années à être comprise et retenue. Les séjours au château de Marly ne sont l’occasion d’aucun relâchement vestimentaire ou même cosmétique. « Les diamants, les plumes, le rouge, les étoffes brodées et lamées en or faisaient disparaître jusqu’à la moindre apparence d’un séjour champêtre ; mais le peuple aimait à voir la pompe de ses souverains et une cour brillante défiler sous ces ombrages ».

Mme Campan se fait le témoin d’une vie de plus en plus simple. Au fil du temps, la reine abandonne les modes extravagantes qu’elle affectionnait et se tourne de plus en plus vers des robes pleines de fraîcheur. Au petit Trianon, « une robe de percale blanche, un fichu de gaze, un chapeau de paille étaient la seule parure des princesses […] ».

Le bain est, selon le cas, pratiqué avec une grande impudeur ou bien, au contraire, avec la retenue la plus exemplaire. L’abbé de Vermond, précepteur de la jeune archiduchesse, puis conseiller-confident, ne fait pas partie, visiblement, du cercle des amis intimes de Mme Campan. Selon elle, il est « […] vain, bavard, fin et brusque à la fois, fort laid […] ». Il « recevait des ministres et des évêques dans son bain […] », ce qui heurte Mme Campan, peu encline à trouver des qualités à cet abbé. Marie-Antoinette, quant à elle, est d’une grande pudeur et cherche à masquer sa nudité aux regards indiscrets qui l’entourent. « Sa modestie était extrême dans tous les détails de sa toilette intérieure ; elle se baignait vêtue d’une longue robe de flanelle boutonnée jusqu’au col, et tandis que ses deux baigneuses l’aidaient à sortir du bain elle exigeait que l’on tînt devant elle un drap assez élevé pour empêcher ses femmes de l’apercevoir ». Lorsqu’elle prend ses premiers bains à Versailles, Marie-Antoinette ignore l’horreur qui l’attend dans le futur. Lors de son retour de Varennes, la souveraine écrit à Mme Campan : « Je vous fait écrire de mon bain, où je viens de me mettre pour soulager au moins mes forces physiques. Je ne puis rien dire sur l’état de mon âme ; nous existons, voilà tout ».

Le teint constitue, comme de bien entendu, un sujet d’importance. Certaines brillent par un teint éclatant. « Mme la dauphine, alors âgée de quinze ans éclatante de fraîcheur, parut mieux que belle à tous les yeux ». « Vêtue d’une légère robe de gaze ou de taffetas, on la comparait à la Vénus de Médicis, à l’Atalante des jardins de Marly ». La beauté de la petite dauphine, alors à peine sortie de l’enfance, ne fait pourtant pas l’unanimité. La maîtresse en titre de Louis XV, Mme du Barry, boudée par la jeune fille, ne se gêne pas pour déplorer « l’irrégularité de ses traits ». Côté belles-sœurs, des disparités indéniables sont remarquées. La comtesse de Provence avait « d’assez beaux yeux », « les seules louanges qu’il était raisonnablement permis de lui donner ». La comtesse d’Artois, « sans difformité dans la taille était fort petite et avait un très beau teint ; son visage, assez gracieux, n’avait cependant rien de remarquable, que l’extrême longueur de son nez ». Côté amies… qui s’assemble se ressemble… La comtesse Jules de Polignac possède un esprit vif et tous les atouts pour séduire une jeune femme qui s’ennuie au sein d’une cour vieillissante. « Sa taille était moyenne, son teint d’une grande fraîcheur, ses yeux et ses cheveux très bruns, ses dents superbes, son sourire enchanteur […] ». La favorite n’a pas que des amis à la cour. Des courtisans mal intentionnés instrumentalisent le jeune dauphin, Louis-Joseph, afin de brouiller les deux amies. « Le jeune prince témoignait une grande prévention contre la duchesse de Polignac, qui, l’attribuant soit au duc, soit à la duchesse d’Harcourt, venait s’en plaindre à la reine : il est vrai que deux fois le dauphin l’avait fait sortir de sa chambre, en lui disant, avec cet air de maturité que les maladies de langueur donnent toujours à l’enfance. Sortez, duchesse, vous avez la fureur de faire usage d’odeurs qui m’incommodent toujours ; et elle n’en portait jamais ».

Si la beauté et la grâce de Marie-Antoinette sont louées par Mme Campan, celle-ci est beaucoup plus sévère à l’égard de son royal époux. « […] sa personne » était « plus que négligée ; ses cheveux, quel que fût le talent de son coiffeur, étaient promptement en désordre, par le peu de soin qu’il mettait à sa tenue ». « […] ses mains, noircies par ce travail (maçonnerie, serrure), furent plusieurs fois, en ma présence, un sujet de représentations et même de reproches assez vifs de la part de la reine […] ».

La coiffure est l’un des sujets de prédilection de Mme Campan qui se plaît à détailler les modes qui se succèdent. Lors de la mort de Louis XV, un grand espoir est mis dans le jeune couple et ceci se traduit concrètement par des couvre-chefs qui augurent de fructueuses récoltes. « Les symboles de l’abondance furent d’abord représentés, et les coiffures des femmes étaient surchargées d’épis de blé ». Des coiffures hors-norme voient rapidement le jour. « […] les coiffures parvinrent à un tel degré de hauteur, par l’échafaudage des gazes, des fleurs et des plumes, que les femmes ne trouvaient plus de voitures assez élevées pour s’y placer, et qu’on leur voyait souvent pencher la tête ou la placer à la portière. D’autres prirent le parti de s’agenouiller pour ménager, d’une manière encore plus sûre, le ridicule édifice dont elles étaient surchargées ». On imagine facilement les caricatures qui circulent alors sur le sujet !

Les cheveux sont poudrés, immanquablement ! Quel étonnement vis-à-vis de ceux qui ne connaissent pas cette règle ! « Franklin avait paru à la cour avec le costume d’un cultivateur américain : ses cheveux plats sans poudre, son chapeau rond, son habit de drap brun, contrastaient avec les habits pailletés, brodés, les coiffures poudrées et embaumantes des courtisanes de Versailles ». Ah, ces Américains, quels originaux ! Poudrage des cheveux et révolutionnaires joueront bientôt un jeu macabre. Lorsque les souverains reviennent de Varennes à Paris sous bonne (l’adjectif n’est certainement pas le plus adapté !) escorte, ils sont accompagnés d’odieux trophées. « Au milieu de cette troupe de cannibales s’élevaient les deux têtes de gardes du corps massacrés. Les monstres qui en faisaient un trophée eurent l’atroce idée de vouloir forcer un perruquier de Sèvres à recoiffer ces deux têtes, et à mettre de la poudre sur leurs cheveux ensanglantés. L’infortuné auquel on demanda cet horrible service mourut de saisissement ». La fin du calvaire est loin d’être proche, pourtant. Restent des épreuves, des humiliations… et la mort, au bout du chemin. L’existence aux Tuileries s’organise… et avec elle des représentations théâtrales, occasions de compter les fidèles et… les ennemis. Les spectateurs se divisent en deux camps. « La querelle s’échauffe, le parterre se partage, on se bat, et les jacobins eurent le dessus. Leurs touffes de cheveux noirs volaient dans la salle. Eux seuls à cette époque avaient quitté l’usage de poudrer les cheveux. » On peut, au cheveu près, se faire une idée de l’ambiance qui règne alors !

Les cheveux blanchissent. Mme Campan situe la date du blanchissement des cheveux de la reine au retour de Varennes. « Sa majesté me fit voir une bague qu’elle venait de faire monter pour la princesse de Lamballe : c’était une gerbe de ses cheveux blancs, avec cette inscription : blanchis par le malheur ».

L’huile d’amande douce est conseillée à Mme Campan non comme ingrédient cosmétique, mais comme contrepoison. En 1790, la reine craignant d’être empoisonnée demande conseil à son médecin pour contrer les effets des poisons potentiels. « […] il me conseilla d’avoir toujours à ma portée une bouteille d’huile d’amandes douces, que je ferais renouveler de temps en temps, cette huile et le lait étant, comme on sait, le contrepoison le plus sûr pour les déchirements qu’excitent les corrosifs ». L’huile d’amandes douces, un émollient intéressant, n’est certainement pas un contrepoison d’une efficacité infaillible (!) et mieux vaut, sûrement, continuer à s’en servir comme émollient !

Fuir de Versailles ne signifie pas pour la reine abandonner tous les objets auxquels elle tient. Souhaitant emmener son nécessaire de voyage, un meuble qui renferme tous ses objets de toilette, Marie-Antoinette ruse et fait mine de le faire préparer à l’intention de sa sœur Christine, « gouvernante des Pays-Bas ». « J’ordonnai à la femme de la garde-robe d’ôter tout ce que contenait le nécessaire […] et d’avoir grand soin de ne laisser aucune trace des parfums qui pouvaient ne pas convenir à cette princesse ».

Des fards aux bains, en passant par la poudre pour les cheveux, il est bien intéressant de regarder évoluer les souverains du Grand Siècle sous la loupe d’une femme de chambre qui n’ignore pas qu’elle vit des moments exceptionnels.

Un grand merci à Jean-Claude Albert Coiffard, poète et plasticien, pour cette Marie-Antoinette au bain, qui illustre ce Regard !

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