Nos regards
Journal d’une femme de chambre ou La Pompadour intime !

> 10 juin 2018

Journal d’une femme de chambre ou La Pompadour intime ! Grâce à Madame Campan, nous nous étions glissées, il y a quelques mois, dans l’intimité d’une des reines de France les plus fascinantes (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/journal-d-une-femme-de-chambre-ou-marie-antoinette-intime-340/). Aujourd’hui, nous emboîtons le pas de Madame du Hausset (Mémoires sur Louis XV et Madame de Pompadour par Madame du Hausset, Mercure de France, 2002, 228 pages), une familière de Madame de Pompadour. Cette femme de chambre qui voit tout et qui reste en permanence dans le sillage de la favorite, comme « un tableau ou une statue muette », ne dérange ni son auguste maîtresse ni le royal amant de celle-ci. Cela nous vaut quelques anecdotes amusantes que nous allons partager ensemble.

Si Madame du Hausset ne dévoile pas les recettes cosmétiques de sa maîtresse et ne livre pas de scoops au sujet de la célèbre porteuse de mouches (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/des-mouches-des-fards-du-parfum-voila-la-lecon-de-la-pompadour-en-matiere-cosmetique-398/), la lecture de ses mémoires nous plonge dans un siècle où les médecins sont plus dangereux que les maladies, où la poudre couvre les cheveux d’un brouillard blanc, où aliments et breuvages sont utilisés à des fins médicales variées...

Un malaise traité à l’aide de thé et d’eau de senteur : Alors que Louis XV rend visite à sa favorite, il est saisi de malaise. Madame du Hausset, appelée au secours, arrive en hâte. On jette de l’eau à la tête du roi, on lui fait avaler des gouttes d’Hoffmann, on l’inonde « d’eau de senteur », puis on lui administre des gouttes du « général La Motte ». Pour achever de guérir le roi, on lui prépare du thé (« Le roi en prit trois tasses. ») Tout ceci se passe dans la plus grande confusion. Le roi, la Pompadour et Madame du Hausset sont, effectivement, « tous les trois à moitié nus ! ». Rappelons que les gouttes d’Hoffman ou élixir d’Hoffmann sont à mettre au compte du médecin particulier du roi de Prusse, Frédéric-Guillaume. Ces gouttes sont composées d’éther et d’alcool... (Bourrinet P., Guyotjeannin C., Liqueur de Hoffmann, Revue d'Histoire de la Pharmacie, 2005, 346, 301) ce qui explique leur inefficacité. En ce qui concerne la deuxième série de gouttes, très en vogues au XVIIIe siècle, on soulignera que c’est au cardinal de Fleury, précepteur, puis premier ministre de Louis XV (http://www.chateauversailles.fr/decouvrir/histoire/cardinal-fleury), que le général de la Mothe confie le secret de ses gouttes miraculeuses. Celles-ci existent sous deux formes, les gouttes jaunes (à base d’or) et les gouttes blanches (à base de cinabre) (Bouvet M., Les gouttes du général, Revue d'Histoire de la Pharmacie, 1949, 124, 487-489) ce qui explique leur nocivité !

Une négligence médicale : L’appartenance à la cour ne constitue pas une assurance-vie pour ses bénéficiaires. Le chevalier de Montaigu, compagnon du dauphin, en fait la triste expérience. Après avoir subi une opération appelée « empyème », l’état du malade ne cesse d’empirer au point de mener à une issue fatale. L’autopsie révélera la cause de la mort. On trouva dans la poitrine du jeune homme une « partie de la seringue de plomb avec laquelle, suivant l’usage, on injectait des décoctions [...] ». L’étourderie du chirurgien coûta la vie au jeune ami du dauphin !

Un régime aphrodisiaque. Madame du Hausset ne souscrit pas au régime auquel se soumet sa maîtresse. « J’avais remarqué que Madame, depuis plusieurs jours, se faisait servir du chocolat à triple vanille et ambré à déjeuner ; qu’elle mangeait des truffes et des potages au céleri. » Elle alerte Madame de Brancas qui tente de convaincre son amie de manger plus sainement. Par ce régime, la marquise espère s’échauffer les sangs. « [...] j’ai le malheur d’être d’un tempérament très froid. J’ai imaginé de prendre un régime un peu échauffant pour réparer ce défaut. » Le régime semble être efficace... Pourtant, la duchesse de Brancas jette « la drogue » et conseille à son amie de prendre empire sur le roi par la douceur, de lui rendre sa « société précieuse » plutôt que d’imaginer recourir à des aphrodisiaques de composition douteuse !

Assommée par un portrait du roi. Après avoir écrit, assise à son secrétaire, et en renfermant celui-ci, la marquise est assommée par le portrait de son amant. Le Dr Quesnay, mandé à ses côtés, pratique une saignée et administre des drogues calmantes !

Conseils pour consulter secrètement une sorcière. Madame de Pompadour est dans une situation assez inconfortable. Si elle est la favorite du roi... elle n’a cependant qu’une crainte : celle de se faire détrôner par une femme plus jeune, plus belle, plus habile ! Afin de connaître son avenir, elle se laisse tenter par une visite à Madame Bontemps, une sorcière qui sait lire dans le marc de café. Cette sorcière a, en effet, révélé à l’abbé de Bernis un élément concernant sa naissance. « Il était presque noir » en venant au monde. Ceci ne fut pas mis sur le compte d’une hypoxie, mais sur le compte d’un tableau représentant Cléopâtre « se tuant au moyen d’une piqûre d’aspic que lui apportait un Maure dans des fleurs » accroché en face du lit maternel. Afin de se rendre incognito chez Madame Bontemps, la Pompadour se grime avec l’aide de son chirurgien. Un faux-nez en cire, une fausse verrue à placer, « sous l’oeil gauche », de la teinture pour les sourcils... notre belle dame est méconnaissable et peut se glisser sans risque chez la voyante qui lui promet la fortune (« une fortune qui s’est raccommodée avec vous »). Madame Bontemps est une femme influente qui exerce son pouvoir sur les esprits faibles de son temps ; elle a persuadé la duchesse de Ruffec qu’il est possible de lui restituer ses 25 ans ! Pour se faire, il faut préparer un élixir de jeunesse qui renferme de nombreuses drogues plus onéreuses les unes que les autres... Le petit commerce de notre gentille sorcière marche plutôt bien ! Celle-ci n’est pas en peine lorsqu’il faut justifier les échecs répétés de l’élixir en question. Les 25 ans de la duchesse ne reviennent pas... C’est la faute aux drogues « mal choisies », au « soleil auquel elles ont été exposées », « aux astres qui n’étaient pas favorables »... aux yeux de la duchesse qui ne voit pas dans le miroir les signes évidents d’un rajeunissement progressif (trop progressif à son goût). Cet élixir de jeunesse n’est pas sans rappeler nos cosmétiques modernes qui nous promettent, à des prix variés, des bénéfices tout aussi variés (« gain supérieur à 10 ans d'élasticité cutanée », « solution radicale dans la lutte contre les rides et ridules », « rides réduites dans 95% des cas », « effet tenseur liftant immédiat »...).

De la poudre pour agrémenter la chevelure. Cette poudre est très prisée au XVIIIe siècle ; elle recouvre cheveux et perruques et leur confère une teinte uniforme (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/la-grande-mademoiselle-ou-les-coulisses-de-la-cour-de-louis-xiv-183/). Elle est employée en abondance par certains. Le prince de Kaunitz n’est pas le dernier à y recourir. Nombreux sont ceux qui le trouvent ridicule (« [...] quatre valets de chambre qui, avec des soufflets, faisaient voler la poudre dont Kaunitz ne recueillait en courant que la partie superfine. »). Madame de Pompadour n’est pas du lot. Elle le défend farouchement. « Elle disait que c’était une tête carrée, une tête ministérielle [...] » qui a l’intelligence de détourner l’attention des commères sur sa chevelure ce qui lui laisse toute liberté pour mener à bien ses projets politiques. « C’est Alcibiade qui fait couper la queue à son chien, pour donner à parler aux Athéniens et détourner de leur attention des choses qu’il voulait leur cacher » (http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/08/27/le-chien-d-alcibiade_1403420_3232.html).

Oui vraiment, passer quelques heures avec Madame du Hausset vaut le coup... On ne regrette qu’une chose : ces mémoires sont trop courts !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette vision de Louis XV avec La Pompadour, dans des vapeurs chocolatées...

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