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Itinéraire d’une jeune fille pas très gâtée

> 24 juillet 2022

Itinéraire d’une jeune fille pas très gâtée

Lorsqu’un jeune journaliste cherche à faire un papier sur la vie d’une prostituée, Daphné du Maurier lui offre, sur papier glacé, la candidate idéale.1 Mazie va se mettre à table, raconter ce qui l’a fait basculer du mauvais côté. Une histoire d’escalier mécanique qui vous éloigne de la vertu et vous rapproche de la décrépitude. Attention à la marche tout en haut de l’escalier roulant !

Mazie, trop de produits cosmétiques

Mazie se décolore les cheveux (« Ses cheveux étaient trop clairs pour être naturels, et ils étaient trop ondulés. »), applique sur ses lèvres un rouge à lèvres d’un « rouge vif », à la texture épaisse (celui-ci colle aux lèvres par paquets et semble très difficile à étaler) et revêt son épiderme d’un « fard mauve ». Elle n’y va pas avec le dos de la cuillère en matière de maquillage. Son visage « plâtré » à l’ancienne ne laisse rien filtrer de la Mazie intime.

Mazie, trop de parfum

Mazie ne roule pas sur l’or. Battant le trottoir soir et matin, elle n’a guère le temps de réaliser une toilette soignée. C’est du vite fait... Pour masquer les odeurs corporelles... la solution cosmétique lui semble la plus appropriée. « Elle s’était généreusement aspergée de parfum, mais cela ne suffisait pas à masquer complètement l’odeur particulière de ceux dont la peau n’est pas souvent lavée, dont les vêtements ne sont pas fréquemment nettoyés, dont le corps est mal nourri. »

Mazie, trop de misère

Orpheline, Mazie a été placée très tôt comme fille de cuisine dans le quartier londonien de Kensington. Bonne fille, elle prenait alors soin d’elle et travaillait ardemment. « Je me frottais tous les jours au savon et je portais de la flanelle à même la peau. » La rencontre avec Jim, un gars louche au strabisme prononcé va changer la donne. Finis le savon et les bonnes habitudes d’hygiène. Bonjour la crasse cachée sous le fond de teint et la poudre de riz. « Alors j’ai arrêté de me laver pour acheter du parfum et de la poudre, et il m’a dit que j’étais belle. » Au fil des jours, Jim révèle sa vraie nature... Un voleur, voilà ce qu’est l’homme dont s’est entichée la fraîche petite Mazie.

Mazie, un bon tour de main

Petit à petit, pour complaire à Jim, pour ne pas le perdre, Mazie se fait voleuse de sacs à main dans le métro. Le job est facile, même s’il faut un peu de temps pour gagner en dextérité et en assurance. Un jour malheureux, un sac se répand par terre (« Le sac s’est ouvert et son poudrier, son porte-monnaie et tout son bric-à-brac se sont répandus en désordre sur le sol. ») Beaucoup de bruits, une course effrénée et pour finir les barreaux d’une prison. A la sortie, pas de Jim à l’attendre. La solitude. Jim a refait sa vie !

Une interview, un flacon de vernis à ongles à la main

Il ne faut pas croire qu’un petit journaleux va déstabiliser la brave Mazie. Tu veux savoir comment on devient prostituée... Et bien tu vas être servi. Une jolie histoire, celle d’une orpheline qui se laisse guider par les lanternes rouges des maisons closes de Piccadilly. Une sorte de nocturne attiré par les lumières glauques, qui se brûle les ailes à chaque instant. Son histoire, Mazie la ressasse depuis suffisamment longtemps pour pouvoir la débiter d’une seule traite à celui qui l’interroge. Un « flacon de vernis à ongles » à la main, Mazie, la professionnelle, ne perd pas un seul instant. « Elle finit de se faire les ongles. Elle appliqua de la poudre sur son visage, du rouge sur ses lèvres. »

Piccadilly, en bref

Dans cette courte nouvelle, Daphné du Maurier nous entraîne dans l’intimité cosmétique d’une prostituée. Le savon utilisé autrefois par la fraîche jeune fille est désormais remplacé par toute une panoplie cosmétique destinée à masquer la fatigue, les rides, le teint blême. Il y a trop de cosmétiques dans les nuits de Mazie ; il n’y a pas assez d’amour dans les journées de Mazie.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour !

Bibliographie

1 du Maurier D., Piccadilly in La poupée, Albin Michel, 2013, 251 pages

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