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Hygiène et cosmétiques du tueur à gages

> 03 octobre 2021

Hygiène et cosmétiques du tueur à gages

Si Urbain, un brave coursier,1 avait connu et apprécié les Rita Mitsouko et leur célèbre chanson Les histoires d'amour finissent mal en général, on n’en serait pas là. Sur sa moto, dans sa salle de bain, avec ses conquêtes, il aurait siffloté l’air entêtant que l’on a tous en ce moment en tête et n’aurait pas changé du tout au tout, suite à une déconvenue un peu plus cuisante que les autres. C’est, en effet, suite à une peine de cœur, qu’Urbain a tourné « le commutateur » responsable du contrôle des sentiments, sensations et autres spécificités qui distinguent l’Homme de l’animal. Tout ce qui s’anime, s’agite « sous et sur » sa peau a été annihilé, supprimé, gommé d’un simple geste. Désormais, plus rien ne peut atteindre cet homme à l’allure de docker, pas urbain pour un sou. Bien protégé dans une carapace à toute épreuve, notre coursier en oublie de regarder autour de lui. Et boum... c’est l’accident ! Et le renvoi pur et simple. Pour échapper au chômage, notre coursier devient... tueur à gages ! Et Amélie Nothomb de se mettre à rédiger, dans la foulée, le petit manuel cosmétique du parfait tueur à gages !

Comment vivre les sens rentrés en dedans, pourquoi pas une débauche olfactive ?

Les sens d’Urbain ont été mis sous le boisseau. Désormais, pour obtenir un mini-frisson, il lui faudra tenter l’impossible, découvrir des choses nouvelles, partir à l’aventure, se lancer vers l’inconnu (le « rien de connu »). Une forme d’anosmie particulière : voilà ce qui est tombé sur sa tête, ou plutôt sur son nez. Désormais, pour arriver à sentir quelque chose, Urbain doit « être poignardé de plaisir » par une senteur capable de créer dans son cerveau un électrochoc délicieux. Le « goudron chaud », « la queue de tomate », « le pain rassis », « les roses mortes de très longue date », voilà, pour le moment, ce qui est encore susceptible de titiller les récepteurs sensoriels logés dans son tarin. Il y a, bien sûr, les parfums du quotidien, il y a aussi les fragrances un peu sophistiquées, mises au point par ces « nouveaux parfumeurs », capables de réaliser des jus originaux et sur-mesure... devant vous, quasiment sous votre nez. Ceux-là sont toujours déçus par la visite de clients urbanesques (c’est-à-dire du genre d’Urbain) ; ces clients-là viennent en ce lieu, non pour acheter, mais en manière de rééducation olfactive, les « débauches olfactives » qui y sont pratiquées étant censées booster un sens en plein contresens.

Comment vivre en tant que tueur à gages, quelle routine cosmétique adopter ?

Un tireur d’élite qui souhaite travailler proprement doit respecter quelques impératifs en matière d’hygiène. Il faut, premièrement, être propre (c’est ce que l’on appelle « L’hygiène de l’assassin »), afin de ne pas laisser flotter dans l’air de molécules odorantes, susceptibles de le faire repérer trop facilement/rapidement ; les douches « brûlantes » sont du meilleur effet. Eviter les produits douche évanescents à odeur forte ! Il faut, deuxièmement, être sec, sans un poil de gras sur les mains, sans une trace de sueur entre les phalanges, afin de ne pas ripper sur la détente de manière prématurée. « Il faut donc éviter ces crèmes nettoyantes à l’huile d’amande qui ont la réputation d’adoucir les mains quand elles les recouvrent de ce film onctueux qui beurre dangereusement la détente. » Donc pas de cosmétiques sur les mains, en revanche, un lavage soigneux (style chirurgical) avec un « vieux pain de savon Sunlight au citron », ce savon, inventé, en 1890, par William Hesketh Lever, un industriel soucieux de la santé cutanée de ses concitoyens.2 Un lavage à « l’eau glacée », qui va permettre d’éliminer l’abondante mousse induite, est, bien sûr, plus que nécessaire. Un soupçon de savon restant et c’est la faute professionnelle...

Comment vivre en tant que tueur à gages quand on a retrouvé tous ses sens ?

La rencontre d’Urbain avec celle qu’il nommera désormais Hirondelle projette notre tueur à gages, à l’allure d’armoire normande, dans un monde où le sens surabonde. Le bien et le mal... ça y est. On y est ! Urbain voit désormais ce que c’est. Mais du même coup, tous les sens se réveillent et, franchement, le résultat n’est pas plus agréable que l’absence de sens. Quelle cacophonie ! Une « hyperesthésie formidable » se déverse, en douches, brûlante puis glacée, sur la tête de notre brave employé modèle. « Le parfum des tilleuls m’envahissaient l’âme, l’éclat des pivoines m’écarquillaient les yeux, la caresse du vent de mai m’émoustillait la peau, le chant des merles me fendait le cœur. » « Bombardé de perceptions », voilà ce à quoi est condamné notre tireur d’élite ! Difficile dans ces conditions (la moindre petite herbe entre deux pavés le fait désormais chialer comme un gosse) de continuer un métier où la moindre des choses est la plus grande insensibilité.

Comment prendre sa retraite de tueur à gages ?

C’est là où les choses se gâtent. Pas de cotisations sociales, pas de caisses de retraite complémentaire. Un contrat à vie ! Entrer dans le métier, c’est accepter de n’en point sortir... Et pour Urbain comme pour les autres. « Sur le miroir de la salle de bains « d’Urbain ses collègues ont tracé « au dentifrice un sobre et comminatoire « A Bientôt » » ! La seule solution : la fuite, un sac à dos rempli d’un « rasoir, un shampooing-douche, un peigne, un kit brosse à dents-dentifrice, une paire de chaussettes, un caleçon, un pantalon, un tee-shirt », sur le dos.

Journal d’Hirondelle, en bref

Une histoire qui reste tatouée dans le cerveau, tant elle est sombre. Il y a, bien sûr, de l’humour, mais il y a aussi beaucoup de passages glacés/glaçants. Et une jolie citation sur les rapports papier/peau : « Parmi les ancêtres du papier, il y a la peau. L’écriture a longtemps relevé du tatouage. ». Amélie joue/jongle avec les mots, nous pose des questions, n’attend pas les réponses, nous bringuebale dans tous les sens, comme si l’on était à la foire du Trône ! Allez dormir après cela... On en sort rincé comme à la fin d’un cycle de lave-vaisselle ; et puis, quand on est cosmétophile, on garde, précieusement à l’esprit, les conseils cosmétiques venus d’un autre monde !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien... sûr que ton illustration va toucher sa cible !

Bibliographie

1 Nothomb A., Journal d’Hirondelle, Albin Michel, 2006, 91 pages

2 https://www.zeldaetcharlie.fr/products/savons-sunlight-zeep-dans-leur-emballage#:~:text=Dans%20les%20ann%C3%A9es%201890%2C%20William,hygi%C3%A8ne%20dans%20l'Angleterre%20victorienne.&text=Avec%20quasiment%20un%20si%C3%A8cle%20au,'odeur%20du%20savon

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