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Honoré Paquignon, un parfumeur pas très rock’n roll

> 08 novembre 2020

Honoré Paquignon, un parfumeur pas très rock’n roll

La vie d’Honoré Paquignon, parfumeur célèbre, Président de la chambre syndicale de la Parfumerie française, officier de la Légion d’honneur, membre du très sélect cercle Gambetta, vire au cauchemar dès lors qu’il va s’emmouracher d’une dactylo,1 pas encore rock, mais qui travaille, effectivement, le jour et la nuit... Merci aux Chaussettes Noires, en passant !

Chez Honoré Paquignon, le bel édifice, qui tient debout depuis une bonne vingtaine d’années, va littéralement exploser, au fil du récit et la déflagration va laisser notre bon (ou affreux ?) bourgeois tout à fait pantelant et très enrhumé en fin de parcours.

Il est important de commencer par le commencement et donc de préciser qu’Honoré a débuté comme simple employé, à Paris, aux Galeries Saint-Martin ; il y a fait montre d’excellentes qualités de vendeur, commercialisant, avec succès, le parfum « Mimi-Pinson » et en le rebaptisant par la suite « Triple extrait des Duchesses », afin de booster les ventes, grâce à ce charmant vernis aristocratique. Le jeune homme, visionnaire, sent que le temps est venu de mettre au point des « pâtes qui mastiquent et nivellent les rides ». Honoré découvre l‘épiderme féminin, l’arrache « aux médecins et aux pharmaciens », qui semblent se l’être approprié et décide d’en faire « l’un des plus fertiles domaines de la parfumerie moderne ». Alors que la concurrence en est encore à promouvoir les fortes poitrines, il prend un virage à 180° et concocte la « Pâte de Diane » qui efface les seins. La « Teinture de Ninon de l’Enclos », destinée à blondir jeunes et vieilles est sa deuxième création. Il faut également penser aux hommes et moderniser la galénique du rasage en remplaçant « le savon en poudre pour la barbe par un savon mou, en bâton. » Vient alors la Grande Guerre... L’usine de parfums, montée par Paquignon, est transformée en industrie de guerre ; les gaz asphyxiants remplacent, pendant un temps, les suaves effluves naturels ou synthétiques qui flottaient habituellement auparavant dans l’air. L’après-guerre, nous permet de retrouver un industriel en pleine forme qui suppute déjà les bénéfices à venir. La femme qui a vécu la guerre est une grande consommatrice « d’extraits, de lotions, de crèmes, de pâtes, de produits de beauté en tous genres. » La femme est libérée ; elle a goûté à l’autonomie, à la liberté... Elle est devenue « coquette », « frivole » et use de toutes sortes de cosmétiques pour séduire la gente masculine. « La vraie victoire, c’est celle du bâton de rouge ! Si la poudre a tant parlé, c’était pour assurer le triomphe de la poudre de riz. » Les hommes ne sont pas en reste et cherchent également à plaire à grand renfort « d’artifices, de cosmétiques, de pommades, de parfums ». Au fil du temps, Honoré Paquignon est devenu un homme d’affaires redoutable. Il a l’œil sur tout et en particulier sur les emballages et la publicité. Il laisse les chimistes réaliser leurs précieux mélanges, dans leur laboratoire, et se garde bien de les déranger, durant cette activité éminemment scientifique. Son travail débute lorsque le jus est composé. Charge à lui d’inventer une histoire, de promouvoir les ventes. Aucune action ne semble hors de sa portée. Il a, par exemple, « fait survoler Paris par un avion qui écrivait, en lettres de fumée, le nom du « savon à barbe Rasibus ». Un 14 juillet, il a versé délibérément du parfum « Une nuit viendra », dans la fontaine de la place Pigalle. Il a illuminé la Tour Eiffel en lettres de feu, avec des publicités pour les quatre produits-phares de la maison, exportés dans le monde entier : le savon « Vésuvia », la « Poudre Sultane », l’embellisseur de teint, baptisé « Crème de Junon » et la « Pâte dépilatoire des Filles de marbre ». Le dentifrice « Ta bouche » n’avait malheureusement pas pu trouver place sur ce monument de Paris. Paquignon, fort de cette expérience, a tenté de « transformer le Mannekenpiss (sic) en vaporisateur ». Premier échec de notre Séguéla parfumeur. Les succès se sont, pourtant, par la suite, enchaînés. Paquignon s’est très rapidement rendu compte des bénéfices qu’il pouvait tirer de la pilosité féminine. Le poil est alors devenu le pilier de sa fortune. « Les poils superflus pour elles, sont pour moi des plus utiles car je leur dois une grande partie de ma fortune. » Si un jour, le poil est éradiqué du corps féminin, grâce à Paquignon, celui-ci se sait capable d’inventer un produit pour les faire repousser et de mettre au point une campagne publicitaire pour les valoriser.

Tout va se gâter, lorsque Honoré Paquignon va se mettre en quête d’une icône (« une marraine ») pour sa dernière création. Honoré ne veut pas d’une comédienne, car il considère qu’elles se sont dévoyées en faisant de la publicité pour des purgatifs, des coricides, des produits traitant l’eczéma ou les démangeaisons nocturnes... ; il ne veut pas, non plus, avoir recours, comme par le passé, à des femmes du monde, car il n’en peut plus de leurs caprices et de leurs exigences extravagantes en matière d’honoraires.

Tout va basculer le jour où il doit organiser une sorte de casting, afin de mettre la main sur la dactylo de ses rêves ; il est utile de préciser qu’il a été obligé de virer sa sténographe, Alice, une jeune femme peu efficace au tempérament insupportable et au physique ingrat. Laide, le nez constellé de points noirs, ne voulant jamais se maquiller, la jeune femme, aux idées révolutionnaires, a quitté son poste, la menace à la bouche. Parmi les cent candidates convoquées (chacune repartira avec un lot de consolation correspondant à un échantillon de la crème matifiante et assainissante « Lys d’amour »), l’une d’elles se distingue. « Assez grande fille, aux cheveux coupés d’un joli blond cendré », le teint et le décolleté admirables, Micheline Romanet, les yeux faits avec le rimmel « Fluide de Fathma », les lèvres soigneusement passées au raisin « Carmencita » (un rouge à lèvres qui « tient admirablement », mais ne résiste quand même pas au baiser) et les cheveux parfumés à la « Rose mouillée » est la candidate idéale. Le slogan pondu par Honoré Paquignon pour le parfum « Moi toute », « l’exquise senteur dont les effluves ajoutent à la beauté de la femme moderne un attrait ensorcelant, un fluide irrésistible » semble avoir été écrit pour elle. Micheline n’est peut-être pas la meilleure dactylo du monde, mais elle va devenir rapidement la meilleure maîtresse du moment. Micheline, en intégrant l’usine de son amant, va détecter les prémices d’une sorte de révolution. Alors que Paquignon pense que tout roule comme sur des roulettes, Micheline va lui ouvrir les yeux, en lui révélant que certains de ses employés se comportent de manière malhonnête avec les ouvrières.

Il est temps maintenant, de faire entrer en scène Monsieur Théodore Borax (Clément Vautel a été très consciencieux et s’est renseigné sur les actifs cosmétiques à la mode dans les années 1920, le borate de sodium ou borax étant un agent antiseptique très en vogue à l'époque) qui est, aux yeux, de son patron, un employé modèle, qui empile soigneusement les chiffres du matin au soir, dans un bureau hermétiquement clos, sans prendre une minute de pause. La seule distraction que cet employé modèle s’accorde consiste à rechercher les noms commerciaux qui seront apposés sur les flacons de parfum de son chef. Le dernier parfum en date, qui s’inscrit dans la collection « Odeurs célèbres », s’appellera ainsi « Moi toute », car ces deux mots « distillent, dégagent eux-mêmes un parfum intime, amoureux, voluptueux ». Ce nom génial rapportera 100 francs au comptable-poète. Soulignons que celui-ci est également l’heureux inventeur de « Rose mouillée », une fragrance très appréciée, qui a été déclinée dans toute une gamme cosmétique, y compris dans un produit parfaitement « sec », comme une « poudre de riz ». Le talent de Monsieur Borax s’est révélé lors du concours du « plus joli nom de parfum », organisé par la maison Paquignon. Le jury de professionnels avait littéralement fondu pour le nom délicat de « J’en ai mis partout »... Le lauréat du concours s’avérant être un employé de la parfumerie organisatrice du concours, le trop scrupuleux Théodore Borax s’était engagé à refuser le prix de 10 000 francs et avait demandé à garder l’anonymat, afin d’éviter les ragots et suspicion de tricherie. Honoré Paquignon en avait été quitte pour une belle économie, notre vertueux comptable s’étant vu offrir la somme considérable (!!) de 500 francs pour seul dédommagement.

Pour qualifier le comportement de Monsieur Borax, Micheline emploiera l’expression peu sympathique de « vieux dégoûtant ». Premier accroc à la belle image de l’employé modèle !

Autour d’Honoré, gravitent différents personnages. Sa femme Clotilde, une ex-petite vendeuse de jouets aux Galeries Saint-Martin, est insignifiante ; elle souffre en silence des infidélités de son mari. La fille Pierrette est un garçon manqué, qui a décidé d’ouvrir un garage, le Fémina – garage, avec 5 autres bourgeoises. Le fils, Maurice, est délicat et efféminé.  Il se parfume à « Moi toute » (« Ah ! Pourquoi mon fils n’est-il pas ma fille ? »). Poète et fondateur de la revue d’avant-garde le Bilboquet, il est influençable et peut, du jour au lendemain, devenir thomiste avec sa bande de copains. Il y a, enfin, le colonel Comte Antoine de Persicot, un ancien militaire, chef du personnel, qui n’a pas l’air de se rendre compte que les esprits sont en pleine fermentation dans l’usine de Rueil. Les 622 salariés ne sont peut-être pas tous communistes, mais le ferment est là !

Si Micheline est bien utile en tant que marraine du parfum « Moi toute », du fait d’une plastique irréprochable, elle devient assez rapidement encombrante lorsqu’elle se pique de devenir actrice. Félicien, un metteur en scène douteux, qui a réalisé le film publicitaire de la « Pâte des Filles de marbre » et de « Moi toute », l’a engagée comme actrice principale d’un navet ayant pour titre L’Impératrice des hommes. Honoré va devoir cracher aux bassinets pour les beaux yeux, pleins de rimmel de Micheline.

Et puis, il y Alice, qui est devenue journaliste pour Le petit bolchevik illustré et qui balance toutes sortes d’immondices sur son ancien patron. « Exploiteur du peuple, jouisseur cynique, parfumeur pour qui ça sentira mauvais au grand soir », Vindicta (c’est le nom de plume que s’est choisi la perfide Alice) n’hésite pas à corser le tout en racontant, avec tous les détails croustillants possibles, les soirées arrosées du pauvre Honoré Paquignon. Il est accusé de « préparer ses parfums avec la sueur du peuple », ce qui est faux et doublement injuste, puisque le brave parfumeur a mis sur le marché une « crème anti-sudorifique à bon marché, la « Palméa ». On le traite « d’empoisonneur » et ses produits sont présentés comme « nocifs au plus haut point » ; il ferait « la fortune des médecins spécialisés dans les maladies de peau. » Les polémiques vont bon train !

Et puis, il y a Marc Brifaut, un raté qui vit des bienfaits de notre riche industriel. Cet inventeur change de domaine d’expertise comme de chemise. Un jour expert en bijouterie, il s’intéresse le lendemain aux jouets, puis à la maroquinerie, à la « lingerie en celluloïd »... Il court après l’idée merveilleuse qui le rendra millionnaire ; en attendant, il est abonné au Concours Lépine et concocte pour Honoré Paquignon toutes sortes d’objets farfelus, allant du « flacon à bouchon inséparable », au « compte-gouttes marqueur », en passant par « l’éventail-vaporisateur ». Ce poète est un ancien anarchiste qui n’a pas le sens des affaires, mais qui se plaît à affoler son bienfaiteur en lui indiquant que la révolution c’est pour demain (et très précisément pour le 24 décembre !). Cet exalté va entraîner le brave Honoré dans la constitution d’un Comité de Francs-Bourgeois ayant pour rôle de veiller sur la bourgeoisie en cas de révolution rouge.

Il faut ajouter à ces désagréments, un contrôle fiscal qui va permettre de se rendre alors compte que le cher Borax tripatouille allègrement les chiffres à son avantage, depuis des années, et mène joyeuse vie dans les cabarets sous le nom du Baron de Montmartre...

Finalement, la révolution n’aura pas lieu, mais Honoré attrapera un gros rhume durant la nuit de Noël ; tout ne sera pas révolutionné, mais en quelques mois, tout de même, il aura financé un garage au féminin, un spectacle d’avant-garde, un comité de défense anti-communiste, un navet qui ne rapportera pas un radis...

Honoré Paquignon a certainement plus de talent pour communiquer sur ses créations parfumées que pour mener sa vie ou son entreprise. Face aux grévistes, il aura cette phrase devenue célèbre : « Mangez moins de poulets mes amis ». Et, oui, vanter la « Pâte des Filles de marbre » à Mme Cousinet, « femme du sous-secrétaire d’état aux Beaux-arts », est plus simple que de s’aider d’une maîtresse encombrante, d’une dactylo révolutionnaire, d’un chef du personnel débordé, d’un metteur en scène un peu filou ou d’enfants qui ne vous trouvent vraiment pas up to date !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration de l'oeuvre de Clément Vautel !

Bibliographie

1 Vautel C. Je suis un affreux bourgeois, Editions Albin Michel, Paris, 1926, 313 Pages

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