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Histoire d’une petite coiffeuse, bien coiffée, bien poudrée, bien cosmétiquée !

> 13 février 2021

Histoire d’une petite coiffeuse, bien coiffée, bien poudrée, bien cosmétiquée !

En 1935, Agatha Christie imagine un meurtre dans un avion,1 le Prométhée, lors d’un vol sur la ligne Paris-Londres. En 1970, Jacques Dutronc s’imagine en hôtesse de l’air décomplexée, en talons hauts etc... En 1974, Michel Delpech chante, quant à lui, l’amour en wagon-lit. Des moyens de transport qui visiblement inspirent les artistes en tout genre. Pour Agatha, rien de plus simple que de faire voyager le célèbre Hercule Poirot avec un meurtrier bien décidé à frapper un grand coup. La victime, Marie Angélique Morisot dite Mme Giselle, une célèbre usurière parisienne, laide à faire peur, du fait d’une petite vérole gratinée, ne sera pas pleurée par grand monde. A ses côtés, voyagent quelques personnes qui ont eu affaire à ses soins et qui sont donc des coupables présumés tout à fait plausibles. L’arme du crime pourrait être une guêpe ou bien une sarbacane ; celle-ci est d’ailleurs retrouvée sous le siège N°9 (celui d’Hercule Poirot !). Une flèche empoisonnée au venin du « Dispholidus Typus » ou serpent des arbres est à l’origine du décès. Onze passagers, deux stewards... voilà qui va donner du travail à notre détective privé préféré !

Un détective, vaniteux et moustachu

Durant cette enquête, Hercule Poirot, « un petit homme d’un certain âge, aux grosses moustaches et au crâne d’oeuf », est secondé par l’inspecteur Japp. Hercule se prend d’amitié pour une jeune passagère pleine de charme, une petite coiffeuse, prénommée Jane Grey. Ne l’a-t-on pas pris « un jour » lui-même « pour un coiffeur » ? Que d’affinités, donc. Curieux de nature, Hercule se fait ouvrir tous les bagages pour les biens de l’enquête. Miss Kerr voyage avec du rouge à lèvres, de la poudre, une brosse à dents, du dentifrice en poudre et du savon. Miss Grey ne se déplace jamais sans son rouge à lèvres, sa boîte de fard, son poudrier. Lady Horbury, grande consommatrice de cosmétiques, possède, dans une mallette, une réserve de rouge à lèvres (2 bâtons), des fards, un poudrier, une trousse complète de maquillage et un flacon d’acide borique (l’analyse ultérieure de son contenu montrera qu’il s’agit en réalité de cocaïne).

Une Lady, oisive et volage

Lady Cicely Horbury est une charmante (enfin il faut le dire vite) jeune femme au « délicat maquillage de porcelaine de Saxe ». Dans l’avion, pour s’occuper, l’épouse du comte Stephen - trompé de manière éhonté, faut-il le préciser, un « sportif », « sans cervelle », s’examine, avec soin, dans un petit miroir de poche et réalise « quelques raccords de poudre et de rouge à lèvres ». Cette femme fait bien souvent la une des magazines people. En très petite tenue. Un maillot de bain minimaliste qui permet semble-t-il un bronzage optimal. « C’est sans doute parce que, de nos jours, nous avons découvert l’action bienfaisante du soleil sur la peau » que ces maillots de bain rétrécissent à vue d’œil ! L’ex « danseuse de café-concert » a conquis ses lettres de noblesse en tournant la tête d’un authentique comte. Celui-ci lui donne tous les subsides nécessaires pour acquérir tous les cosmétiques de ses rêves. « Pots de crème, poudriers d’un luxe délicat »... autant de produits de beauté qui s’accumulent sur sa coiffeuse.

Une coiffeuse, amoureuse et bien coiffée

Jane Grey est une jeune fille très sympathique, qui vient de passer quelques jours de vacances au Pinet, une commune très prisée des clientes de son salon de coiffure. Celui-ci est localisé à Burton Street, à Londres. Le patron, Antoine pour les clientes, Andrew Leech pour l’état civil, est le roi de la teinture au henné, du shampooing, de la mise en plis...  Depuis des années, Jane fait semblant d’être passionnée par son métier, fait semblant d’aimer ses clientes. En tapotant les ondulations de celles-ci, elle pose les questions rituelles : « Voyons, de quand date votre permanente, madame ? » ou bien s’extasie devant un capillaire extraordinaire : « Vos cheveux sont d’une couleur si rare, madame. » Jane sait aussi très bien parler de la météo et de tout sujet qui peut intéresser une clientèle habituée aux petits soins. Son salaire est très minime ; cela ne l’empêche pas de faire des prouesses et d’être toujours bien habillée, bien maquillée. « Son maquillage, ses ongles, sa coiffure étaient sans reproche ». Il arrive à Jane de s’énerver contre ses clientes ; certains jours, elle serait même capable de les tuer d’un coup de sèche-cheveux. Oui, bien sûr, mais comment aurait-elle pu se procurer le poison exotique qui a tué Mme Giselle ? Et quel mobile aurait-elle ? Le venin de serpent employé n’est pas la signature d’une coiffeuse. « On ne s’en sert pas pour les teintures ou les massages faciaux. » Toujours est-il que le meurtre dont elle a été témoin l’a auréolée de gloire auprès de ses clientes. « Tout le monde voulut être coiffé par la fille de l’avion. » Une telle popularité vaut bien une augmentation de salaire. Oui, c’est très joli tout cela, mais ce travail de coiffeuse est-il vraiment celui qui lui tient à cœur ? Non visiblement pas ! « Ma vraie vocation ce serait de tripoter la chevelure des dames ? »

Jane et Norman... un amour qui semble normal ! La coiffeuse et le dentiste partagent plein de points communs. Ils détestent, par exemple, tous deux, « les ongles très rouges ».

Avec sa collègue et copine Gladys, une « blonde » « évanescente », Jane discute bronzage et type d’homme. Toutes deux sont d’accord pour plébisciter les hommes hâlés (« Un bel homme est légèrement bronzé »). « Tout le monde peut avoir le visage brun, dit Gladys. Cela peut se fabriquer à la plage, ou à partir d’un flacon à 2 shillings 11 pence qu’on trouve en pharmacie. »

Un dentiste, amoureux et aux dents blanches

Le dentiste en question est un jeune homme très séduisant, qui tombe immédiatement sous le charme de Jane, qu’il observe d’un œil très professionnel (« Pas de pyorrhée là-dedans. Des gencives et des dents saines. ») Norman Gale a les « dents blanches, le visage bronzé, les yeux bleus ». Jane et Norman vont passer tout le trajet entre Paris et Londres à se regarder dans les yeux. Enfin, presque. Car, lorsque Norman se lève de son siège pour aller aux toilettes, Jane s’applique à réparer son maquillage. Poudre et rouge à lèvres sont appliqués avec art.

Un archéologue, amoureux et menteur

Jean Dupont, un jeune archéologue, s’intéresse aussi de très près à Jane. Cette petite coiffeuse ferait une assistante du tonnerre. Mais, accepterait-elle de le suivre dans des « pays sauvages », où l’on ne peut pas faire d’ondulations à volonté ? Pas de souci pour Jane qui ondule naturellement. Cet archéologue, comme la plupart de ses confrères, est un « menteur » « inoffensif ». Qui peut les contredire lors de la datation d’un collier ? « S’ils affirment qu’un foutu collier de perles est vieux de 5322 ans, qui va dire le contraire ? »

La mort dans les nuages, en bref

Cette enquête est tout simplement passionnante. Lorsque l’on sait que la femme de chambre de lady Horbury n’est autre qu’Anne Morisot, la fille de Mme Giselle, on commence à voir le bout du tunnel. Lorsque celle-ci meurt après avoir inhalé de l’acide cyanhydrique, on touche au but. L’étau se ressert... Japp ironise, M. Hercule Vanité Poirot a trouvé la clé de l’énigme, en toute modestie. Enfin, en tant que passionnées de cosmétiques, on ne peut qu’être aux anges dans ce roman où les femmes se poudrent et se repoudrent le bout du nez avec application. Sans oublier que lorsqu’une femme se poudre le visage en attendant l’homme qu’elle n’aime, plus rien n’existe autour d’elle !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour ton illustration qui nous met... la tête dans les nuages !

Bibliographie

1 Christie A. La mort dans les nuages, Librairie des Champs-Elysées, 2008, 223 Pages

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