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Histoire d’un fantôme bien-aimé

> 07 août 2021

Histoire d’un fantôme bien-aimé

Et si c’était vrai... quoi ?1 Si c’était vrai de trouver un fantôme dans son placard, un fantôme qui parle, qui change de tenue comme ça lui chante, qui se pose sur un bord de fenêtre, qui vous regarde prendre votre douche, qui vous contemple pendant votre sommeil - et oui notre fantôme souffre d’insomnie - qui se laisse embrasser, caresser et même plus si affinités. Un fantôme transparent pour le commun des mortels et pourtant parfaitement visible, audible pour sa victime, celle qui l’héberge dans... le placard de sa salle de bain. Pour son premier roman - il est paru en 2000 - Marc Lévy n’y avait pas été avec le dos de la cuillère. Le mystère n’est pas saupoudré avec parcimonie ; le mystère nous enveloppe de la première à la dernière page. Rationnels s’abstenir !

Le fantôme avant d’être un fantôme

Commençons par présenter celle qui, suite à un accident de voiture dans sa Triumph, va se retrouver dans un coma dépassé qui va engendrer une séparation de son corps - condamné à l’inertie dans une chambre d’hôpital dans un état végétatif, qui inquiète médecins et famille - et de son esprit - qui flotte en liberté dans les couloirs et les salles de l’hôpital, puis dans les rues de San Francisco, avant de réintégrer tout naturellement son appartement. Avant de jouer les fantômes, Lauren Kline, « une femme, une très belle femme », était une interne en médecine au San Francisco Memorial Hospital. Fan de tisanes - sur le bar du living-room, les bocaux d’infusions sont alignés au garde à vous (« Les bocaux qui ornaient l’étagère en contenaient de toutes essences, comme si chaque moment de la journée avait son parfum d’infusion. ») - Lauren vit à 100 à l’heure, toujours pressée, toujours les yeux rivés sur un « beeper » qui n’arrête pas de beeper, la rappelant en permanence à son devoir : sauver des vies. Pour une fois, pourtant, Lauren va prendre son temps... Un jean, un polo, « un maquillage léger » et voilà Lauren prête pour un week-end à la campagne... Et ben non. Problème de courroie de distribution. La Triumph, incontrôlable, termine sa trajectoire « couchée sur le dos sur un trottoir », après avoir expulsé sa conductrice dans la vitrine d’un grand magasin. Acharnement thérapeutique des collègues de Lauren, émus de retrouver leur collègue au milieu des débris de verre. Lauren, en coma dépassé, intègre une chambre au 5e étage de l’hôpital où elle travaillait jusqu’à présent. Etendue sur son lit, Lauren se rend, tout à coup, compte que son esprit, en toute légèreté et indépendance, est en mesure de se faire la malle... La liberté totale. L’esprit, qui flotte dans les airs, va où il veut, quand il veut. « Plus de questions à se poser sur sa façon de se vêtir, de se coiffer, sur la tête que l’on a, sur sa ligne, plus personne ne vous regarde. » Un changement de tenue en un claquement de doigt (on se croirait presque avec ma sorcière bien aimée !)...

Arthur, un architecte bien dans sa peau, la victime du fantôme

Arthur est un architecte, plutôt bien dans sa peau, même si son enfance n’a pas été des plus roses. En louant l’appartement de Lauren, Arthur se met dans un sale pétrin. Alors qu’il vient tout juste d’emménager (cela fait à peine 10 jours) - les cartons ne sont pas tous défaits - le voilà qui trouve dans la penderie de sa salle de bains, une femme qui chante en stéréo avec la radio et fait claquer ses doigts en rythme ! « Se rendant dans la salle de bain, il hésita entre douche et bain, opta pour le bain, fit couler l’eau, alluma la petite radio posée sur le radiateur près des placards de la penderie en bois, se déshabilla, et entra dans la baignoire avec un soupir de soulagement. » Un fantôme dans une salle de bain, un fantôme qui vous scrute avec de vrais yeux alors que vous êtes tout nu... de quoi piquer un fard ! (« Il piqua un fard et lui souhaita bonne nuit »). De quoi aussi se poser des questions d’un point de vue de sa santé mentale. L’associé et ami d’Arthur, Paul, mis au courant de la situation, ne tergiverse pas. Direction les urgences pour un check-up complet. Scanner et tout le toutim ! RAS. Tout est parfait ; pas l’ombre d’une trace d’un soupçon d’une moindre anomalie. Arthur est pourtant le seul à voir le fantôme de Lauren... et le seul à s’accrocher à l’espoir que l’esprit et le corps s’épousent à nouveau. Euthanasie... le mot qui claque ! Pas question pour Arthur qui entretient avec le fantôme de Lauren des liens privilégiés. Soustraire le corps de Lauren à ceux qui veulent en finir avec, voilà la mission d’Arthur.

Arthur, un enfant, puis un jeune homme psychiquement costaud

L’histoire d’Arthur n’est pas des plus gaies. Abandonné par son père alors qu’il n’a que 3 ans - celui-ci prend un aller simple pour l’Europe - Arthur devient orphelin de mère à l’âge 10 ans. Lili (Lilian), sa mère, était une femme tout en tendresse et en courage, qui avait décidé de faire de son fils un homme avant l’heure, un petit homme « serein », au « sens de l’observation hors du commun » (un sens de l’observation qui lui permettra peut-être un jour de voir l’invisible). Le cancer qui la ronge ne lui a pas donné d’autres solutions. Dans la grande maison de Carmel, à deux pas de l’océan, Arthur est élevé dans l’amour de la nature et des parfums de la nature. Tous les jours, Lili enseigne à son petit garçon « les essences des fleurs ». La roseraie, qui embaume le jardin, est un lieu magique, saturé de « cent parfums » qui se conjuguent, se chamaillent, se réconcilient, selon le moment de la journée. Lili est un « nez », à usage domestique. Elle sait marier les essences entre elles et composer des bouquets pour le plaisir des sens. Pas plus de « deux essences », mélangées ensemble ; une alchimie simple, mais efficace, stockée dans « un grand carafon de cristal jaune, au cabochon en argent dépoli. » « La main de Lili avait une odeur qui ne s’effacerait jamais de la mémoire olfactive d’Arthur. Mélange de plusieurs essences de parfum, qu’elle composait, assise à sa coiffeuse, et qu’elle passait chaque matin sur son cou. » Tout cela c’est joli et charmant, mais ce n’est pas tout... Il faut aussi apprendre à prendre soin de soi, des autres, à lutter, à se forger une carapace pour résister au malheur ; il va falloir entrer en hibernation, le temps nécessaire pour obtenir un diplôme, pour se former à un métier. Surtout ne pas penser à Lili. Rester concentrer sur la cible, réussir sa vie, trouver le bonheur. De temps en temps, bien sûr, sentir la lettre-testament laissée par celle qui lui a intimé l’ordre de s’accrocher à une « terre qui est si belle ». Relire une phrase en particulier, celle qui évoque un jardin où l’on peut se laisser emprisonner : « La solitude est un jardin où l’âme se dessèche, les fleurs qui y poussent n’ont pas de parfum ». Et puis, fermer la porte de la maison de Carmel à double tour et n’y revenir que lorsqu’il le faudra. Lorsqu’il faudra, par exemple, trouver un refuge pour transporter le corps de Lauren, afin de la préserver du destin que lui réservent les médecins de son hôpital.

Arthur et Lauren, deux êtres faits l’un pour l’autre

Non à l’euthanasie de Lauren ! Arthur et Paul, déguisés en infirmiers, s’introduisent dans l’hôpital et kidnappent le corps de Lauren, alors même que son esprit attend sagement, installé dans l’ambulance. Direction la maison de Carmel, au bord de l’océan. Et le flacon aux souvenirs de se briser... « une odeur chargée de souvenirs s’en échappa ! » Le parc, « à l’abandon », est toujours aussi odorant (« une multitude de parfums mêlés provoquaient à chaque pas une farandole incontrôlable de souvenirs olfactifs ») comme figé dans le passé. La maison est parfaite pour les deux amants (et oui, on en est rendu là). Qui dit enlèvement, dit enquête ; qui dit enquête, dit inspecteur. Le meilleur de tous, un certain Pilguez qui, tel un bon chien de chasse, suit la piste odorante d’Arthur et débarque comme une fleur au milieu de la roseraie abandonnée. Evidemment, l’histoire d’un esprit qui se sépare de son corps, qui tombe amoureux du gars qui loue l’appartement du corps et de l’esprit réunis... ça a un peu de mal à passer. Mais il n’y a pas mort d’homme (enfin, pas encore !). Compréhensif, Pilguez enterre le dossier, à condition de vite ramener le corps à l’hôpital. L’euthanasie, on oublie.

Et si c’était vrai, en bref

Drôle d’histoire, que celle d’un esprit séparé de son corps. Un esprit pourtant bien visible pour Arthur ; un esprit qui a tout à fait l’allure d’un corps. Vous nous suivez ? Un esprit qui pourtant, un beau jour, va devenir évanescent, fuyant, comme tout esprit qui se respecte. Allez, on en a assez dit comme cela. Pour la chute... direction la librairie ! Et en attendant, pour ceux qui ont lu, un mélange de sensations olfactives, allant des odeurs d’asepsie de l’hôpital, aux parfums des infusions de Lauren et aux senteurs de roses et de vieux cuir (celle restée figée à l’intérieur d’un vieux break Ford 1961, abandonné au fond du garage de la maison de Carmel). Dans son percolateur à romans, Marc Lévy a mis tous les ingrédients qu’il faut pour nous tenir en éveil. « Laisse l’arôme pénétrer tes narines ! » nous dit-il. Bon, ben voilà... il n’y a plus qu’à lui obéir !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette illustration qui embaume la rose !

Bibliographie

1 Lévy M. Et si c’était vrai..., Robert Laffont, Pocket, 250 pages

 

 

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