> 30 novembre 2024
Drôle de mission que celle qui est confiée au commissaire San Antonio, tout juste au moment où il monte dans le train Paris-Nice, pour des vacances bien méritées avec sa chère Môman Félicie.1 Le boss est inflexible, San-A doit revenir au bureau au plus vite… la sécurité de l’humanité est en jeu, dans la mesure où un espion français vient de ramener d’un laboratoire est-allemand un méchant microbe qui tue tous ceux qui ont le malheur de l’approcher.
Double mission pour San Antonio : localiser, avec son collègue contaminé (Jean Larieux a brisé par maladresse, sur sa chemise, le flacon de microbes prélevé sur le site), le laboratoire d’armes biologiques est-allemand, afin de le faire exploser, d’une part et se débarrasser physiquement du collègue contaminé, afin qu’il cesse de semer la mort sur son passage, d’autre part. Mission délicate s’il en est, puisque San Antonio doit voyager avec un individu qui ne doit pas être approché à moins de 10 mètres !
La mission confiée à San Antonio ne lui sourit guère, puisqu’il lui faut tuer un collègue. D’où un petit clin d’œil à Françoise : « De retour à mon bureau, je considère ma valoche avec une tristesse si hideuse que Françoise Sagan renoncerait à la saluer. »
Tout commence dans le train Paris-Nice, Félicie et San Antonio viennent de s’installer aux côtés d’une dame âgée souffrant d’une « éruption d’eczéma » ! Le haut-parleur de la gare claironne le nom du commissaire, qui se voit dans l’obligation de quitter sa daronne, ainsi que sa voisine de compartiment et son « eczéma sexagénaire » !
S’il n’est pas trop difficile de quitter ses compagnons de voyage, il en est tout de même une qui va lui manquer cruellement… sa tendre et chère Félicie, qui a bien mérité de passer quelques jours avec son grand gars.
Le parfum de Félicie (celle-ci garde toujours dans son sac à main un flacon de « Soir de Paris » « avec un J, comme « J’embaume » » ), qui réjouissait les narines de son fils, ne va bientôt plus être qu’un doux souvenir pour celui que le devoir appelle.
Avant de partir en mission, San Antonio se permet une petite pique à l’intention de son collègue Bérurier, qui arrive au boulot le crâne tondu « au double zéro ». Il s’est fait « déboiser la colline », le pauvre Béru, par le coiffeur, qui n’est autre que l’amant de sa femme. Bérurier, qui a voulu se faire « tailler les douilles », un 1er avril, est ressorti le crâne aussi lisse de « Jules Brumaire », autrement dit « Yul Brynner » ! Afin de réconforter son collègue et ami, San Antonio y va de son couplet sympathique : « ça fortifie la plantation » !
Dans un premier temps, San Antonio prend contact avec Jean Larieux, qui est confiné dans une chambre isolée d’un hôpital parisien. Personne n’a le droit de l’approcher… car tous ceux qui s’y sont risqués sont décédés dans les heures qui ont suivi le contact ! De quoi déprimer !
Et effectivement, Jean déprime, oubliant de se raser et arborant une « barbouse profuse », digne d’un « homme des cavernes, en plus négligé » ! Cet homme est bien bas !
Il a, nous dit Frédéric Dard, « un pied dans la tombe et l’autre dans un pot de vaseline » !
En Allemagne, Jean et San Antonio sont parachutés dans une forêt, proche du laboratoire qui fabrique les armes biologiques. Les deux espions tombent alors sur un garde-forestier, « chauve comme une pierre précieuse ». « C’est la ruine de Gillette que cet être-là ! »
L’occasion pour Frédéric Dard de sortir divers petits surnoms à l’intention de celui qui va leur venir en aide, en leur donnant à manger. « Clodion-le-chevelu », « Cadoricin »… autant de façons de désigner l’individu en question.
Le garde-forestier se rend toutefois compte, rapidement, de l’incongruité de la présence de ces deux zigotos étrangers dans sa forêt. Il tente donc de faire à San Antonio un drôle de traitement capillaire, « une permanente à la hache »… Pas de quoi ravir le commissaire, qui met knock-out le bonhomme, avant de l’enfermer dans sa propre cave.
La bouille en question est celle d’une brave Allemande, qui se prénomme Hildegarde et qui permet à San Antonio d’échapper à la police, pendant un jour. Afin de lui plaire, la femme d’une quarantaine d’années « s’est collée sur la frime trois livres et demie de fards divers. Pour lui ôter ça, maintenant, faudrait un couteau à mastic. » Une véritable « hure peinte en guerre » !
Afin de s’échapper commodément de cette région où il est recherché activement, San Antonio pique des fards (et non un fard !) à Hildegarde, ainsi que des vêtements. « Je me farde copieusement, rouge aux lèvres, aux joues, noir aux châsses… » et au sommet du crâne un charmant « bibi » !
Et maintenant direction Leipzig où San Antonio connait du monde !
Le lecteur de Frédéric Dard est habitué à être malmené. C’est le cas, ici, une fois de plus !
Les petits mots doux parsemés dans les romans (« Le pouvoir de récupération de certains êtres - dont moi - n’a d’égale que la couennerie de certains autres - dont vous ! » ; « bande d’endoffés du paletot » ; « bande de dévastés du grenier ») témoignent de la grande tendresse qui unie l’auteur à un lecteur, parfois débordé par la fertilité de son imagination.
Et puis, Frédéric Dard nous complimente - ça sonne juste - nous, Français, pour « notre cuisine, nos parfums, et notre esprit ! »
Frédéric Dard leur rappelle, au passage, qu’il fut un temps où il ne faisait pas bon être Juif à l’est. « […] vous envoyez votre ami Isaac en vacances chez eux, et ils en font du savon à barbe. »
Evidemment, le moral de San Antonio n’est pas toujours au beau fixe dans cette aventure. Alors qu’il se croit à jamais perdu, contaminé, contaminant, semeur de mort, le brave commissaire à une pensée pour Félicie et pour le « Paris qui sent bon la femme et le printemps » !
Contaminé par le méchant microbe, San Antonio grelotte de fièvre, mais continue pourtant sa mission… Il « tremble de la tête aux pieds, comme un pot de gelée en villégiature sur un vibromasseur. »
Il lui faut à tout prix détruire le labo, qui fabrique les armes biologiques. Cela le rend « nerveux comme un steak de restaurant à prix fixe. »
Arriver au bout de sa mission n’est pas simple, puisqu’à plusieurs reprises il frise la mort. Comme cela lui arrive parfois, il se voit ainsi au bord de la tombe, prêt à « engraisser les astects » (sic). « Ma saponification est en bonne voie. »
Il se voit aussi perdu dans cette région d’Allemagne qu’un « suppositoire dans le rectum d’un fakir » !
Une bande collante qui peut sceller les lèvres et rendre muet comme une carpe !
Frédéric Dard aime beaucoup utiliser l’expression « maquiller » quelque chose. « Je me demande avec curiosité ce qu’il peut maquiller » ! « […] la môme m’entreprend pour savoir ce que je maquille dans son pays. »
En deux temps trois mouvements, San Antonio a fait exploser le laboratoire d’armes biologiques allemand. Son collègue Larieux n’a pas attendu d’être trucidé… il s’est pendu !
Et, bien évidemment, San Antonio a trouvé l’antidote qui lui permet de revenir près de sa maman, en toute sécurité.
Et de retrouver « l’odeur tiède et triste de ses cheveux gris »…
Et de faire la connaissance aussi avec Melle Paulette, « l’adorable petite jeune fille blonde », qui a tenu compagnie à Félicie, en ce début de vacances.
Une charmante jeune fille « bronzée comme une réclame pour l’Ambre solaire » !
Il a peut-être peur des mouches, San Antonio, mais il n’a pas peur des missions périlleuses. En voici une bien gratinée, qui a été menée à terme, avec succès (comme toujours), dans un feu d’artifices d’expressions, plus réjouissantes les unes que les autres. Ce qu’il a pu maquiller comme intrigues alambiquées, ce cher Frédéric Dard, c’est pas croyable !
En tout cas, un as qui arrête une épidémie abominable, en quelques jours, en 1957 !
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.
1 Dard F., J’ai peur des mouches in San Antonio – Tome 3, Collections Bouquins Robert Laffont, 2010, 1288 pages