> 24 décembre 2022
Dans son roman Galigaï,1 François Mauriac ne nous emmène pas à Florence au temps des Médicis (Galigaï est, en effet, le nom de la fidèle confidente de Marie de Médicis). Il nous laisse bien sagement nous installer dans son sud-ouest fétiche. Là, une certaine madame Agathe – surnommée Galigaï – veille jalousement sur Marie, la jeune fille dont elle a la charge. Afin que Marie puisse rencontrer en toute sécurité son amoureux (Gilles Salone), Mme Agathe a établi un marché. Les rencontres pourront se faire si, de son côté, elle est à même de conter fleurette à Nicolas Plassac, le jeune homme qui fait battre son cœur ! Pour complaire à Gilles, Nicolas se laisse faire… se cabrant, toutefois, au moment ultime du mariage.
Marie Dubernet est la fille de Julia et d’Armand, des bourgeois aisés qui, « Dieu merci », ont « de quoi vivre sans travailler » ! Julia a décrété que Gilles Salone, le fils du docteur, n’était pas un bon parti pour sa fille. Depuis lors, elle compte sur Mme Agathe pour tenir le jeune homme éloigné de sa fille.
Marie… c’est une jeune fille de 17 ans, odorante. Sa « chair un peu transpirante » sent une odeur « plus végétale qu’animale, une odeur d’eau et de terre, une odeur d’océan et de jardin. »
Gilles Salone (23 ans), Nicolas Plassac (28 ans)… les inséparables ! L’élève et le surveillant de lycée. Par amitié, Nicolas accepte de distraire Galigaï pendant que Marie et Gilles filent le parfait amour.
Deux inséparables très différents d’un point de vue épidermique. Lors d’une baignade à la rivière, Marie a aperçu les torses respectifs des deux amis. Gilles est velu comme un animal (une « espèce d’ourson »), Nicolas glabre et pâle comme un mort !
« Gilles avait l’air d’un loup. Des gouttes d’eau brillaient sur son pelage doré. Nicolas était laid, blanchâtre. »
Côté hygiène, chez Gilles, il y a à redire… Ses cheveux sont en broussaille, ses mains « jamais très nettes » ! Ses « chemises portées un peu trop longtemps » exhalent une odeur de « pipe froide, d’eau de Cologne et d’enfant qui a couru. »
Côté coiffure, chez Gilles, peut mieux faire… lors des réunions mondaines, il sort son atout « cosmétique », usant de « brillantine » pour maitriser ses mèches rebelles. Le résultat n’est, toutefois, pas à la hauteur du soin apporté. « Ses cheveux, malgré la brillantine, se redressaient en crêtes de coq. »
Une femme à la personnalité étrange. Tantôt « mielleuse et caressante », tantôt coupante comme un couteau. Une « vieille araignée », qui aime manipuler les gens, les enfermer dans sa toile, les asphyxier… Un teint « vert », qui témoigne d’une santé débile. Un visage « osseux », une poitrine inexistante. Une propreté douteuse, avec une blouse sur laquelle on peut distinguer un « cerne de transpiration », au niveau des aisselles. Même lorsqu’elle se lave, Agathe conserve sur sa peau une odeur complexe (une odeur qui révulse Gilles, obligé d’ouvrir la fenêtre en grand lorsqu’il est dans la même pièce qu’elle), bien différente de celle des « pétunias mouillés » qui monte du jardin.
Il faut dire à sa décharge que sa vie n’a pas été facile. Fille du comte de Camblanes, Agathe a été abandonnée le soir de ses noces par le baron Bertrand de Goth qui, une fois la dote de la promise touchée, s’est rendu compte de son penchant marqué pour les hommes. Délaissée au profit du fils du jardinier, laissée seule avec un père inapte à gérer une belle propriété viticole, Agathe, toute honte bue, s’est retrouvée au service des Dubernet. Il faut bien faire bouillir la marmite ! Mais tant qu’à faire de descendre les échelons de la hiérarchie sociale, Agathe a décidé de jouir de la situation en poussant Marie dans les bras de Gilles !
En tombant amoureuse de Nicolas, Mme Agathe devient « coquette » à l’étonnement général ! « Oui, Madame se lave le cou maintenant… » Un tel bouleversement en matière d’hygiène fait bruisser les commères qui se glissent l’une à l’autre les mots suivants : « Il y a peut-être anguille sous roche ! »
Qui réalise des diagnostics sur l’état de la commune où est morte Julia Dubernet, sa tante. Un drôle de séminariste, très insolent, qui ne plaît guère aux habitants de Dorthe. Au repas qui suit les funérailles de sa tante, André Donzac s’interroge : « Il se demandait si le déclin de Dorthe constituait un phénomène limité, s’il s’agissait de cellules mortes, telles ces callosités qui affectent l’épiderme des pieds, ou si Dorthe était au contraire un point gangrené, qui rendait manifeste le mal mortel dont tout le pays est infecté, et peut-être toute l’Europe. S’agissait-il d’un membre pourri ou d’une peau morte ? »
« Une âme forte » régnant sur des « esprits faibles » ! Une femme laide à faire peur, qui veut à tout prix conquérir le cœur de Nicolas, quitte à l’acheter, en l’appâtant avec l’idée de devenir maître d’une propriété viticole de « près de cent hectares d’un seul tenant » ! Une femme qui, bien que manipulatrice, n’a rien compris à la sensibilité de Nicolas. Par amitié, il a bien voulu fréquenter Galigaï ; par fidélité, il est prêt à aller jusqu’au bout de sa promesse quitte à « « maquiller » un suicide » ! Nicolas n’ira, pourtant, pas droit dans le mur. Il saura s’arrêter avant, car il sait qu’il a rendez-vous avec Quelqu’un ! Ce Quelqu’un qu’un séminariste un peu insolent s’apprête à accueillir au creux de ses mains, quotidiennement, lors de la Sainte Messe.
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour !
1 Mauriac F., Galigaï, Le livre de poche, Flammarion, 252 pages
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