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Histoire à l’eau de roses d’une escale stambouliote pour marin dépressif

> 25 mai 2019

Histoire à l’eau de roses d’une escale stambouliote pour marin dépressif

Pierre Loti est décidément un très mauvais mari. Chaque escale du marin est prétexte à convoler en injustes noces. Une Rarahu tahitienne,1 une demoiselle Chrysanthème japonaise,2 une Aziyadé turque3 se partagent ainsi, tour à tour, son cœur. La belle Aziyadé, rencontrée à Monastir, grâce à Samuel, est conquise à Istanbul (« Stamboul ») et se retrouve « bien assise tout au fond de » la « pensée » de celui qui vit, à la turque, dans le faubourg de Stamboul baptisé Eyoub. Quelques « vagabondages nocturnes » avec des maîtresses empressées de lui faire oublier le souvenir de la belle jeune fille lui permettent d’attendre patiemment le retour de la belle.

Afin de mieux apprécier le pays où il se trouve, Loti partage sa vie entre le stationnaire anglais, « le Deerhound » où il effectue ponctuellement son service et un logement aménagé à la turque, rue Kourou-Tchechmeh, où il a posé ses bagages. C’est sous le nom de Arif-Effendi, que l’on connaît Loti dans le quartier d’Eyoub. La transformation de l’officier de marine en musulman se fait dans un bar un peu louche avec la connivence d’une tenancière italienne, connue sous le nom de « Madame » (leur « Madame plus exactement puisque c’est la « madame de Samuel et d’Achmet »).

Loti partage son cœur entre Aziyadé, Samuel et Achmet.

Aziyadé est une « petite personne mystérieuse », coiffée d’une auréole de cheveux follets qui ne peuvent être maitrisés malgré les heures passées chaque matin à tenter de les discipliner. « Ce travail et celui qui consiste à teindre ses ongles en rouge orange sont ses deux principales occupations. » La teinture des ongles au henné constitue une « opération de la plus haute importance ». Lors de la pousse de l’ongle, il est possible de distinguer, au niveau de sa racine, une « zone très rose », qui contraste avec la couleur rouge orange de la partie la plus externe. Aziyadé est « paresseuse » et passe le plus clair de son temps enfoncée dans de profonds coussins. On se demande comment elle arrive à consommer autant de paires de « petites babouches de maroquin jaune » (3 paires par semaine environ) en mettant aussi peu le pied par terre ! Elle se distrait parfois en fabriquant de l’eau de roses dont elle fait une importante consommation (« ses bras ronds, d’une teinte mate et ambrée, frottés d’essence de roses »). Sa chambre en est toute parfumée et tout ce qu’elle offre porte son empreinte olfactive. Lorsqu’elle remet à Loti une lourde bague, celle-ci est enfermée dans une « toute petite boîte, qui sentait l’eau de roses comme tout ce qui venait d’elle. » Avec ses 18 à 19 ans, Aziyadé n’a pas de peine à être la reine du harem de Abeddin-Effendi, un vieillard qui passe plus de temps à s’occuper de ses affaires qu’à surveiller ses épouses. Ses quatre femmes s’entendent comme « larrons » en foire et constituent les unes pour les autres des alibis de choix, permettant de rompre, de temps à autre, la monotonie d’une vie communautaire.

Samuel est un « va-nu-pieds » d’exception que le marin se plaît à comparer à un « diamant brut enchâssé dans du fer ». Le « va-nu-pieds » n’est pas bien riche comme son surnom l’indique. Par souci d’économie, il a développé un curieux stratagème afin de recycler les vêtements usagés. « Samuel met deux culottes percées l’une sur l’autre pour aller au travail ; il se figure que les trous ne coïncident pas et qu’il est fort convenable ainsi. »

Achmet, enfin, est un garçon « gai » et « poétique ».

Loti, alias Arif-Effendi, est, semble-t-il, à la quête de Dieu, quel que soit le nom que l’on veut bien lui donner. On est presque étonné de ne pas trouver Loti installé chez un barbier local afin d’adopter la coupe traditionnelle qui lui permettra de se hisser jusqu’aux portes du salut (« Les bons musulmans se font gravement raser la tête, en réservant au sommet la mèche par laquelle Mahomet viendra les prendre pour les porter en paradis »).

Il nous livre le journal d’un homme malheureux qui cherche, en terre étrangère, un dérivatif à un état dépressif chronique. Il tente de s’enivrer « au bruit du tambour, avec des parfums et de la fumée» et veut garder, gravé, sur sa peau le souvenir de cette épisode turc. C’est un vieux grec, dénommé Dimitraki, qui est chargé par Samuel de tatouer le prénom Aziyadé « sur l’emplacement du cœur. » (« une petite plaque endolorie, rouge, labourée de milliers d’égratignures, qui, en se cicatrisant ensuite, représentèrent en beau bleu le nom turc d’Aziyadé. ») Ce tatouage et le chant d’une mésange permettront à Loti de se souvenir, toujours, de la douceur de vivre ressenti lorsqu’il était politis. Encore un mot pour préciser qu’il ne fait pas bon être l’épouse de Loti. Lorsque celui-ci repart dans son pays, il abandonne une Aziyadé désespérée qui ne tarde pas à mourir de chagrin.

Un grand merci à Jean-Claude Coiffard A., poète et plasticien, qui a su traduire ce que pouvait représenter Loti, Aziyadé et le pouvoir des roses...

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Bibliographie

1 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/quand-la-reine-pomare-se-dirige-vers-le-fond-du-jardin-1017/

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/pierre-loti-un-elephant-dans-un-magasin-de-porcelaine-1043/

3 Loti P. Aziyadé, Tallandier, collection nostalgie, 1977, 253 pages

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