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Hercule Poirot, une attitude au soleil jugée vieux jeu !

> 14 novembre 2020

Hercule Poirot, une attitude au soleil jugée vieux jeu !

Témoin à charge constitue un ensemble de nouvelles,1 qui nous permet d’en connaître un peu plus sur Hercule Poirot, ses célèbres moustaches, sa fidèle secrétaire, son fidèle Hastings et ses habitudes en matière d’exposition solaire. Un verre de sirop de cassis à la main, Poirot nous emmène dans ses bagages à Rhodes, pour de drôles de vacances, qui finissent plutôt mal. Il nous présente également à son amie, Lady Chatterton, une belle mondaine qui réclame son aide : « Donnez une belle courbe à votre charmante moustache et venez ! ».

Hastings, un goût prononcé pour les femmes rousses

Lors d’une excursion en autocar (Double manœuvre), Hastings tombe en pamoison devant une magnifique jeune fille rousse. Poirot, fort peu impressionné, la trouve, quant à lui, pas très intelligente. Une jeune fille peut être belle, posséder une merveilleuse chevelure auburn et se conduire néanmoins comme une sotte. »

Miss Lemon, un goût prononcé pour les angles

Miss Lemon, la fidèle secrétaire de Poirot, est une femme de 48 ans, très anguleuse. Cet aspect de sa personnalité répond aux exigences de Poirot en matière de « symétrie ». Cette pro du rangement ne risque pas de séduire un patron sensible aux courbes « voluptueuses », telles celles d’une célèbre comtesse russe pleine de charme.

Poirot, un dégoût prononcé pour les moustaches de boucot

Pendant qu’Hastings (Double manoeuvre) reste bouche bée devant une chevelure auburn, Poirot s’apitoie à la vue du résultat « assez piteux », obtenu par un jeune homme, qui « se laisse pousser une moustache ». Pour arborer de « magnifiques moustaches », comme celles du détective belge, il faut mettre en œuvre tout un protocole de soin, tout un « art » ! On retiendra la leçon donnée par Hercule : « Un criminel est imberbe ou affublé d’une moustache bien visible qui peut disparaître rapidement. » Il n’existe pas d’entre deux.

Poirot, une attitude au soleil jugée « vieux jeu »

Dans la nouvelle Trio à Rhodes, on retrouve Poirot sur une plage italienne, au milieu d’une nuée de jolies jeunes femmes. En « flanelle blanche » et « panama à larges bords », Poirot se protège prudemment des rayons du soleil, faisant preuve de son bon sens naturel. Son attitude étonne un peu certaines jeunes femmes, qui passent leur temps à rôtir sur le sable et qui considèrent qu’il appartient à la « génération vieux jeu qui tenait pour essentiel de se préserver soigneusement du soleil. » « L’école moderne », composée de jeunes femmes libres, utilisant le « minimum de vêtements », use et abuse d’expositions solaires, afin d’avoir un corps parfaitement bronzé. Paméla Lyall et son amie, Sarah Blake, font partie de cette école moderne. Paméla s’enduit consciencieusement le corps d’un « liquide huileux », afin d’essayer d’obtenir un bronzage aussi parfait que celui de Sarah : « Il faut se donner beaucoup de mal pour obtenir un hâle uniforme ». Hercule Poirot, pas si vieux jeu que cela, est invité à appliquer la précieuse huile dans un endroit inaccessible par la jeune baigneuse, « en dessous de la bretelle gauche ». Et Poirot s’en acquitte fort bien. Dernière étape : essuyage des mains « méticuleusement » ; le produit est, en effet, affreusement gras.

Hercule, Paméla et Sarah constituent un charmant trio qui se plaît à observer les plagistes qui arrivent successivement sur le sable. En ce mois d’octobre, les touristes sont peu nombreux. La dernière arrivée est une femme au teint encore pâle, qui ne manquera pas de caraméliser au soleil, comme les autres. Valentine Chantry, une femme orgueilleuse et fière de son corps, est aussi blanche que son maillot de bain. Cette mangeuse d’hommes est redoutable ; ses yeux « de saphir » séduisent tous ceux qu’elle approche. Son mari Tony, assez ombrageux, est une grande brute qui fait néanmoins ses quatre volontés, lui disposant sa serviette de bain sur la plage ou partant à la recherche du « petit pot de crème pour le visage », laissé à l’hôtel. Lorsque Mrs Chantry parle de s’enduire d’huile solaire et se bat avec le bouchon de son flacon, tout le monde se précipite à son aide. Et Poirot n’est pas le dernier. Il n’est pas le premier non plus… Mr Gold, le mari de Marjorie, une petite femme assez ordinaire, au teint frais, arrive le premier sur le podium ! Crise de jalousie en perspective… Un trio amoureux se met en place !

Le général Barnes, qui voit en Valentine une guenipe fardée (même ses ongles sont « carminés »), n’a que peu d’estime pour celle qu'il considère comme une adoratrice du soleil, capable de passer sa journée étalée sur le sable. Ne la voyant jamais dans l’eau, Barnes s’imagine que cela a un lien avec un maquillage qui ne serait pas waterproof. Sarah le détrompe : « Vous vous trompez au sujet du maquillage, nous sommes toutes à l’épreuve de l’eau et des baisers aujourd’hui. »

Le séjour à Rhodes se terminera par un meurtre au soleil… un meurtre à l’aide d’un verre de cocktail empoisonné à la strophantine, une molécule extraite de l’ashwagandha (Withania somnifera L., Solanacées).2

Témoin à charge, en bref

Dans cette série de nouvelles, Agatha Christie nous permet de découvrir un peu mieux notre détective préféré. « Orgueilleux pour tout ce qui concernait sa profession », mais « très modeste dans l’évaluation de ses attraits personnels », Hercule Poirot apparaît, une fois de plus, plein de savoir-vivre (Ah quel plaisir de lui voir enduire avec délicatesse le dos des belles plagistes d’huile solaire) et de bon sens. Alors que la mode du bronzage commence à battre son plein sur les plages du monde entier, fidèle à des vêtements couvrants et à un couvre-chef à larges bords, il se prémunit des cancers cutanés, tout en observant, d’un œil expert, la comédie humaine qui se joue sous ses yeux.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette baigneuse... très "années 30" !

Bibliographie

1 Christie A. Témoin à charge, Librairie des Champs-Elysées, 189 pages

2 Dhuley JN. Adaptogenic and cardioprotective action of ashwagandha in rats and frogs. J Ethnopharmacol. 2000 ;70(1):57-63. 

 

 

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