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Hercule Poirot, un stomatophobe célèbre !

> 26 décembre 2020

Hercule Poirot, un stomatophobe célèbre !

Hercule Poirot, le célèbre détective né de l’imagination d’Agatha Christie, est tout à fait conscient de sa supériorité. Beaucoup de gens lui reconnaissent d’ailleurs un manque de modestie patent. Le seul endroit où l’on pourra voir un Hercule Poirot abdiquant tout sens de l’honneur est le cabinet de son dentiste préféré, un certain Mr Morley.1 Et justement, ce Mr Morley va périr d’une balle de révolver, le jour-même où Hercule Poirot vient pour son « examen semestriel ». Succomberont dans la foulée, deux patients ayant été reçus en rendez-vous au cours de cette fatale matinée. Mr Amberiotis et Mrs Sainsbury Seale décéderont successivement d’un surdosage d’anesthésique, injecté dans une gencive et d’un thé aromatisé au véronal ! Cette série de meurtres constitue une « affaire qui pue » ! Hercule Poirot ne croit absolument pas à une erreur médicale (ce surdosage en adrénaline et procaïne ne ressemble pas au Dr Morley), il faut chercher ailleurs... Alors cherchons !

Une sainte horreur du dentiste

Il n’y a qu’un seul endroit où vous pourrez voir Hercule Poirot perdre ses moyens, c’est dans le cabinet de son dentiste. « Terrifié par le fauteuil du dentiste », Hercule n’en mène pas large lorsque c’est son tour de pénétrer dans le cabinet dentaire. Un « examen semestriel », c’est l’épreuve que s’impose Hercule, du fait d’un « sens de l’ordre » poussé à l’extrême. L’examen réalisé met en évidence deux plombages à consolider (et un et deux !), ainsi qu’un début de carie (et trois !) à stopper dans son élan. Hercule Poirot rentre la tête dans les épaules, se cale dans le fauteuil et attend héroïquement (et en criant) que le Dr Morley en ait fini avec ses molaires plombées ou à plomber. Le petit détective à la tête « ovoïde » s’agite sur son siège ; ses célèbres moustaches en prennent un coup ! En sortant du cabinet dentaire, Hercule, tout penaud, jette un regard dans la glace du hall et rectifie « le bon ordonnancement de ses moustaches ». Ses « moustaches phénoménales » vont devoir retrouver toute leur tonicité, afin de pouvoir être tortillées au moment les plus critiques de l’enquête.

Une histoire de blondes interchangeables

Dans cette histoire très compliquée où les agents secrets jouent avec nos nerfs, deux blondes s’affrontent. Miss Sainsbury Seale, la « quarantaine » ramollie, arbore des « cheveux blondassses », qui pendouillent en « boucles mollassonnes ». Miss Sainsbury finira pliée en quatre dans une grande malle de voyage. Un mois après sa disparition, son cadavre, au visage mutilé, est retrouvé au domicile d’une certaine Mrs Sylvia Chapman. Le médecin légiste, après les constatations d’usage, précisera dans son rapport : « cheveux gris à la racine, teints en blond ». Mrs Chapman, par ailleurs introuvable, est décrite comme une jolie femme « élégante, bien maquillée, habillée à la mode. » Sa salle de bain est le siège d’une « grande exposition de produits de beauté ». « Poudre, fards, démaquillants, crèmes nourrissantes, plus deux flacons de teinture pour les cheveux. » Voici l’inventaire dressé par Hercule Poirot. Connaissant bien les femmes et les cosmétiques, Hercule n’est pas étonné de trouver ces flacons de teinture. La « blonde platinée », connue de ses voisins est, en réalité, une femme aux cheveux grisonnants, qui ne veut pas se laisser dicter son aspect par la nature. Mrs Chapman a disparu ! En fuite, peut-être ? En fuite, les cheveux teints en « rouge henné », afin de brouiller les pistes !

Entre Miss Sainsbury, un « laideron mal fagoté qui ignore tout du fard et du rouge à lèvres » et Mrs Chapman, une belle femme, toujours tirée à quatre épingles et parfaitement maquillée, un abîme cosmétique ! Seuls l’âge, la taille, la corpulence et des cheveux gris teints en blond constituent les points communs entre ces deux femmes que tout sépare.

Une histoire de banquier indispensable à la stabilité de l’état

Alistair Blunt est, lui-aussi, un patient du Dr Morley. Et si la véritable cible c’était lui ? Tout porte à le croire. Cet homme important semble être à l’origine de la stabilité de l’état anglais. Sa nièce, Jane Olivera, une « grande fille brune, mince et bronzée », est fort étrange. Très agressive, elle n’a pas l’air de vouloir aider les enquêteurs à y voir clair dans cette affaire de meurtres. Prise au dépourvu, Jane blêmit et tourne au « verdâtre » ! Son « hâle profond » ne résiste pas à la panique.

Une histoire de chaussures trop étroites

Une fois de plus, Hercule a opté pour des chaussures un peu trop ajustées... Ses bottines en cuir sont fort jolies... mais absolument pas confortables. Lorsque la « brûlure du soleil » se fait cuisante, les pieds d’Hercule se transforment en « puddings géants ». Heureusement, cette mésaventure ne perturbe aucunement l’esprit « méthodique, ordonné, logique » de l’infortuné dandy.

Et aussi un garçon qui se prend des savons

Alfred, le garçon qui introduit les patients dans le cabinet du Dr Morley, n’est pas des plus performants. Il mange les noms ; les mutile, les modifie. Son attitude désinvolte lui vaut des « savons » de la part d’un Dr Morley, toujours très professionnel.

et des Londoniennes un peu trop plates

Mener une enquête dans la cité londonienne est l’occasion pour notre célèbre détective de laisser s’égarer ses yeux sur les « appas » des jeunes Londoniennes. Ces « appas » sont tout de même un peu « maigrelets ». Et Hercule Poirot de se souvenir, avec regret, des « courbes pleines », des « formes voluptueuses » d’une aristocrate russe, Vera Rossakov, rencontrée des années auparavant.

Ce roman intitulé Un, deux, trois est bien compliqué à suivre. On s’y perd, on pédale dans la teinture capillaire, dans le fard à joue et dans la crème nourrissante, pour peau mature. Heureusement, le charme d’Hercule Poirot opère une fois de plus, un Hercule Poirot, soucieux de sa santé bucco-dentaire, un Hercule Poirot qui prend de la consistance, en nous avouant ses failles, un Hercule Poirot qui, en s’installant dans le fauteuil de son dentiste, descend de son piédestal et nous avoue, en toute simplicité, la maladie dont il souffre : une stomatophobie aigue !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour !

Bibliographie

1 Christie A. Un, deux, Trois, Editions du Masque, Librairie des Champs-Elysées, 2006, 191 pages

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