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Helena Rubinstein dans les yeux de Paul-Loup Sulitzer

> 09 décembre 2020

Helena Rubinstein dans les yeux de Paul-Loup Sulitzer

Dans les yeux de Paul-Loup Sulitzer,1 auteur à succès des années 1980, Helena Rubinstein est une drôle de petite bonne femme, de « cent quarante neuf centimètres » de haut, qui aime à jeter le corset aux orties (sa taille est « naturellement fine »), adore se mettre à nue, comme sa copine Colette, multiplie les amants (détails croustillants à foison), jure comme un charretier. Helena est rebaptisée Hannah... Son histoire est très largement romancée. Pourtant, l’essence-même de celle qui fut baptisée « l’impératrice de la beauté » est captée et restituée. Paul-Loup Sulitzer n’est pas parti à l’aveuglette dans l’univers de la beauté de la toute fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle ; il s’est renseigné sur la question et est devenu incollable sur la composition des crèmes de beauté et des bâtons de rouge à lèvres. Helena, Paul-Loup l’imagine bien comme un « génie », sachant au mieux « se servir de tout le monde », comme une manipulatrice de talent, comme une femme « investie d’une mission sacrée ». Un portrait finalement assez proche de celui dressé par Patrick O’Higgins.2 Une femme qui fait un métier d’hommes, dans un univers exclusivement masculin.

Hannah, un drôle d’animal, dans une drôle de ménagerie

L’histoire d’Hannah commence l’été de ses 7 ans ; la petite fille (« vraiment très petite » pour son âge), « maigre comme un hibou la veille du shabbat, un hibou dont elle a au surplus le grand regard élargi et grave », fille de reb Nathan et de Shiffrah, aime à flâner dans la nature, pour « cueillir les simples et les plantes », qui serviront à fabriquer des onguents. Lorsqu’il manque de la sanicle ou Herbe de Saint-Laurent, Sanicula europaea, une plante herbacée de la famille des Apiacées, pour concocter un baume, qui soigne diverses affections du fait de ses propriétés astringentes,3 c’est Hannah qui s’y colle. Et avec bonheur encore ! Sa promenade la mène, comme par hasard, vers Taddeuz, un jeune garçon de 6 ans de plus qu’elle. Les deux enfants jouent ensemble à faire des courses de sauterelles. Celle de Taddeuz est toujours la plus rapide ! Un scarabée, taillé avec maladresse, dans un bois sombre, va venir sceller une amitié qui laisse présager bien autre chose. Tout serait parfait si Hannah n’était pas juive (une petite juive, à la « bouche un peu trop mince », au visage piqué de son, et aux cheveux de « cuivre roux »), s’il n’y avait ces pogroms meurtriers. En une journée, Hannah voit son monde s’écrouler. Il y a d’abord Nathan, puis Yasha, le frère adoré. Tous deux morts ! Un frère qui se sacrifie pour sauver sa petite sœur, enfouie sous une meule de foin, alors même que Taddeuz, le lâche, s’enfuit avec les assassins. Et puis, un grand gaillard, un charretier qui aime la littérature (et pas que...), qui prend sous son aile la petite fille, qui vient d’échapper à la mort. C’est Mendel Visoker, un homme qui, veillera, toujours, sur celle qui, avec ses yeux de hibou, l’a envoûté, dès le premier instant. Un « chaton terrifié », voilà comment se présente Hannah, durant les évènements tragiques de cet été 1882. Ce chaton, qui vient se réfugier dans les bras de Mendel, saura bien se transformer en « gerfaut fondant sur un héron », pour mener par le bout du nez celui qui est bien décidé à remplacer coûte que coûte le père absent. Plusieurs fois par an désormais, Mendel passe au village et prend des nouvelles de sa filleule. Shiffrah s’est remariée avec un vieil homme, Berish Korzer, en 1886. Un « imbécile considérable », selon le jugement, sans concession, d’Hannah. Au fil du temps, Hannah grandit. Sa « peau très blanche qu’aucun soleil ne hâlera jamais » et ses « yeux extraordinaires », « aux pupilles grises », la distinguent des autres gamines. En 1889, à 15 ans, la gamine est bien décidée à quitter son village, pour faire fortune ailleurs. Un chantage auprès du rabbin et la voilà à Varsovie. La sœur du rabbin, Dobbe Klotz, une crémière, qui ressemble comme deux brins de paille à une « meule de foin » (entendez par là qu’elle n’a plus de forme !) ou à un rhinocéros (ça c’est pour les mauvais jours) ou même à une baleine (« ce n’est pas gentil pour les baleines »), se charge de la fillette. Entre Dobbe et Hannah, le courant passe. Hannah est encore plus rapace que Dobbe. Avec elle, le commerce va rouler à fond. La crémerie, qui sent le beurre rance, va rapidement se transformer en un commerce distingué, ressemblant, comme deux gouttes de lait, à un institut de beauté. Des jeunes filles, en « blouses blanches à col bleu ciel », délivrent désormais tous les produits laitiers, dans une ambiance claire et propre. Et hop, après la crèmerie, l’épicerie fine avec gâteaux, chocolat, liqueurs. Et hop, après l’épicerie, le magasin de mode, de « mode féminine ». Tout va pour le mieux, jusqu’à ce que « Pelte le loup », un horrible bonhomme, ne vienne violer et mutiler Hannah. Un élève du célèbre Dr Semmelweiss est mandé auprès de la jeune fille. Et la remet d’aplomb. Dans la nuit du 23 au 24 février 1892, Pelte est tué... par Mendel, qui continue à veiller sur Hannah. Lui qui était prêt à s’embarquer pour l’Australie va devoir faire ses bagages pour la Sibérie. L’Australie, c’est Hannah qui va en goûter... et la fortune est au bout du chemin. A 17 ans et 5 mois, avec des petits pieds qui chaussent du 33, Hannah découvre le pays des « kangourous ». Pas de quoi faire des bonds, pourtant ! Détroussée, Hannah n’a plus qu’à s’engager comme femme de chambre, chez une certaine Mrs Hutwill et à séduire au passage son époux, un certain Lothar. On ne s’attarde pas. Hannah met les voiles et atterrit à Sydney, dans une famille très accueillante. Dougal et Colleen MacKenna, leurs 3 fils et leur fille, Lizzie, vont permettre à Hannah de se refaire une santé. Et tout d’abord, soigner ses écorchures au niveau des pieds. « Aspérule odorante » ou bien « millepertuis », Hannah est incollable en phytothérapie. Il ne faut pas croire pourtant qu’Hannah va se reposer trop longtemps dans un lit moelleux, « débordant d’oreillers et de coussins en plume. » Commerçante dans l’âme, la jeune fille rejette couette et édredon, pour s’associer à Harriett et Edith, deux veilles femmes, qui tiennent, pour l’heure, une boutique franchement vieillotte. On va moderniser tout ça et se mettre à vendre... des produits de beauté. Et puis un jour, Hannah devenue fort riche, pourra être comparée à une « poule », « toute froufroutante ». La vieille robe sombre d’autrefois sera remplacée par une garde-robe généreuse aux mille couleurs.

Hannah, une drôle de commerçante, dans une drôle de boutique

Pour commencer, un petit relooking de l’espace, avec Dinah et Robbie, des décorateurs d’intérieur. Du bois, des peintures blanches, des planchers « rouge andrinople » et des « plinthes noires ». Une « atmosphère sensuelle de harem », une ambiance « mystérieuse, intrigante, comme secrète et un peu maléfique », pour combler les femmes australiennes qui franchiront la porte de cet institut. Pour les recettes, pas de souci, un apothicaire bavarois va se charger d’apprendre à Hannah les rudiments de la galénique et le maniement du mortier et du pilon. Une crème pour commencer. Une « crème qui évite les rides ou les efface. » Une pommade, plutôt qu’une crème d’ailleurs. Une pommade mise au point, il y a fort longtemps, par Shiffrah. « Elle en confectionnait à pommader toute la Pologne, tout notre shtetl en tout cas... » Une préparation à base de plantes et de fruits, qui fait barrière « au froid, à l’hiver, à la poussière, à l’air salé de la mer »... Reste à trouver les plantes australiennes qui vont venir se substituer aux plantes polonaises. Un éminent botaniste se charge d’établir la liste des plantes qui viendront égayer les formules d’Hannah et un cueilleur professionnel, baptisé « Cueilleur en Chef des Herbes », Quentin MacKenna, se lance à l’assaut des grands espaces. Amandes douces, germes de blé, souci, bleuet, carottes, fumeterre... et puis, il faut aussi se procurer des « algues marines et de l’argile, des pommes, du lait de vache, de la... vaseline (un ingrédient tout nouveau qui « se fabrique à partir d’une huile du sol appelée le pétrole ») et puis de la lanoline, une matière première qui s’obtient « du suint de la laine des moutons ». Et puis encore du « schmuchbez », un ingrédient au nom imprononçable et intraduisible, pour le côté mystère ! Hannah s’est plongée dans les livres et a « appris quantité de choses sur la peau, la façon dont elle est faite, pourquoi et quand elle est malade et ce qu’il est possible de faire pour qu’elle soit dans le meilleur état possible. » La peau, les cheveux, les ongles, les dents n’ont presque plus de secret pour elle. A nous deux, revêtement cutané et phanères, semble être sa nouvelle devise. Son projet en choque plus d’un. « Et vous allez flanquer toutes ces saloperies sur la figure des pauvres femmes ? » Mais, oui, bien sûr.

Hannah, une drôle de cuisinière, dans un drôle de laboratoire

Dans sa cuisine, Hannah se lance dans un marathon formulatoire. Sans manger ni boire, Hannah se met à la tâche au grand étonnement de Colleen, qui n’utilise que peu de cosmétiques. « Je ne suis pas une Indienne des Amériques, pour me peinturlurer. Seulement de l’eau et du savon. » Des casseroles, des bassines, tout y passe. Vingt-huit formules après... on est encore loin du cosmétique idéal. « Lait de vache, écales de noix, feuilles de menthe fraîche, racines de tormentille et bourgeons de sapin broyés dans de l’huile de germes de blé. » Voilà la recette de base - celle de Shiffrah - sauf qu’Hannah n’a pas de menthe fraîche, ni de tormentille, ni de bourgeons de sapin, ni d’huile de germes de blé. L’huile a été remplacée par de la lanoline et bonjour l’odeur ! Allez, on se remet à la paillasse et on multiplie les essais. 76, 77, 78 et 79... 79, c’est pas si mal. L’infâme brouet, initialement mis au point, est remplacé par une pommade « à base de tilleul et de bleuet ». Un parfum mêlé rose-menthe vient aciduler la préparation, constituée d’un mélange « de pulpe de pommes crues et de lanoline affinée ». Un essai sur soi... La pommade blanchâtre peut être utilisée durant 6 heures, sans provoquer de réactions indésirables. Le teint est magnifié. « Plus doux », « plus clair », « plus lumineux » ! Pour ôter ce produit, « une eau de toilette » maison, composée « d’eau de source et d’alcool d’apothicaire », dans lequel Hannah a fait macérer, pendant 2 jours et 2 nuits, « quelques fleurs de souci, de rose et de verveine, le tout relevé d’un filet de citron vert. » Maintenant que deux formules sont au point, il ne reste plus qu’à les produire en grande quantité. Pour cela, Hannah, pleine de ressources tourne ses regards vers l’orphelinat voisin et recrute « ses premières ouvrières » ; elles devront travailler en cadence pour arriver à produire rapidement les centaines de références attendues. Après le contenu, le contenant. Pas question de vendre en gros ; le produit doit être présenté dans un récipient de faible contenance ; c’est le meilleur moyen pour fidéliser la clientèle. « Tout un lot de ces minuscules vases de terre cuite ayant contenu à l’origine un certain Baume du Tigre, qui est un onguent céleste, fabriqué alors à Singapour » est raflé pour une bouchée de pain. Il ne reste plus qu’à se mettre à la vaisselle, pour désodoriser ces récipients très parfumés. Un joli « ruban rouge andrinople » vient apporter la touche féminine qui manquait à cette crème baptisée très sobrement « n°79 ». Pour l’eau de toilette, des « flasques de bois » de santal sont réquisitionnées. Le parfum, qui émane de ce bois, a la judicieuse idée de se mêler au parfum de l’eau de toilette, formant, in situ, une fragrance nouvelle, inimitable. Du santal « blanc, citrin ou rouge » permettra de mettre au point une gamme complète d’eaux de toilette variées. Une crème pour illuminer le teint, une eau de toilette pour nettoyer en douceur la peau. Hannah se lance ensuite dans la mise au point d’une crème qui permet d’effacer les rides. « Une décoction où se mêlent arnica, sauge, mauve, carotte, concombre » vient se fondre dans un excipient, composé de « pulpe de pomme, de miel et d’huile d’amandes douces ». 91 essais tout de même pour arriver à la perfection. La crème « n°91 » vient rejoindre la crème « n°79 » ! Un peu de publicité, maintenant. Les douze femmes les plus emblématiques de Sydney se voient ainsi offrir les premières créations, pendant que des journalistes (« deux chroniqueurs mondains du Bulletin et du Sydney Morning Herald ») sont recrutés, pour chanter les louanges de celle qui vient de mettre sur le marché l’authentique « formule secrète d’une reine tsigane venue mourir dans le château de ses parents » (on s’éloigne un peu de la vérité, mais c’est pour la bonne cause !). « La plus grande célébrité australienne du moment », la cantatrice Nelly Melba, « soucieuse de son teint de pêche » (pêche Melba, humour !), est habilement guidée, par les dames de la haute société, jusqu’à l’institut d’Hannah. Un succès ! 

Hannah, une drôle d’esthéticienne, avec une drôle d’école et une idée qui fait des petits

Après la première boutique, l’idée d’une « école pour instruire et entraîner » tout le personnel ! C’est innovant, à n’en pas douter. Plus que des vendeuses, Hannah veut former « des femmes entraînées, savantes en matière de beauté, aptes à prodiguer conseils et soins en sachant de quoi elles parlent. » Entre leurs mains, la cliente doit se métamorphoser comme par magie. « La crème doit demeurer invisible » et agir en profondeur. Hannah « lit comme on boit de l’eau, des dix heures d’affilée, des nuits entières [...] ». Une soif d’apprendre inextinguible ! « Son but est clair : elle veut être la plus grande experte au monde en matière des soins de beauté ». Et puis, des rêves de grandeur. Après Sydney, Brisbane, dans le Queensland. Une première succursale qui reprend les teintes fétiches de la créatrice, le blanc, le rouge andrinople et le noir. Les vendeuses apportent, désormais, du fait de leurs connaissances fraichement acquises, une valeur ajoutée. Des « conseils de beauté » viennent compléter chaque achat. Et puis des rencontres. Un couple de Français exilés en Australie, Régis et Anne de Fournac vont être chargés de mener d’une main de fer de nouvelles succursales. Les produits sont sûrs d’emploi, Hannah s’en porte garante. « Elle s’en met sur la figure chaque matin depuis des mois », sans que son épiderme n’est à en souffrir. Bien au contraire. Et puis un associé, Paul Twaites, dit Polly, un homme de loi qui ne s’en laisse pas compter et qui va apporter son aide juridique au bon moment. Hannah est bien décidée à « aller plus loin », à exporter, ce que certains appellent ses « saletés de crème », jusqu’au bout du monde, via une « chaîne de magasins », toutes bâties sur le même modèle. Londres, Paris, Berlin ou Vienne... Rien ne pourra l’arrêter désormais. Les petites orphelines besogneuses de la première structure artisanale vont être remplacées, dans les nouvelles usines, par une armée d’ouvrières, capables de produire « en quantités effrayantes crèmes, eaux de toilette et lotions astringentes ».

Hannah, une drôle de Parisienne, qui fait de drôles de rencontres

Attirée par la capitale de la beauté, Hannah pose, un temps, ses bagages, à Paris et pose même nue pour des peintres (« Et puis la dénommée Colette se montre bien nue, pourquoi pas moi ? »). Juste le temps de se rhabiller pour discuter avec le Docteur Berruyer « de réputation mondiale pour ses travaux en ce que l’on commence d’appeler la dermatologie, l’étude de la peau et de ce qu’il y a dessous. » Juste le temps de rencontrer un chirurgien esthétique, du nom de Lartigau et de se glisser en salle d’opération (« elle a même assisté à des opérations de chirurgie ; on lui a dit qu’elle s’évanouirait au premier sang ; elle a ricané et bien entendu est demeurée impassible. »). Juste le temps de passer commande, aux étudiants de l’école pratique des hautes études, d’un « dossier exhaustif » sur les produits de beauté alors sur le marché et puis également sur les parfums, tant qu’on y est (pourquoi ne pas tenter de rivaliser avec Guerlain, Lubin, Houbigant, Dorin, Molinard, Roger et Gallet). Des soirées pour rencontrer le grand monde. Et un voisin d’immeuble très discret, « un jeune homme aux yeux de femme, du nom de Marcel Proust » qui invente en passant et rien que pour lui faire plaisir le terme d’esthéticienne. Juste le temps d’investir dans une usine à Evreux et d’y recruter des « filles solides » de la campagne pour faire le travail à la chaîne. Et puis des contacts avec les grandes couturières et grands couturiers du moment (Charles Frédéric Worth, Mme Paquin, Marie Callot et Laferrière). Et puis tant qu’à faire un entretien avec Marie Curie, avec l’idée de lui demander de devenir sa « directrice de la fabrication ». Ah oui, quand même ! Et puis des peintres et des toiles achetées aux plus grands noms du moment, Klimt, Manet, Monet, Degas, Cézanne, Munch... Et des comédiennes, telle cette Sarah Bernhardt, « qui a l’expérience du maquillage », du fait de son métier. Enfin, une expérience souvent limitée à une poudre de riz de piètre qualité, made in China, qui transforme « ces dames en pierrots blafards ». Le maître-mot est désormais : « scientifique ». Hannah a décidé d’embaucher une chimiste qui va rationnaliser la formulation des produits de beauté. Et tout d’abord remplacer la poudre de riz par un fond de teint, adapté à chacune. Blonde, brune, ou rousse, chaque femme doit pouvoir trouver, chez Hannah, le produit qui conviendra le mieux à sa carnation. Et également réfléchir à des formules de rouges à lèvres plus modernes. Les « raisins, sortes de pommades à la contexture de mastic », « colorées par un suc d’orcanette ou du simple jus de raisin noir », les « cérats à base de cire (parfois d’abeille) et d’huile »... c’est un peu ringard. Il va falloir faire passer un vent de folie dans tout cela, afin d’atteindre une qualité inégalée en matière se sensorialité. Jouer sur les proportions, faire des dosages précis, multiplier les essais afin de mettre au point un « bâton de rouge » qui s’applique aisément et ne casse pas trop rapidement. De la tenue ! « Affaire de chimie », il n’y a pas à dire.  Affaire de chimie, en matière de parfumage également. Jasmin, rose, chèvrefeuille, héliotrope... comme des fragrances du passé. Hannah, celle qui a commencé en touillant dans une marmite de la lanoline et des végétaux, se tourne, résolument, vers des « produits de synthèse ». Le but : mettre sur le marché le parfum, « le plus cher et le plus luxueux du monde »... un parfum prénommé Hannah. Composé de « produits moins coûteux » que les arômes naturels, le parfum Hannah permettra de faire un joli profit. Hannah « sortira en 1905, la même année que l’Origan de Coty » ! Il aura fallu, à Hannah, pour arriver à ce jus, se familiariser avec des ingrédients, aux noms barbares tels que « coumarine, pipéronal, vanilline, ionone », découvrir ce qu’est un aldéhyde et ce qu’est un « musc artificiel ». Et puis encore des liens tissés, dans le but de créer un réseau à mailles serrées, avec « Winnie » Churchill, une rencontre marquante, piquante, au diapason du bouquet qui lui est adressé, au lendemain de leur rencontre, « des roses roses entremêlées de chardons, presque aussi piquants que » leur destinataire. Une courte psychanalyse sur le sofa de Sigmund Freud. Décidément, une bien mauvaise cliente, tant cette Hannah a la tête solidement posée sur les épaules.

Hannah, une volonté d’homme, dans un corps de femme

Et puis, tout au long de sa vie, il y a Mendel, ce bagnard de Sibérie, qui veille au loin sur elle. Une rencontre avec Anastasia de Sonnerderck va permettre à Hannah de remonter jusqu’à l’empereur Alexandre III et d’obtenir la grâce de Mendel. Une grâce dont Mendel s’est bien passé, prenant ses cliques et ses claques pour retrouver « la morveuse », comme il l’appelle depuis son enfance. C’est encore Mendel qui va mettre la main sur Taddeuz, qui, comme par hasard, est l’ami du poète Rainer Maria Rilke et le ramener, pieds et poings liés, à une Hannah bien décidée à lui demander sa main. Un mariage, célébré à Vienne, le 30 décembre 1899. En cette veille du XXe siècle, Hannah est une toute jeune chef d’entreprise, « à la tête de 27 instituts et boutiques » et, dans son élan, elle ne compte pas s’arrêter là. Avec un système comptable à base de moutons (chaque patte correspond à un bénéfice nouveau), Hannah n’a pas fini de faire de beaux rêves.

Hannah, en bref

Hannah de Paul-Loup Sulitzer est un roman très très librement inspiré de la vie d’Helena Rubinstein. Le narrateur externe brosse les grandes lignes, Hannah se plaît aux confidences adressées à Lizzie MacKenna, sa fille adoptive, depuis le décès de Colleen (les extraits de courrier sont présentés en italique dans le texte). Malgré le vent romanesque qui souffle sur les 600 pages de ce roman-fleuve, on retrouve des éléments qui coïncident parfaitement avec l’univers et le tempérament d’Helena Rubinstein. Paul-Loup Sulitzer n’est vraiment pas parti à l’aveuglette, lorsqu’il s’est assis à sa table, pour dresser le portrait d’une des grandes dames de l’univers de la beauté. Il a pioché, potassé l’histoire de celle qui s’est présentée comme la première esthéticienne de l’histoire de l’humanité.4 Il y a saupoudré son récit de touches érotiques, ici et là... histoire de corser un peu le parfum jugé, sans cela, un peu fade.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette vision d'Helena Rubinstein par l'intermédiaire de Paul-Loup Sulitzer !

Bibliographie

1 Sulitzer PL. Hannah, Stock/edition n°1, 1985, 635 pages

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/madame-rubinstein-dans-les-yeux-de-patrick-o-higgins-1657/

3 Arda N, Gören N, Kuru A, Pengsuparp T, Pezzuto JM, Qiu SX, Cordell GA. Saniculoside N from Sanicula europaea L. J Nat Prod. 1997;60(11):1170-1173.

4 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/helena-rubinstein-resolument-moderne-1650/

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