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Great 8, drôle de gel pas si génial que cela !

> 15 mars 2020

Great 8, drôle de gel pas si génial que cela !

Elizabeth Arden, on la connaît un peu. La crème de 8 heures, née sur un champ de courses et qu’il vaudrait mieux qualifier du nom de pommade,1 le stick solaire zones sensibles qui affiche un SPF 50, un peu trop optimiste à notre avis quant à ses performances photoprotectrices...2 Pas de quoi chanter les louanges de ces produits de luxe plutôt décevants en matière de formulation.

Que penser de la Great 8, un produit qui, en une étape, promet « 8 bienfaits exceptionnels », à savoir : une protection vis-à-vis des UVB/UVA, des IR, de la lumière bleue, de la pollution. Ce cosmétique permet également de limiter la brillance liée à un excès de sébum tout en « laissant la peau lumineuse et pleine de santé » ? Ah ! pour obtenir 8 bienfaits, il faut encore ajouter qu’il hydrate et resserre les pores.

Un drôle de gel pour de drôles d’allégations

Du point de vue de sa composition, on constate que ce produit est un curieux gel aqueux (gel réalisé à l’aide de carbomères ) renfermant trois filtres UV liposolubles : l’homosalate, l’octylsalicylate et le butylméthoxydibenzoylméthane. Des humectants (dipropylène glycol, glycérine) permettent d’assurer le bienfait « hydratation » promis. Les effets anti-pollution et anti-lumière bleue sont assurés par les divers antioxydants incorporés. L’effet anti-infra-rouge est difficile à relier à l’un des ingrédients présents dans la formule.

En ce qui concerne la brillance (je ne brille pas du fait d’un excès de sébum, mais je brille du fait de l’éclat de ma peau), on ne retrouve pas les marqueurs présents habituellement dans les formules considérées à savoir les agents matifiants (qui absorbent l’excès de sébum) et les pigments réfléchissants comme par exemple le mica qui font rayonner !

Un drôle de gel avec de drôles d’actifs

Côté actifs, on est gâté… on se croirait tomber dans un ouvrage compilant des médecines traditionnelles variées ; on tombe également face à face avec un antioxydant « surpuissant » encore assez peu employé dans le domaine cosmétique. Cet antioxydant, le dimethylmethoxy chromanol, ne fait l’objet que de peu de travaux publiés. Il y est présenté comme un antioxydant d’efficacité importante, susceptible d’empêcher la formation d’espèces réactives de l’oxygène (ERO). Il semblerait utile pour lutter contre le vieillissement cutané photo-induit avec, toutefois, un bémol de taille concernant son instabilité dans les produits solaires formulés. Une fois encapsulé (donc protégé) il semble faire des merveilles.3,4 Une publication datant de 2013, parue dans la revue International Journal of Cosmetics, présente des résultats intéressants concernant cette molécule de structure proche de celle de l’alpha-tocophérol. Selon les protocoles mis en œuvre, cet antioxydant s’avère plus ou moins efficace que le BHT ou le Trolox, molécule de référence en ce qui concerne ce type de test.5

L’imperate cylindrique (Imperata cynidrica) est, quant à elle, une graminée envahissante qui couvre des millions d’hectares dans de nombreuses régions du monde ; peu exigeante, elle s’adapte aisément aux sols, même les plus infertiles.6 Son rhizome est utilisé en médecine traditionnelle indonésienne pour le traitement de l’hypertension artérielle, au même titre que la feuille de Centella asiatica. Des effets anti-inflammatoire, vasodilatateur et antioxydant sont mis en avant pour le rhizome d’imperate cylindrique.7

Au tour d’Eniantha chloranta, un arbre qui pousse en Afrique de l’ouest et en Afrique centrale, utilisé, lui aussi, en médecine traditionnelle. Son écorce possède de nombreuses applications et peut aussi bien être utilisée pour réaliser des bains « anti-fatigue », que des décoctions à prendre par voie orale ou sous forme de fumigations, afin d’apaiser les douleurs rhumatismales et intercostales ou pour favoriser la fertilité. Au niveau cutané, la décoction peut être appliquée sur les plaies infectées ; la poudre d’écorce peut également être saupoudrée directement sur les blessures.8 Des chercheurs ont même découvert, dans cette écorce, en 1999, un nouvel alcaloïde à effet anti-VIH supposé.9 Alcaloïde, à effet anti-ulcéreux chez le rat, faut-il encore préciser.10

L’acide oléanolique, enfin, est un acide triterpénique, contenu dans les grignons d’olive ; de nombreuses propriétés (anti-inflammatoires, antimicrobiennes, anti-cancéreuses…) ont été démontrées in vitro.11 Il est connu dans l’inventaire européen en tant que « conditionneur cutané », ce qui est on ne peut plus vague.12 On verra un peu plus loin le pourquoi du comment.

Il reste encore à évoquer le marrube blanc, à effet antioxydant.13

Un drôle de gel avec de drôles de résultats obtenus in vitro

Puisque c’est notre domaine d’expertise, puisque ce produit affiche un SPF 35 (et un effet protecteur UVA +++), il était logique de faire un tour dans le laboratoire, afin de se faire une idée de sa réelle efficacité. Les résultats tombent brutalement, tel un couperet. En lieu et place d’un SPF 35, c’est un SPF de 10 qui est obtenu. Le Facteur de protection UVA est, quant à lui, de 7. Afin de vérifier que ce produit conserve son efficacité dans le temps, nous l’avons soumis à une irradiation dans un simulateur solaire pendant 2 heures. Au bout de ce délai, le SPF n’est plus que de 3 ; le Facteur de protection UVA a lui aussi fondu et n’est plus que de 2 !

Un drôle de gel qui s’accomode avec la réglementation

Ce type de produit qui ne sait pas très bien ce qu’il est présente plusieurs défauts. Dans son mode d’emploi, on nous indique qu’il doit être appliqué chaque jour, sur le visage préalablement nettoyé et qu’il peut être utilisé comme une base de maquillage. N’étant ni appliqué en couche épaisse, ni ré-appliqué toutes les deux heures, il ne sera pas considéré comme un produit solaire. De ce fait, le laboratoire qui le commercialise prend des libertés avec la réglementation européenne et affiche un SPF « exotique ». On entend par là, que les recommandations européennes ne sont pas respectées en matière d’étiquetage (mention protection faible, moyenne, haute ou très haute et valeurs de SPF affichées de 6, 10, 15, 20, 25, 30, 50 ou 50+).

Pourquoi ne faut-il pas utiliser ce type de produit ?

Great 8 d’Elizabeth Arden n’est pas le seul produit du genre. Ce produit et ses concurrents du même type ne nous conviennent pas, car ils constituent des « solaires déguisés ». Le consommateur qui n’est pas expert se laisse séduire par la notion de protection très large spectre (UVB, UVA, IR, lumière bleue, pollution)… sans se douter qu’il applique sur sa peau 365 jours par an des filtres UV pour lesquels on peut développer un phénomène de sensibilisation. Ne parlons pas de l’impact écologique ! Ne parlons pas non plus, des filtres retrouvés comme par hasard dans certains gels douche, crèmes mains, BB crèmes, fonds de teint, rouges à lèvres et vernis à ongles.

En deux mots

Les filtres UV, on les aime, on les veut dans les produits de protection solaire afin d’être bien protégés des rayons UV lorsque l’on s’y expose.

Les filtres UV, on les déteste, on n’en veut plus dans les produits appliqués sur la peau au quotidien.14

Bibliographie

1 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/la-eight-hour-cream-d-elizabeth-arden-un-cosmetique-de-cheval-922

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/stick-eight-hour-spf-50-mediocre-s-ecrit-aussi-en-8-lettres-1357

3 Carla Souza, Patrícia M. B. G. Maia Campos, Development and photoprotective effect of a sunscreen containing the antioxidants Spirulina and dimethylmethoxy chromanol on sun-induced skin damage, European Journal of Pharmaceutical Sciences, 10415, 2017, Pages 52-64

4 Dreher F et al., Novel antioxidant serum with high antioxidant capacity: An ESR-based study, Journal of the American Academy of Dermatology, 70, 5, Suppl1, 2014, Page ab26

5 Nonell S, García-Díaz M, Viladot JL, Delgado R, Singlet molecular oxygen quenching by the antioxidant dimethylmethoxy chromanol in solution and in ex vivo porcine skin, Int J Cosmet Sci., 2013, 35, 3, Pages 272-280

6 Craig L Ramsey, Shibu Jose, Deborah L Miller, Joseph Cox, Sara Merritt, Cogongrass [Imperatacylindrica (L.) Beauv.] response to herbicides and disking on a cutover site and in a mid-rotation pine plantation in southern USA, Forest Ecology and Management, 179, 1–33, 2003, Pages 195-207

7 Erna Sulistyowati, Ren-Long Jan, Shu-Fen Liou, Ying-Fu Chen, Jwu-Lai Yeh, Vasculoprotective effects of Centella asiatica, Justicia gendarussa and Imperatacylindrica decoction via the NOXs-ROS-NF-κB pathway in spontaneously hypertensive rats, Journal of Traditional and Complementary Medicine 2019

8 D. K. Olivier, S. F. Van Vuuren, A. N. Moteetee, Annickia affinis and A. chlorantha (Enantiachlorantha) – A review of two closely related medicinal plants from tropical Africa, Journal of Ethnopharmacology, 17624, 2015, Pages 438-462

9 Pascal Wafo, Barthelemy Nyasse, Catherine Fontaine, A 7,8-dihydro-8-hydroxypalmatine from Enantiachlorantha, Phytochemistry, 50, 226, 1999, Pages 279-281

10 P. V. Tan, B. Nyasse, G. E. Enow-Orock, P. Wafo, E. A. Forcha, Prophylactic and healing properties of a new anti-ulcer compound from Enantiachlorantha in rats, Phytomedicine, 7, 4, 2000, Pages 291-296

11 Ana Filipa M. Cláudio, Alice Cognigni, Emanuelle L. P. de Faria, Armando J. D. Silvestre, Katharina Bica, Valorization of olive tree leaves: Extraction of oleanolicacid using aqueous solutions of surface-active ionic liquids, Separation and Purification Technology, 2042, 2018, Pages 30-37

12  https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=57708

13 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/a-la-fin-du-regard-je-touche-1358

14 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/uv-filters-go-home-630

Composition

Ingrédients : Aqua/water/eau, homosalate, ethylhexyl salicylate, dipropylene glycol, butylmethoxydibenzoylmethane, glycerin, thermus thermophillus ferment, butylene glycol, imperata cylindrica root extract, enantia chlorantha bark extract, marrubium vulgare extract, acrylates/C10-30 alkyl acrylate crosspolymer, ammonium acryloyldimethyltaurate/beheneth-25 methacrylate crosspolymer, caprylyl glycol, carbomer, dimethylmethoxy chromanol, disodium EDTA, hydroxyacetophenone, oleanolic acid, sclareolide, triethanolamine, parfum (fragrance), geraniol, hexyl cinnamal, limonene, linalool, chorphenesin.

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