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Ginkgo biloba, un arbre millénaire qui tend ses feuilles au sujet acnéique !

> 05 décembre 2018

Ginkgo biloba, un arbre millénaire qui tend ses feuilles au sujet acnéique !

Le ginkgo (Ginkgo biloba) constitue, avec la prêle, ce que l’on nomme, avec humour, des végétaux fossiles.1 La longévité du ginkgo (plus de 200 millions d’années), sa grande résistance (le ginkgo fut le seul végétal a résister à la bombe atomique lancée sur Hiroshima ; il donna des fleurs et des fruits, puis des arbres d’aspect normal),2 ses systèmes de défense performants à l’encontre des insectes, des bactéries, des champignons3 constituent autant de qualités qui font rêver les chercheurs de tous horizons. Son nom qui évoque l’or (on l’appelle aussi Arbre aux 40 écus) ou l’argent (un autre de ses noms est Abricotier d’argent) a de quoi stimuler les appétits les plus féroces.4 Aujourd’hui, nous creusons sous l’écorce et vous livrons ce que cache cet arbre de légende.

Ginkgo biloba, une réponse à l’arme atomique ?

L’effet clastogène de la bombe atomique a été mis en évidence par examen du sang des Japonais ayant survécu aux explosions du mois d’août 1945. Plus récemment, on a retrouvé le même type de modifications génétiques chez des personnes travaillant dans la zone de Tchernobyl. Dans les années 1990, des chercheurs tentent de trouver des molécules d’intérêt dans le cadre de la prise en charge de ce type de situation. Les tests réalisés sur le plasma de sujets irradiés permettent de montrer l’effet protecteur (réduction des aberrations chromosomiques d’un facteur de 2,5) d’un extrait de feuilles de Ginkgo biloba (100 mg/mL) et de la superoxyde dismutase (SOD) (10 mg/mL).5 Précisons que l’extrait de Ginkgo biloba en question renferme 24 % de glycosides de flavonol, 6 % de lactones terpéniques (ginkgolides, bilobalide) et 7 % de proanthocyanidines.6

Ginkgo biloba, l’aide-mémoire infaillible ?

Ce même extrait semble avoir tout pour plaire. Les ginkgolides et le bilobalide sont présentés comme ayant une action protectrice vis-à-vis de l’hypoxie du cerveau. Le ginkgolide B est, quant à lui, un antagoniste du Platelet activating factor (PAF).7 Prévention de la sénescence et des accidents vasculaires cérébraux constituent donc ses deux points forts. Si l’extrait titré en flavonoïdes et ginkgolides apparaît comme prometteur sur modèle animal de la maladie d’Alzheimer, les nombreuses études cliniques réalisées sont bien souvent décevantes.8

A défaut de réparer les mémoires défaillantes de manière spectaculaire, le ginkgo divise à coup sûr la communauté scientifique qui s’arrache les neurones à son sujet. Les chercheurs de la société Dr Willmar Schwabe lui trouvent toutes les qualités ; les chercheurs indépendants sont beaucoup plus réservés.9

En 1988, les spécialités à base d’extrait titré de Ginkgo biloba, Tebonin® et Rökan®, sont les spécialités les plus prescrites en Allemagne de l’Ouest, avec 5,24 millions de prescriptions (pour cette seule année). Le coût pour l’assurance maladie se chiffre à 370 millions de Deutsch Mark. Des voix commencent à se faire entendre en ce qui concerne l’inefficacité de ce principe actif.10

Dans les années 1990, en France, toute personne âgée se voit prescrire, pour une raison ou pour une autre, ses trois flacons de Tanakan® mensuels. Les publications concernant cette spécialité sont dithyrambiques. L’extrait de Ginkgo biloba employé « renferme plus de 40 ingrédients dont les plus actifs ne peuvent être retrouvés nulle part ailleurs ». Réduction des maux de tête, des vertiges, de la fatigabilité, amélioration des capacités de concentration et de la mémoire à court terme sont mises en avant par les défenseurs de cet extrait végétal.11,12

Pour Wim Webern, Ginkgo biloba, on peut l’oublier. Après avoir fait l’objet de nombreuses publications mettant en avant son intérêt dans la prise en charge de la démence et des troubles de la mémoire liés à l’âge, le ginkgo est descendu de son piédestal par Martien van Dongen qui ne décèle aucune différence entre le groupe de sujets âgés traités et ceux sous placébo. Pourquoi cette différence avec les études précédentes ? Tout simplement la mise en œuvre d’un placébo plus vrai que nature. Les extraits de ginkgo possèdent un goût et une odeur caractéristique ; pour tromper les sens du patient, il a fallu du temps pour mettre au point un leurre de qualité !13

Malgré toutes ces mises au point, le ginkgo reste, dans l’esprit du public, la plante de la concentration, de la mémoire… Les étudiants y ont recours pour augmenter leurs performances aux examens. Une étude australienne montre ainsi que 16 % des étudiants de l’échantillon testé font confiance au ginkgo dans le cadre de la réussite de leurs études.14

Ginkgo biloba, l’actif cosmétique du futur ?

On trouve très peu de publications concernant les effets cutanés du ginkgo. L’effet antioxydant des extraits titrés est connu.15 Cet effet diminue lorsque l’extrait est adsorbé sur une zéolithe ; un effet prolongé dans le temps est sans doute envisageable au fur et à mesure du « relargage » des molécules actives au niveau du tissu cible.16 Des propriétés anti-âge pourraient être revendiquées.

Les laboratoires Bioderma ont, quant à eux, démontré l’intérêt d’associer l’acide bêta-glycyrrhétinique et un extrait de feuilles de Ginkgo biloba, dans le cadre de la prise en charge cosmétique de sujets acnéiques. L’extrait de ginkgo, en permettant de réduire de 97 % la synthèse d’Interleukine-8, un médiateur de l’inflammation (test réalisé sur cultures de kératinocytes immortalisés) et l’acide bêta-glycyrrhétinique en diminuant la rougeur générée par du laurylsulfate de sodium (solution à 1 %) de l’ordre de 55 % (test réalisé sur volontaires en utilisant des patchs occlusifs) constituent des actifs intéressants pouvant être mis en œuvre dans des préparations apaisantes.17,18 Le mélange bakuchiol, Ginkgo biloba, mannitol et gallate de propyle semble également prometteur, car il permet de protéger le squalène (élément constitutif du sébum) du phénomène de peroxydation. Lorsque l’on sait que la présence de squalène peroxydé entraîne une augmentation de la viscosité du sébum et constitue un ingrédient comédogène, on comprend l’intérêt de cette association.19 Seul bémol à ce tableau idyllique, le caractère oestrogénique du bakuchiol qui est loin d’être anecdotique (effet 100 fois moins important que celui de la molécule de référence, le 17 bêta-œstradiol).20

L’effet immunomodulateur du ginkgo évoqué à la fin des années 1990 pourrait justifier son emploi dans des cosmétiques destinés aux sujets atopiques.21

Certains chercheurs voient également dans le ginkgo un ingrédient de choix pour la formulation des produits de protection solaire. C’est le cas, en particulier, de deux équipes brésiliennes qui souhaitent réaliser des cocktails d’ingrédients permettant de booster l’effet photoprotecteur des produits du commerce. Ils nous proposent ainsi d’associer 7 % d’octylméthoxycinnamate, 4 % de benzophénone-3, 5 % d’octocrylène, 4 % de dioxyde de titane, 5 % d’un extrait d’algue rouge (Porphira umbilicalis), 1,5 % de Ginkgo biloba, 0,4 % de vitamine A (palmitate de rétinyle), 0,06 % de vitamine C (tétraisopalmitate d’ascorbyle) et 0,4 % de vitamine E (acétate de tocophéryle).22 Cette association ne nous semble pas judicieuse dans la mesure où vitamine A et irradiation UV ne font pas bon ménage.23 On précisera également qu’incorporer des actifs anti-inflammatoires dans un produit solaire n’est pas opportun puisque l’on fait disparaître le signal d’alarme qu’est le coup de soleil d’une manière peu orthodoxe.

Ginkgo biloba, un ingrédient 100 % naturel, des effets indésirables 100 % naturels… aussi

Un grand nombre de préparations commerciales renferment du Ginkgo biloba. Celui-ci est présenté comme 100 % naturel. Ceci n’est en rien un gage de qualité. Il apparaît que certaines adultérations sont possibles. Les fruits et/ou les fleurs de Sophora japonica sont ainsi fréquemment retrouvés dans des compléments alimentaires qui, pourtant n’en font pas mention dans leur argumentaire commercial.24

La consommation de compléments alimentaires ou de médicaments à base de ginkgo peut s’accompagner d’effets indésirables à type de troubles gastro-intestinaux, de maux de tête, de nausées, de réactions cutanées, de vertiges, de palpitations et de risques de saignement en cas, en particulier, de traitement anticoagulant associé.25 Des études récentes témoignent d’une hépatotoxicité chez le rat pour des doses de 65 à 1000 mg/kg et de 125 à 2000 mg/kg chez la souris (traitement d’une durée de 14 semaines avec 5 prises par semaine). Chez l’homme, si la consommation d’alcool se traduit par une modification des marqueurs hépatiques, il n’en est rien dans le cas des compléments alimentaires testés. La dose moyenne de ginkgo administrée par jour correspond en moyenne à 65 mg/kg.26

Ginkgo biloba, beaucoup de bruit pour rien ?

Ginkgo rime avec espoir. Une telle longévité, une telle résistance ne peut pas ne pas séduire le commun des mortels. Beaucoup de bruit pour rien, nous dit Paul Smith qui ne se laisse pas casser les oreilles par cet extrait qui permet, tout au moins en théorie, de traiter les acouphènes. Non vraiment, les résultats sur ce « carillonnement permanent » ressenti par les patients ne sont pas probants !27 Beaucoup bruit pour quelque chose nous dit Andréa Dulor Finkler qui considère le ginkgo comme le végétal de choix pour résister à l’effet néfaste des pesticides en matière d’ototoxicité.28

En conclusion

Actif décontaminant, aide-mémoire, protège-oreille… les extraits de ginkgo sont mis à toutes les sauces depuis les années 1980 et font couler beaucoup d’encre. Adulé par les uns, contesté par les autres, le ginkgo fait la sourde oreille à tous les potins qui courent à son sujet. Si ce n’est vraisemblablement pas le principe actif le plus performant du siècle, reconnaissons-lui tout de même, des propriétés cosmétiques exploitables. Oublions les travaux de nos collègues brésiliens en matière de protection solaire. Retenons l’idée de valoriser les feuilles d’un arbre millénaire pour apaiser la peau des jeunes souffrant d’acné.

 

Bibliographie

1 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/la-prele-une-sorte-de-dinosaure-preconise-pour-traiter-les-signes-du-vieillissement-447/

2 Bonnie J. Tesch, Herbs commonly used by women:an evidence-based review, Disease-a-Month, 48, 10, 2002, 671-696

3 T. Boonkaew, N. D. Camper, Biological activities of Ginkgo extracts, Phytomedicine, 12, 4, 2005,  318-323

4 Bruce J. Diamond, Samuel C. Shiflett, Nancy Feiwel, Robert J. Matheis, Nancy E. Schoenberger, Ginkgo biloba extract: Mechanisms and clinical indications, Archives of Physical Medicine and Rehabilitation, 81, 5, 2000, 668-678

5 I. Emerit, R. Arutyunyan, N. Oganesian, A. Levy, K. Asrian, Radiation-induced clastogenic factors: Anticlastogenic effect of ginkgo biloba extract, Free Radical Biology and Medicine, 18, 6, 1995, 985-991

6 Danielle Duverger, Francis V. Defeudis, Katy Drieu, Effects of repeated treatments with an extract of Ginkgo biloba (EGb 761) on cerebral glucose utilization in the rat: an autoradiographic study, General Pharmacology: The Vascular System, 26, 6, 1995, 1375-1383

7 Josef Krieglstein, Franz Ausmeier, Hanan El-Abhar, Klaus Lippert, Petra Henrich-Noack, Neuroprotective effects of Ginkgo biloba constituents, European Journal of Pharmaceutical Sciences, 3, 1, 1995, 39-48

8 Lon S Schneider, Ginkgo and AD: key negatives and lessons from GuidAge, The Lancet Neurology, 11, Issue 10, 2012, 836-837

9 Peter S. Schönhofer, Ginkgobiloba extracts, The Lancet, 335, 8692, 1990,  788

10 Anonyme, West Germany ginkbo biloba extract: over 5 million prescriptions a year, The Lancet, 334, 8678–8679, 1989, 1513-1514

11 Ya. Kalyn, M. Morosova, N. Seleznyova, I. Kolykhalov, S. Gavrilova, P-8-6 Tanakan in the treatment of cerebral insufficiency in the elderly, European Neuropsychopharmacology, 5, 3, 1995, 381

12 V. V. Zakharov, N. N. Koberskaya, A. Charway, A. B. Lokshina, P.5.050 The efficacy of treatment with tanakan (EGb 761) in relation to cognitive impairment in patients with cerebrovascular disease, European Neuropsychopharmacology, 15, Suppl 2, 2005, s228-s229

13 Weber Wim, Ginkgo not effective for memory loss in elderly, The Lancet, 356, 9238, 2000, 1333).

14 Jason Mazanov, Matthew Dunn, James Connor, Mai-Lee Fielding, Substance use to enhance academic performance among Australian university students, Performance Enhancement & Health, 2, 3, 2013, 110-118

15 Lena M Goh, Philip J Barlow, Antioxidant capacity in Ginkgo biloba, Food Research International, 35, 9, 2002, 815-820

16 Selda Göktaş, Semra Ülkü, Oguz Bayraktar, Clinoptilolite-rich mineral as a novel carrier for the active constituents present in Ginkgobiloba leaf extract, Applied Clay Science, 40, 1–4, 2008, 6-14

17 B. Teme, N. Ardiet, B. Cadars, S. Trompezinski, E. Jourdan, Interest of 18-β glycyrrhetinic acid and Ginkgobiloba extract to complement acne therapy, Journal of Investigative Dermatology, 136, 9, Suppl 2, 2016, s222

18 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/bioderma-parle-aux-patients-acneiques-560/

19 B. Cadars, B. Teme, I. Benoit, Evaluation of protection against squalene peroxidation with a combination of active compounds, Journal of Investigative Dermatology, 137, 10, Suppl 2, 2017, s280

20 Sun-Hye Lim, Tae-Youl Ha, Jiyun Ahn, Suna Kim, Estrogenic activities of Psoralea corylifolia L. seed extracts and main constituents, Phytomedicine, 18, 5, 2011, 425-430

21 Laurence Michel, Laurence Friteau, Annie Moysan, Kathrin Martin, Dominique Castelli, Analysis of immunoregulatory properties of Ginkgobiloba in vitro, Journal of Dermatological Science, 16, Suppl 1, 1998, s215

22 D. G. Mercurio, T. A. L. Wagemaker, V. M. Alves, C. G. Benevenuto, P. M. B. G. Maia Campos, In vivo photoprotective effects of cosmetic formulations containing UV filters, vitamins, Ginkgobiloba and red algae extracts, Journal of Photochemistry and Photobiology B: Biology, 153, 2015, 121-126

23 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/vitamine-a-et-produits-de-protection-solaire-270/

24 Agata Walkowiak, Łukasz Ledziński, Mariusz Zapadka, Bogumiła Kupcewicz, Detection of adulterants in dietary supplements with Ginkgo biloba extract by attenuated total reflectance Fourier transform infrared spectroscopy and multivariate methods PLS-DA and PCA, Spectrochimica Acta Part A: Molecular and Biomolecular Spectroscopy, 208, 2019,  222-228

25 Jun Tze Saw, Mohd Baidi Bahari, Hooi Hoon Ang, Yu Hoe Lim, Potential drug–herb interaction with antiplatelet/anticoagulant drugs, Complementary Therapies in Clinical Practice, 12, 4, 2006, 236-241

26 Harris R. Lieberman, Mark D. Kellogg, Victor L. Fulgoni, Sanjiv Agarwal, Moderate doses of commercial preparations of Ginkgo biloba do not alter markers of liver function but moderate alcohol intake does: A new approach to identify and quantify biomarkers of ‘adverse effects’ of dietary supplements, Regulatory Toxicology and Pharmacology, 84, 2017, 45-53

27 Paul F. Smith, Yiwen Zheng, Cynthia L. Darlington, Ginkgo biloba extracts for tinnitus: More hype than hope?, Journal of Ethnopharmacology, 100, 1–2, 2005, 95-99

28 Andréa Dulor Finkler, Aron Ferreira da Silveira, Gisiane Munaro, Crisley Dossin Zanrosso, Otoprotection in guinea pigs exposed to pesticides and ginkgobiloba, Brazilian Journal of Otorhinolaryngology, 78, 3, 2012, 122-128

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