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Gatsby le magnifique, c’est lui... lui Fitzgerald !

> 22 mai 2022

Gatsby le magnifique, c’est lui... lui Fitzgerald !

Lorsque le banquier dit à un écrivain qu’il ne lui reste plus « rien » sur ses comptes, il ne lui reste plus, à lui l’écrivain, qu’à se mettre à sa table de travail.1 A 49 ans, celui qui est devenu « strictement écrivain » décide de réaliser une psychanalyse, par feuilles de papier interposées. Tel un magicien, qui « utilise des trucs pour faire apparaître et disparaître les choses », Fitzgerald transforme sa vie en fiction ; avec La fêlure, le magicien des mots fait monter le spectateur sur scène et lui dévoile l’envers du décor. Derrière l’apparente facilité, un travail immense, des séances d’entraînement à plus soif, jusqu’à ce que tout semble couler de source.

Fitzgerald, un homme « doux » et « distingué » !

Un « jeune homme doux de 27 ans, légèrement défraîchi », « d’un exceptionnel optimisme », voilà comment se définit Fitzgerald, dans son œuvre La fêlure. Un type, qui n’a pas du « sang de navet dans les veines » ! Pour la corpulence, motus, c’est une affaire strictement privée entre lui et son tailleur. Une « allure distinguée » et une belle propension à bronzer sont à ajouter à ce tableau plutôt flatteur.

Fitzgerald, un amoureux des salles de bain

Un voyage en France pour faire des économies (c’est du moins l’idée première, car en France tout est moins cher, le parfum, par exemple, y est vendu l’équivalent de 5 dollars, soit trois fois moins qu’en Amérique) et voilà Fitzgerald à la recherche d’une belle villa, possédant, si possible, de nombreuses salles de bain. Cette villa devant être source « d’inspiration », il conviendra de ne pas être trop chiche en matière de loyer. A Saint-Raphaël, Fitzgerald et sa femme (« ma femme sortit précipitamment son miroir pour se repoudrer le nez ») trouvent la perle rare, une villa « propre, fraîche », dotée de « deux salles de bains ». La plage est à deux pas... la petite famille (Fitzgerald, son épouse, sa fille) s’y prélasse des heures entières, acquérant au fil de l’été « la couleur du chocolat noir ». L’enfant, qui joue sur le sable à côté de ses parents allongés, est complètement brûlée par le soleil ; ses « cheveux sont blancs comme le coton ».

Des économies ? Y en a-t-il de faites ? Non, pas vraiment. Mais tout se passe au mieux pour la petite famille qui jouit pleinement du soleil et de la nature généreuse de la célèbre Côte d’Azur. Tout va pour le mieux, jusqu’à un terrible mésusage : la confusion pour madame entre une « lotion anti-moustique » et un « bain de bouche » !

Fitzgerald, un adepte de la douche glacée

A 36 ans, lorsque Fitzgerald fait le bilan de sa vie d’écrivain (« Ecrire c’est ce qui m’intéresse le plus dans la vie »), il nous fait part d’un sentiment d’« impuissance absolue », qui le saisit, lorsqu’il faut se mettre à sa table d’écriture, lorsque l’argent vient à manquer. La phrase « La petite a besoin de chaussures » n’est guère sujette à source d’inspiration. Pas trop de soucis pourtant à se faire. Fitzgerald va remettre le disque en marche : « Pour l’essentiel, nous les écrivains, sommes condamnés à nous répéter. »

Pour démarrer : une « émotion » est requise. Une fièvre typhoïde, « un bain glacé », en guise de traitement à l’hôpital... Résultat : une nouvelle rédigée en un temps record !

Fitzgerald, un insomniaque lumineux

Sur la table de chevet de Fitzgerald : « les livres, le verre d’eau, le pyjama de rechange au cas où je m’éveillerai ruisselant de sueur, les pilules de Luminol dans leur petit tube cylindrique, le carnet et le crayon pour pouvoir noter une éventuelle bonne idée. »

Retour en arrière dans la malle aux souvenirs... Année 1920 : Fitzgerald se voit comme un « raté, publicitaire médiocre, incapable d’entamer une carrière d’écrivain », un jeune homme qui papillonne, dans un costume élimé, au milieu de la jeunesse dorée new-Yorkaise. Puis, à peine 6 mois après ce constat sévère, Fitzgerald revêt le cosmtume de l’écrivain adulé, pour lequel les portes des éditeurs s’ouvrent sans avoir besoin de frapper. Et puis, plus tard, la fêlure... le besoin d’être seul. Une overdose de relations humaines ayant conduit à un trop-plein décisif. Une dépression... qui alourdit chaque geste et rend tout pénible (« le moindre geste, de la brosse à dents du matin jusqu’au dîner avec un ami, m‘était devenu pénible. »). Pour réparer la fêlure, se comparer, voir la misère des autres... ce « remède recommandé », ce « baume spirituel standard » échoue, malheureusement, lamentablement. Au lieu de faire contre mauvaise fortune bon cœur, Fitzgerald ressasse les histoires de sa vie et se revoit éconduit par la jeune fille aimée pour une simple histoire d’argent. Pour se changer les idées, lorsque cela va un peu mieux, il se rend chez le coiffeur avec, dans la poche, « un tube de lotion, pour que le coiffeur lui en mette » (peut-être de la brillantine ?) « ainsi qu’un petit flacon de Luminol »… parce que le « névrosé » reste névrosé jusque chez le coiffeur !

Fitzgerald, un névrosé bien coiffé

Première sortie après une longue période de blues, direction un salon de coiffure « plein de lumière et de parfums ». Le coiffeur qui s’occupe habituellement de lui est malade ; il souffre d’arthrite. Il ne reste plus qu’à faire confiance à son second et à expliquer le mode d’emploi de sa lotion fétiche (celle qui reste toujours dans sa poche !). Quel bonheur, après toutes ces semaines d’isolement, de « sentir des doigts vigoureux lui masser le cuir chevelu » lors d’un shampooing mémorable ; ce simple contact physique constitue la madeleine de Proust de l’écrivain addict des salons de coiffure. L’odeur de la lotion mêlée au massage capillaire emmène Fitzgerald sur les chemins de la mémoire. « Un agréable mélange de tous les coiffeurs qu’il avait connus lui revenait à la mémoire. » L’occasion de se souvenir aussi, au milieu des coupe-choux, des gels coiffants et des blaireaux, dégoulinants de crème à raser, d’une nouvelle inspirée par un coiffeur. Un pari en bourse effectué sur le conseil d’un client, des gains monstrueux, un coiffeur heureux qui dilapide sa fortune... « L’ascension rapide d’un coiffeur et sa chute » !

La fêlure, en bref

Lorsque l’on n’arrive pas à vivre une vie formidable, autant la recréer, l’inventer, l’apprivoiser sur le papier. « Quand on n’est pas fichu de faire ce qu’il faut quand il faut, autant pouvoir se rabattre sur un récit de la chose, vu qu’on éprouve la même intensité à le composer, une façon, si vous voulez, de faire face à la réalité par la porte de service. » Une vie de forçat à peiner avec les mots du dictionnaire en bandoulière, en lieu et place du boulet à la cheville. La vie d’un écrivain n’est pas un long fleuve tranquille nous dit Fitzgerald en consultant l’album-photos de son existence. Tout est là dans cet album... depuis les émois capillaires jusqu’au mésusage cosmétique.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, qui nous dit aujourd'hui, « c'est qui Gatsby ? hein, c'est qui ? »

Bibliographie

1 Fitzgerald F., La fêlure, Folio, 2020, 217 pages

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