Nos regards
Et si l’on se glissait dans la salle de bains de Napoléon

> 08 juillet 2018

Et si l’on se glissait dans la salle de  bains de Napoléon

Tel Rémy caché dans la toque du cuisinier Alfredo Linguini, Constant nous propose de vivre, au jour le jour, dans l’ombre de Napoléon Bonaparte. Dans ses « Mémoires intimes », nous croisons Charles Sulmetter, premier espion de l’empereur, à la belle réputation et à l’organe « terrible ». Nous surprenons Napoléon en train de tricher, par trois fois, lors d’une partie d’échecs avec le célèbre automate mis au point par Monsieur Maezel. Nous découvrons les secrets de Napoléon en matière d’hygiène et d’habitudes cosmétiques, et c’est cela qui nous intéresse le plus, bien entendu.

Nous allons pouvoir nous glisser dans le célèbre bicorne (tiens, on y trouve de la ouate !), dans le madras qui protège les cheveux de l’eau du bain (tiens, c’est dans cet appareil que Napoléon se rend chez sa femme), dans la poche de costume (tiens, Napoléon est réglissophile)... Constant nous emmène partout, sans aucun tabou ! Apprêtons-nous à dormir dans un bon lit au palais, enroulés dans une « peau d’ours » ou enfouis sous « une botte de paille », lors des campagnes militaires, comme notre guide. Ne nous étonnons pas si Napoléon nous tire les oreilles ou nous frappe les joues... c’est signe qu’il nous a « à la bonne ». Surtout, hâtons-nous... L’empereur a horreur d’attendre. « Partout, en voyage comme en campagne, sa table, son café, son lit et son bain même, pouvaient être préparés en 5 minutes. »

L’on sait très peu de choses sur Constant... D’abord au service d’Eugène de Beauharnais, puis de Joséphine, Constant avance pas à pas jusqu’à toucher le soleil !

Grâce à Constant, on assiste à la chute de Joséphine depuis un balcon de Plombières

On voit tout le monde s’afférer autour d’elle et on assiste à cette scène curieuse qui consiste à tuer un mouton pour en retirer la peau qui servira de pansement XXL à la belle créole. On le voit jouer au billard avec son auguste patronne et la laisser gagner, par galanterie. On découvre un Napoléon intrépide qui prend les rênes de la voiture lors d’une balade et fait verser ses occupants dans le fossé. « Pourtant, quoi qu’il eût été rudement froissé, il ne voulut point être saigné, et se contenta de quelques frictions d’eau de Cologne, son remède favori. 

Grâce à Constant, on apprend que Napoléon a « la tête fort délicate »

Il n’apprécie pas « les chapeaux neufs » et conserve longtemps ses couvre-chefs. Constant, aux petits soins pour son maître, se charge de les briser en les portant quelques jours... Il y place également des petits coussinets en coton pour un plus grand confort. Pour les chaussures, c’est Joseph, un garçon de garde-robe, qui a l’honneur d’assouplir les croquenots impériaux, pointure adapté oblige.

Grâce à Constant, on se faufile dans les couloirs des palais impériaux

On y surprend de drôles de fantômes qui se déplacent la nuit. Après avoir fait, bourgeoisement, lit commun avec son épouse, Napoléon prend la décision de faire appartement à part ; on peut alors le croiser à Saint-Cloud ou dans une autre demeure, « en robe de chambre et coiffé d’un madras », arpenter les couloirs, à la lueur d’un candélabre. Ce madras ne le quitte pas de la nuit.

Grâce à Constant, on est capable, encore de nos jours, de retracer le plus fidèlement possible les étapes de la toilette impériale

Sa toilette est toujours soignée. Celle qu’il réalise avant de rencontrer Marie-Louise pour la première fois est encore plus minutieuse (« avec une recherche de propreté plus exquise encore »). Constant insiste tout particulièrement sur le rasage. Plusieurs valets de chambre se succèdent à ce poste. Ne soyez pas timide, si vous devez raser l’empereur. Celui-ci a horreur des hommes mous et indécis. « Prends bien garde à toi, drôle, si tu me coupes, je te fourre mes ciseaux dans le ventre. » Pas de panique, c’est de l’humour. Peut-être… mais mieux vaut s’entraîner un peu si l’on souhaite donner toute satisfaction. Constant s’est ainsi fait donner des leçons par un perruquier parisien, un dénommé Michalon (rue Feydeau), pour acquérir la dextérité voulue. Son apprentissage achevé et quelques mentons balafrés plus tard, Constant est fin prêt. « J’apprête l’eau chaude et la savonnette, j’ouvre hardiment un rasoir, et je commence l’opération. » Attention, ce travail demande une grande concentration car pendant « la cérémonie de la barbe, il parlait souvent, lisait les journaux, s’agitait sur sa chaise, se retournait brusquement, et j’étais obligé d’user de la plus grande précaution pour ne point le blesser. » Il faut également savoir que Napoléon aime se faire raser hémiface, par hémiface. C’est donc savonné du côté gauche ou du côté droit que vous pourrez l’apercevoir en entrebâillant la porte. Il arrive même que l’homme pressé oublie qu’il n’est rasé que d’un côté. Voyant son maître dépendant de ses valets de chambre, Constant n’a de cesse d’apprendre à celui-ci à se raser lui-même. Le maître, enfin convaincu, se mue en un élève indocile. Il ne sait pas tenir son rasoir, s’entaille... mais, finit quand même par y arriver. Si sa méthode n’est guère académique (« Il se rase de haut en bas et non de bas en haut comme tout le monde. »), elle s’avère efficace, tout de même. Lavage du visage et des mains, brossage des dents avec « une brosse trempée dans de l’opiat », après curage à l’aide d’un cure-dents en buis, soin des ongles, gommage réalisé en « frottant tout le buste avec une brosse de soie extrêmement douce », frictions d’eau de Cologne (ce qui explique la grande consommation qui en est faite), selon une habitude prise en Orient, habillage de pied en cap (« l’empereur se faisait habiller de la tête au pied » « comme un enfant »). Il ne reste plus qu’à glisser dans sa menotte un mouchoir (propre !), une tabatière (attention, l’empereur ne prise pas, il respire de loin l’odeur du tabac) et « une petite boîte en écaille remplie de réglisse anisé coupé très fin ». Si Napoléon a une « répugnance invincible pour tous les médicaments », il a, en revanche, une foi totale dans les propriétés curatives de l’eau de Cologne. On connaît le goût de l’empereur pour les jeunes filles. On rapporte que l’une d’elle âgée de 15 à 16 ans est amenée à l’empereur, « parée d’une manière éblouissante, et parfumée de tous les parfums imaginables. Elle ne sait pas, pour son malheur, que Napoléon est sensible aux parfums. Alors qu’elle vient à peine d’être introduite dans la chambre de Napoléon, Constant est appelé à l’aide. « [...] emmenez-moi cette petite ! Elle me fera mourir avec ses odeurs : cela n’est pas supportable. Ouvrez toutes les fenêtres, les portes... mais surtout emmenez-la ! Dépêchez-vous. » Comme contrepoison, Napoléon se frotte « les tempes avec de l’eau de Cologne » comme on peut bien l’imaginer.

Grâce à Constant, on découvre Napoléon dans son bain, en train de se faire lire son courrier ou les journaux

Il dicte également des lettres, à toute allure et sans jamais se répéter. Sur la tête, le fameux madras est solidement noué. Comme l’empereur s’agite dans son bain, le madras est bien souvent mouillé et doit être changé pour la suite de la toilette. « Jour et nuit on tenait de l’eau chaude pour son bain ; car souvent à toute heure de la nuit comme de la journée, il lui prenait fantaisie d’en prendre un. » Le bain est pratiqué à des fins hygiéniques, mais également à des fins apaisantes. C’est donc dans un bain que Napoléon se débarasse de son anxiété, en attendant la naissance de son fils. C’est donc en robe de chambre qu’il court embrasser sa femme et le roi de Rome.

Grâce à Constant, on s’amuse de la colère de l’empereur, lorsqu’il découvre sa nouvelle salle de bains au château de Rambouillet

« L’architecte avait fait peindre différents portraits de famille sur les murs de la salle. » Prendre un bain sous les yeux de Madame-Mère, de Mesdames les princesses ses sœurs et devant la reine Hortense lui paraît de la dernière indécence... Il ne reste plus qu’à tout effacer !

Grâce à Constant, il nous est possible de préparer le lit idéal pour accueillir, en toute simplicité, notre invité de marque

« Un sommier, deux matelas, deux traversins, un à la tête, l’autre au pied, point d’oreiller [...] » Faites brûler dans « de petites cassolettes en vermeil, tantôt du bois d’aloès, tantôt du sucre ou du vinaigre », l’ambiance olfactive sera parfaite. Si notre hôte se réveille la nuit pour travailler, prévoir du « café à la crème, du chocolat, un punch léger et doux ou une infusion de feuilles d’oranger ». Veiller à la propreté de la literie et à la fraîcheur des draps. Un caprice de Napoléon n’est pas impossible. Rappelons l’aventure survenue par la faute d’un certain Monsieur de Talleyrand. Resté fort tard à Saint-Cloud pour travailler avec l’empereur, celui-ci est prié de rester à dormir. L’excuse qu’il invoque pour s’esquiver est le fait que « les lits ont une odeur désagréable ». Le soir même, Napoléon, se plaint de l’odeur de son lit. Tout le personnel défile et renifle le lit en question. Aucune odeur ! Napoléon s’obstine et réclame un autre lit. On échange alors le lit des Tuileries et celui de Saint-Cloud. Ouf... Un détail, tout de même, lorsque Napoléon retrouva ce lit un peu plus tard aux Tuileries, il ne remarqua rien... aucune odeur ! Cette scène du lit qui ne pue... plus est digne d’un gag de la 7e compagnie !

Grâce à Constant, nous connaissons désormais un Napoléon intime qui, malgré ses travers, arrive à nous séduire malgré tout

Cachées dans les bagages de son valet de chambre, nous avons pu suivre l’empereur durant les beaux jours, mais aussi les mauvais. Du chef militaire qui galvanise ses « vieilles moustaches », à l’empereur presque déchu qui se déchire la cuisse avec ses ongles, aucun détail ne nous échappe.

Si, vous aussi, vous voulez poser vos pieds sur la descente de lit de l’empereur ou sur son tapis de bain n’hésitez pas à vous enfouir dans les pavés rédigés par Constant (Mémoires intimes de Napoléon Ier par Constant son valet de chambre, Tome I, Mercure de France, 2002, 683 pages ; Tome II, 2007, 756 pages). Cela promet quelques belles nuits blanches !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, qui, lui aussi, a pu pénétrer discrètement, dans la salle de bains de Napoléon, juste le temps de lui tirer le portrait...

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