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Et dans la série « Les romances de l’été » : Shampooings et savons, une belle histoire d’amour !

> 12 août 2017

Et dans la série « Les romances de l’été » : Shampooings et savons, une belle histoire d’amour ! Les shampooings secs étaient en quelque sorte connus des populations vivant durant la Haute Antiquité : une argile est alors utilisée à des fins d’hygiène ; les shampooings liquides voient le jour à partir du moment où la production du savon « s’industrialise » (c’est-à-dire à partir du Ier siècle de notre ère…). Les formes galéniques varient en fonction des époques, le résultat attendu est le même : on cherche à éliminer par un moyen physique (à l’aide d’une argile) ou par un moyen physico-chimique (émulsification des corps gras, grâce à un savon) toutes les impuretés présentes à la surface du cuir chevelu et du cheveu (Cerbelaud R. - Formulaire de parfumerie - 1933 – 764 p). Ces impuretés sont nombreuses car si la pollution industrielle n’existe pas encore à l’échelle que l’on connait aujourd’hui, la pollution par des ingrédients cosmétiques existe d’ores et déjà belle et bien. Les huiles parfumées, les cônes de parfum placés au niveau de la chevelure constituent autant de résidus qu’il faudra s’employer à faire disparaître si l’on souhaite conserver un aspect présentable.

Chez les Romains, la déesse de la beauté et de l’amour, Vénus est parfois représentée sous l’aspect d’une femme, à sa toilette, en train de se peigner. Cette représentation avait pour but de protéger les femmes qui l’imploraient afin de ne pas perdre leurs cheveux. De nos jours, en arpentant la petite cité d’Herculanum, restée figée au Ier siècle de notre ère, on pourra observer une représentation d’une telle Vénus sculptée dans la pierre d’une fontaine. En se penchant, l’on pourra observer celle que les guides nomment « la Vénus au shampooing ». Si Vénus se peigne pour le Dr James, elle se lave les cheveux pour les conférenciers qui arpentent le site (cette version est en accord avec le fait que Vénus est représentée au niveau d’un point d’eau !). Quelle que soit l’interprétation du geste réalisé par la déesse de la beauté, il apparaît que celle-ci était vénérée par les femmes qui ne manquaient pas de venir, quotidiennement, puiser de l’eau ou tout simplement admirer leur reflet dans l’eau de la vasque. Le bain est comme on le sait, un acte très apprécié des Romains. « Notre Romaine restera, selon l’usage, environ une demi-heure au bain. » Un shampooing sera nécessaire pour révéler « l’éclat et la netteté de la chevelure ». Celui-ci est réalisé, le plus souvent, avec un savon (il est d’ailleurs fabriqué dans la cité voisine de Pompéi). Elle se fera ensuite peigner, boucler, parfumer les cheveux par des esclaves expérimentées (James C.- Toilette d’une Romaine au temps d’Auguste et cosmétiques d’une Parisienne au XIXe siècle - Hachette - 1865 - 285 p).

Pendant longtemps, le savon a été à la fois un cosmétique à part entière (pain solide ou plus ou moins mou obtenu en faisant réagir de la cendre de hêtre, puis par la suite une base forte, sur un corps gras d’origine végétale ou animale, permettant de laver le corps, les cheveux, mais également plus largement les vêtements, les sols...) et un ingrédient cosmétique permettant la réalisation de dentifrices, de shampooings...

Si les savons de l’Antiquité étaient de qualité douteuse, ceux du XIXe siècle, même s’ils se sont améliorés ne sont pas tous de qualité optimale. Le Dr James, qui s’intéresse aux cosmétiques commercialisés à son époque, entre en guerre contre les savons qui cachent leur causticité sous des abords marketing pleins de promesses. Les savons à la mauve, à la guimauve, à la laitue... semblent bien anodins. Pourtant, il n’en est rien. « Ne semble-t-il pas que ces savons devraient recevoir du végétal qui leur abandonne ainsi ses sucs, quelques-unes de ses qualités les plus essentielles ? Cela serait vrai si ces sucs y existaient réellement, ou du moins s’y trouvaient en proportion quelque peu respectable ; mais presque toujours, au contraire, ce sont autant de mythes, absolument comme le miel dont le nom figure de même sur des savons qui n’en renferment pas un atome. » C’est curieux comme cela fait écho à des situations du XXe et du XXIe siècles…

René Cerbelaud dans son « Formulaire de parfumerie » distingue trois catégories de shampooings : les shampooings secs insolubles constitués de diverses poudres (amidon de riz, borate de soude, poudre d’iris, argile, bicarbonate de soude...), les shampooings secs solubles dans l’eau constitués de savon que l’on solubilisera dans de l’eau au moment de l’emploi et les shampooings liquides composés de savon et d’eau.

L’utilisation de shampooings aqueux n’est pas au goût de tout le monde. Le Dr Monin, dans son recueil « Hygiène de la beauté », y voit « une bien mauvaise pratique pour la tête ». Les ablutions savonneuses (ou non) viendraient à bout des capillaires les plus résistants. C’est chiffres à l’appui que le médecin soucieux de la beauté de ses contemporains met en garde ceux-ci. « Sur 100 alopéciques, 85 usaient depuis leur jeunesse des ablutions aqueuses, et parmi ceux qui avaient gardé, jusque dans un âge avancé, une chevelure bien fournie, 8 seulement sur 100 avaient cette habitude. » Il faut reconnaître que les formules proposées par le Dr Monin ne sont pas d’une douceur extrême comme en témoignent les substances énumérées ci-après : eau de Cologne et bichlorure de bismuth, alcool absolu, huile de pied de bœuf et teinture de benjoin, eau distillée de goudron et ammoniaque liquide. Les ingrédients utilisés ne sont sûrement pas des plus doux et, dans ces conditions, mieux vaut certainement s’abstenir.

Dans les années 1940, Traveller (Pour le parfumeur amateur ou professionnel, Dunod, 1937) définit les shampooings comme « des sortes de savons liquides - ou de substituts pouvant agir comme émulsifs et aphrogènes - destinés au nettoyage du cuir chevelu et des cheveux. Industriellement, les shampooings sont à base de savons de potasse préparés par exemple en chauffant 50 kg d’huile de coco, 50 kg d’huile de palme décolorée, 52 à 55 kg de lessive de potasse 50° Baumé et 30 kg d’eau. La saponification se fait à 50°C ». Le savon obtenu est ensuite incorporé à un mélange de sucre (100 kg), de potasse (10 kg), de chlorure de potassium (10 kg) et d’eau (500 L). » « On laisse reposer, on décante, on parfume. » Le parfumage peut se faire avec un mélange d’ionone, d’héliotropine, de néroline et de musc.

Dix ans plus tôt, dans les années 1930, le chimiste Eugène Schueller, en bon spécialiste du cheveu, vient secouer le milieu sclérosé des solutions nettoyantes pour cheveux. Balayant d’un revers de main plus de 2000 ans d’histoire, il propose les premiers shampooings sans savon. Une grande première ! Les publicités ne se font pas faute de le mentionner. On peut dire qu’il s’agit des ancêtres de nos messages marketing actuels pour produits bio qui revendiquent l’absence de certains ingrédients présentés comme particulièrement dangereux, à savoir les parabens, les PEG... Le savon est remplacé par un tensioactif de synthèse. Les shampooings Platinosel (1931), Dopal (1933) et Dop (1934) voient le jour. Le tensioactif en question est un alcool gras sulfaté : le lauryl sulfate de sodium. Synthétisé depuis 1836, il n’attendait plus qu’une application cosmétique (C. Couteau & L. Coiffard, Beauté mon beau souci - Une histoire de la beauté et des cosmétiques, Edilivre, 2015, 285 pages).

Si les shampooings sans savon sont nés, ils n’ont pas, pour autant, conquis, d’un seul coup, l’ensemble de la population qui restera longtemps fidèle au savon. Les pro-savons et les anti-savons s’affrontent par ouvrage interposés.

« L’encyclopédie de la femme » (Ed. Nathan, 1950, 298 p) met en garde contre les shampooings alcalins qui sont des « dissolvants des cheveux ». « Les produits alcalins nettoient le mieux », mais ils sont agressifs. « Un lavage au savon neutre ne fera jamais de mal aux cheveux ». Enfin, « le shampooing idéal, qui nettoie sans abîmer et nourrit au contraire le cheveu, consiste à battre deux jaunes d’œufs en omelette, et à s’en servir comme d’un savon liquide. »

En 1949, la journaliste Marcelle Auclair met également à l’honneur le shampooing aux œufs. Toutefois, une formule à base de savon noir, de glycérine, d’alcool à 90°, d’eau distillée, d’essence de lavande et de girofle est également présentée comme « une excellente recette de shampooing liquide » (La beauté de A à Z, S.E.P.E, 1949, 393p).

En 2017, les shampooings sont majoritairement composés de lauryléthersulfate de sodium (INCI : sodium laureth sulfate). Bétaïnes, esters de sucres… viennent remplacer ce dernier dans les shampooings doux (pas tous !). Savons et laurylsulfate de sodium ont, quant à eux, quasiment disparu des formules actuellement disponibles dans le commerce. Seules quelques sociétés continuent à utiliser le laurylsulfate de sodium ou d’ammonium pour confectionner leurs bases lavantes ; quelques blogueuses paniquées par les tensioactifs de synthèse s’amusent encore à confectionner des shampooings maison à base de savon. Louizzette et les autres nous proposent, ainsi, des recettes qu’il conviendra d’éviter soigneusement (http://les-recettes-de-louizzette.over-blog.com/2015/11/savon-trois-en-un-a-la-guimauve.html).

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