Nos regards
Et à propos de la cantatrice...

> 02 février 2020

Et à propos de la cantatrice...

Elle est irrémédiablement chauve1 et rien n’y fait... ni les shampooings fortifiants, ni les ampoules stimulantes, ni les massages capillaires, ni les œufs sur le plat, ni le chat grimpé au sommet du sapin, ni même la grève des transports... Non, rien de rien ! Rien ne peut faire pousser un cheveu qui n’est pas décidé à sortir de son bulbe ! Bulbe, toi-même. Ni les médicaments, ni les cosmétiques, ni les compléments alimentaires ne peuvent redonner le sourire à une diva qui divague plus que de raison et a certainement un cheveu sur la langue.

Chez Ionesco, la cantatrice chauve « se coiffe toujours de la même façon », si l’on en croit les informations de Mme Smith. A force de côtoyer les Smith, les Martin, la bonne Mary (ou Mary, la bonne !) et le pompier de service, on en devient, très vite, zinzin. Cherchez pas docteur, c’est le cerveau, le cerveau lent à moins, que ce ne soit le cervelas, là là...

Et que penser du dialogue de Mme et M. Smith ? « Les hommes sont tous pareils ! Vous restez là, toute la journée, la cigarette à la bouche ou bien vous mettez de la poudre et vous fardez vos lèvres, cinquante fois par jour, si vous n’êtes pas en train de boire sans arrêt. » Réponse : « Mais qu’est-ce que tu dirais si tu voyais les hommes faire comme les femmes, fumer toute la journée, se poudrer, se mettre du rouge aux lèvres, boire du whisky. »

Du rouge à lèvres, 50 fois par jour ! Bel exemple de mésusage. Et pourquoi pas du mascara sous les bras, du déodorant entre les dents, du fond de teint à plein le système endocrinien, de l’autobronzant sous les pieds et des pieds de crème teintée sur les mains, du shampooing dans tous les coins, un gel gommant pour effacer les fotes (!) de goût, de l’eye-liner pour souligner tous les défauts, un peu de dépilatoire sur la poire... On pourrait continuer longtemps, si on avait le temps !

Ce qui est bien chez Ionesco, c’est qu’on prend le pli facilement. Ah Ah Ah, Monsieur l’écrivain. Vous n’êtes pas le seul à pouvoir écrire comme ça vient.

Dans le domaine cosmétique, on vous a sûrement lu et relu, mon très cher Eugène. C’est pourquoi, on fabrique des savons censés être sans savon, mais contenant quand même du savon, des huiles lavantes sans un brin d’huile, mais jaunes comme de l’huile et vendues au prix de l’huile et pas au prix de l’eau (oh oh), des eaux de teint, sans une goutte d’eau, mais qui font le teint beau, des produits solaires qui affichent un SPF de 50 et qui décollent pas de 6 ou 7, voire 10 unités... On trouve, aussi, des gens très très très sérieux qui veulent sauver la planète en vendant des tonnes de shampooings - des shampooings pour poissons, des shampooings pour océans, des shampooings pour cantatrice chauve... On trouve, enfin, des gens très très très bienveillants qui ont plein de bonnes idées et qui vendent des cosmétiques, très ordinaires, à prix extraordinaire.

Non, non, Eugène, le monde cosmétique n’est absolument pas absurde. Change de lunettes et tu verras plus clair !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette évocation, en image d'Eugène Ionesco !

Bibliographie

1 Ionesco E. La cantatrice chauve, Folio, Gallimard, 1975, 81 pages

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