Nos regards
Espions, paraffine et cosmétiques à gogo !

> 15 mai 2021

Espions, paraffine et cosmétiques à gogo !

Dans Destination inconnue,1 Agatha Christie met le cap sur un repère bien inquiétant. Il y a de l’espionnage là-dessous. Le colonel Wharton et son adjoint Jessop sont sur la piste d’un chercheur qui a disparu mystérieusement. Thomas Betterton, le spécialiste de la « fission ZE », s’est évaporé dans la nature. Ne serait-il pas passé derrière le rideau de fer ? Mrs Olive Betterton, son épouse, est mise sur le grill, afin de savoir où se cache le chercheur d’exception. Rien n’y fait. Olive est une tombe ! Pourtant, lorsqu’elle demande la permission d’aller se reposer au Maroc... le doute ne subsiste plus. Olive est de mèche avec son mari. En la suivant, on aboutira forcément à Thomas ! De Casablanca à Fez, puis à Marrakech, Agatha nous conduit jusque dans une léproserie du Haut-Atlas !

Olive Betterton, une rousse flamboyante qui ignore les cosmétiques

Olive Betterton est reconnaissable à sa « magnifique chevelure d’un brun-roux, d’une splendeur flamboyante ». Convoquée par le colonel Wharton, elle arrive non maquillée, le visage ravagé d’inquiétude. Cette « absence de fard » paraît suspect aux yeux de Jessop, qui y voit une manœuvre cosmétique retors. « Une femme vraiment malheureuse et inquiète ne néglige pas son maquillage. Elle le soigne au contraire parce qu’elle sait que le chagrin enlaidit. » Conclusion : si Olive fait exprès de ne pas se maquiller, c’est pour pouvoir jouer la comédie de « l’épouse affolée par la douleur » !

Hilary Craven, une rousse flamboyante candidate au suicide, sauvée in extremis par un fan de dentifrices

Hilary Craven a quitté son mari Nigel, suite au décès de sa fille Brenda. Désormais, l’avenir est sombre, sans espoir. Il ne lui reste plus qu’à avaler une dose massive de somnifère. Encore faut-il s’en procurer et aller de pharmacie en pharmacie glaner un nombre suffisant de comprimés. Dans chaque officine, la jeune femme croise un jeune homme en quête de « tube de pâte dentifrice ». « Elle eut un petit pincement au cœur, quand, brusquement, elle s’avisa que la pâte dentifrice que ce monsieur avait demandée était la marque préférée de Nigel. » Cette marque semble inconnue à Casablanca. Ce jeune homme soucieux de son hygiène bucco-dentaire n’est autre que Jessop. « Les magnifiques cheveux roux » d’Hilary lui ont tapé dans l’œil. Puisqu’Olive est décédée dans l’accident d’avion qui la menait à Casablanca, Hilary va prendre sa place. En deux temps trois mouvements, Hilary est formée au métier d’espionne. Un chirurgien se charge même de lui créer d’authentiques cicatrices au niveau du visage. Plus aucune envie de suicide, l’envie désormais de vivre une aventure palpitante. La mort est d’ailleurs peut-être au bout du chemin ? Une touche de rouge à lèvres sur les lèvres avant de partir (Hilary « toucha ses lèvres de son bâton de rouge ») et Hilary est prête à se muer en Olive ! Prochaine étape : Fez !

Hilary Craven, une rousse incandescente qui atterrit dans une léproserie très bien achalandée en cosmétiques

A Fez, Hilary reçoit des instructions dans les toilettes d’un salon de thé. Henri Laurier lui intime l’ordre de quitter Fez pour Marrakech. Chaperonnée par une certaine Mrs Baker, Hilary se retrouve dans un avion pour Marrakech. Les chercheurs qui l’accompagnent sont visiblement prêts à trahir leur patrie. Le Dr Baron, par exemple, n’a qu’une idée en tête, se mettre à la recherche d’une « bombe, pas plus grosse qu’un flacon de parfum ultra-puissante ». Après un voyage harassant, l’ensemble de la troupe aboutit dans un hôpital, perdu au milieu du désert. Sous couvert de léproserie, le centre de recherche le mieux équipé du monde qui s’y cache est bien étrange. Nul ne sort de cet endroit. Les femmes y trouvent tout ce qu’il faut pour se faire belles. « Robes, crèmes de beauté, parfums », rien ne manque. Melle Laroche est la star du relooking ; elle aide chaque nouvelle pensionnaire à choisir les modèles qui lui conviennent le mieux. Au « département parfumerie », une jeune femme noire, tout de blanc vêtue, établit un conseil esthétique ; « poudres, crèmes, lotions et accessoires de toilette » sont fournis avec le sourire. Un vrai paradis pour toute femme coquette !

Des comparses avec des cheveux de toutes les couleurs

A l’hôtel Saint Louis de Casablanca, les touristes ont les cheveux en vacances. Mrs Calvin Baker possède des « cheveux d’un joli bleu », des « cheveux teints de la veille ». Melle Jeanne Maricot est visiblement une « fausse blonde », « bien maquillée ». Miss Hetherington est coiffée à la diable. Une « blonde suédoise », surmaquillée abuse d’un rouge à lèvre très pâle. Elle en remet sans arrêt, sans réelle nécessité, puisque ses lèvres sont toujours « parfaitement dessinées ». Une rouge à lèvres addict, en somme…

Et puis, un fou furieux qui collectionne les cerveaux

A la tête de la léproserie, il y a M. Aristidès, un vieil homme richissime, au teint « jaune » citron. Cet amateur de jeunes femmes, aux « cheveux de feu », a décidé de réunir, en un point précis de la terre, tout ce que le monde compte de cerveaux. Dans des laboratoires ultra-perfectionnés, il leur laisse toute liberté, dans l’espoir de voir naître, dans leurs creusets, des bombes terrifiantes ou des molécules révolutionnaires. Seul bémol : une fois ici, l’on en sort plus !

Et une espionne qui joue les petits Poucet

Afin que Jessop puisse suivre sa trace, Hilary a semé tout le long de son parcours les perles de son collier.

Et un espion qui n’a pas peur de la paraffine

Andrew Peters, un agent infiltré, est là, dans l’ombre, pour protéger Hilary. Grâce à des injections de paraffine, il a réussi à modifier son apparence !

Destination inconnue, en bref

Dans cette aventure qui fourmille d’espions, Agatha Christie a réussi à redonner l’envie de vivre à une femme au bord du suicide. Thomas Betterton est effectivement retrouvé dans le centre de recherche de M. Aristidès. Tout comme Andrew Peters, il a eu recours à la chirurgie esthétique pour changer son physique. « Sur l’avant-bras droit une cicatrice en forme de Z » permet, toutefois, de le reconnaître. Concernant cet homme, il reste encore bien des choses à découvrir... comme elles n’ont rien de cosmétiques, on n’en dira pas plus aujourd’hui !

Merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du jour !

Bibliographie

1  Christie A. Destination inconnue, Le livre de poche, 1990, 222 pages

Retour aux regards