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Epictète ou « l’attirail » cosmétique indispensable

> 03 décembre 2017

Epictète ou « l’attirail » cosmétique indispensable Si Epictète (vers 50 - 120) n’a pas rédigé de traité philosophique, il n’en reste pas moins célèbre, grâce à l’un de ses disciples, nommé Arrien, qui a recueilli précieusement ses paroles (Epictète - Manuel suivi des entretiens rassemblés par Arrien, Librio, 2014, 77 pages).

Se redire chaque matin en se levant « Ne demande pas que ce qui arrive arrive selon tes désirs mais désire que les choses arrivent et tu seras heureux » permet de voir se profiler la fin de journée en toute sérénité. Ne pas courir « à droite et à gauche sourd et aveugle » constitue également une parole pleine de bon sens pour qui veut marcher vite et droit.

Pour ce philosophe, la vie n’est pas un long fleuve tranquille, mais bien un long festin paisible, composé de plats (plus ou moins bons !) qui circulent (plus ou moins vite) devant les convives... Surtout ne pas montrer d’impatience ! Se servir avec modération, sans étendre le bras, ni retenir le plat.

Ne nous leurrons pas, Epictète n’est pas un représentant pour marques de cosmétiques. Celui qui a « soin de son corps » « d’une façon honteuse » et qui porte « des habits de débauché » n’est pas seulement digne d’entendre les paroles du philosophe. Pour devenir son élève, il est conseillé de prendre soin de son aspect, sans toutefois tomber dans l’excès.

Le luxe, le goût immodéré des biens matériels sont condamnés sans appel. Epictète s’étonne des hommes qui sont esclaves de leur argent, de leur cuisinier et de ses sauces, de leur serviteur qui les dorlote au bain comme s’ils étaient des nourrissons. « Tu veux pouvoir aux bains te dépouiller, t’étendre à la façon de ceux qu’on met en croix, puis te faire frotter et de ci et de là ; tu veux que le maître-baigneur, qui préside à l’opération, dise ensuite : Passe ici ; montre-nous le flanc ; prends-lui la tête ; présente ton épaule [...] » Qui est l’esclave de qui dans ces conditions ?

Les conseils cosmétiques sont centrés sur la notion de propreté. Propreté morale, apprendre à raisonner, se faire des opinions justes, et propreté physique, sont indispensables. « Les dieux, par leur nature, sont purs et sans tache. » L’Homme doit faire le nécessaire pour nettoyer son âme et son corps. Arrien y revient par deux fois : « Souviens-toi que quand ton compagnon est sale, tu ne peux pas te frotter à lui sans te salir, quelque propre que tu sois toi-même. » et « Il faut se rappeler qu’on ne saurait se frotter à un individu barbouillé de suie, sans attraper soi-même de la suie [...] ». Le meilleur moyen d’éviter de critiquer stérilement son semblable est de se tenir éloigné des esprits chagrins qui voient plus facilement la paille dans l’œil du voisin que la poutre dans le leur. Tant que l’on n’est pas suffisamment armé pour éviter la contagion du voisin, mieux vaut ne pas s’en approcher. « Tenez-vous donc bien loin du soleil, tant que vos principes seront de cire. »

Pourquoi la toilette est-elle un acte indispensable ? « D’abord pour te conduire en homme ; puis pour ne pas incommoder ceux qui se trouvent avec toi. » Un « homme sale », « un homme qui sent », « un homme qui pue » « ressemble à une charogne ». Il perd toute humanité. Des pieds salis par la boue, un nez qui coule, un corps qui transpire... les sources de salissures sont autant externes qu’internes. La nature a livré à l’homme des « espèces de canaux » pour évacuer « les humeurs ». Il n’est raisonnable ni de « s’empester » soi-même, ni « d’empester » les autres. « C’est pour cela que nous avons l’eau, l’huile, les mains, le linge, les brosses, la soude, avec tout le reste de l’attirail pour nettoyer le corps. » En employant le terme attirail, Epictète semble vouloir déclarer la guerre à la saleté, à grand renfort de savon, un cosmétique effectivement préparé à partir d’huile et de soude... Un homme propre est un homme qui se place dans les bonnes conditions pour aborder sa leçon de philosophie.

Epictète préfère discourir avec un jeune homme qui prend soin de lui, même un peu trop, et frise ses cheveux avec soin, plutôt qu’avec un élève « sale et les cheveux en désordre ». Le premier, qui a conscience du beau, sera certainement plus ouvert à la philosophie que le second, semblable à un « pourceau » qui se plait dans la fange et se soucie fort peu d’élever ses pensées. Toutefois, Epictète se montre très dur vis-à-vis des hommes parfumés. Parlant d’un athlète qui doit choisir entre mourir et se voir couper « les parties sexuelles », Epictète applaudit à son choix qui est de mourir. C’est le choix d’un « homme qui a combattu à Olympie » et qui a passé sa vie à combattre vaillamment et non « à se faire parfumer d’odeurs chez Baton. »

Enfin, l’homme devra se méfier des jeunes filles qui, dès l’âge de quatorze ans (« Le combat n’est pas égal entre une jolie fille et un jeune apprenti philosophe [...] »), sont appelées « madame » et « commencent à se parer et mettent là toutes leurs espérances. » La parure qui leur sied le mieux est la décence... Chercher à atteindre la sagesse implique de résister aux charmes féminins. « [...] exerce-toi après cela à te passer de femmes et de friandises ». Dans un certain cas, un régime s’impose !

Epictète nous livre des réflexions pleines de bon sens et ne manquera pas de faire prendre conscience, aux uns et aux autres, adeptes ou non de la philosophie, qu’un attirail cosmétique de base est nécessaire pour qui ne vit pas retiré au milieu désert !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour ses variations sur un collage d'Henri Matisse !

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