> 04 mars 2017
L’enfleurage est un procédé de parfumerie extrêmement ancien qui « est appliqué dans le cas où la chaleur d’une distillation altérerait le parfum : les pétales de violette, de jasmin, par exemple, sont traités par ce procédé. On les laisse au contact de matières grasses qui absorbent le parfum : on épuise ensuite par l’alcool » peut-on lire dans l’ouvrage d’A. Treveller, « Pour le parfumeur amateur ou professionnel », paru aux éditions Dunod, en 1934.
Un procédé d’extraction qui convient aux fleurs délicates telles que les violettes, il n’en faut pas plus pour donner à Marcel Proust des idées de métaphores. C’est en utilisant le vocabulaire technique du parfumeur qu’il parvient à nous montrer l’importance de l’imagination dans l’idée que nous nous faisons des autres.
Les titres nobiliaires, les noms de famille, exercent chez l’écrivain une véritable fascination. Dans le premier tome d’A la recherche du temps perdu, il évoque la déception qui a été la sienne, en découvrant le visage ingrat de la Duchesse de Guermantes, qu’il avait parée, dans son imaginaire, de toutes les grâces possibles.
Le même phénomène se reproduit un peu plus loin dans son oeuvre. Cette fois-ci c’est le nom de la Princesse de Parme qui dégage, comme on peut assez facilement l’imaginer, une odeur de violettes. « Mais si j’avais depuis des années - comme un parfumeur à un bloc uni de matière grasse - fait absorber à ce nom de princesse de Parme le parfum de milliers de violettes, en revanche, dès que je vis la princesse, que j’aurais été jusque-là convaincu être au moins la Sanseverina, une seconde opération commença, laquelle ne fut, à vrai dire, parachevée que quelques mois plus tard, et qui consista, à l’aide de nouvelles malaxations chimiques, à expulser toute l’huile essentielle de violettes et tout parfum stendhalien du nom de la princesse et à y incorporer à la place l’image d’une petite femme noire, occupée d’œuvres, d’une amabilité tellement humble qu’on comprenait tout de suite dans quel orgueil altier cette amabilité prenait son origine. Du reste, pareille à quelques différences près, aux autres grandes dames, elle était aussi peu stendhalienne que, par exemple, à Paris, dans le quartier de l’Europe, la rue de Parme, qui ressemble beaucoup moins au nom de Parme qu’à toutes les rues avoisinantes, et fait moins penser à la Chartreuse où meurt Fabrice qu’à la salle des pas perdus de la gare Saint-Lazare. » (Le côté de Guermantes)