> 21 août 2021
Hum hum... terrain mouvant. Le Dr Pascal Rougon ayant élevé sa nièce Clotilde en fait sa femme après moults atermoiements.1 Dans leur maison, La Souléiade, les passions vont bon train. Pascal, qui a passé sa vie dans les livres et qui s’est adonné à la généalogie avec passion, est soudain pris d’une frénésie de mouvements. Aimer... Se prendre pour le roi David, chercher son Abisaïg, une « fille de 20 ans admirablement belle » ; rêver de bains d’huile parfumée, d’onctions lénifiantes, de cosmétiques qui embaument... Vivre à pleines dents ! Mordre dans la vie, comme dans un fruit bien juteux ! Former le couple de l’année à Plassans, « la jeunesse en fleur », au bras de la « force mûre » ! Clotilde se veut « bouquet vivant » pour celui qui tient la première place dans son cœur. « La fleur qui a poussé au pied » de Pascal pour lui plaire offre sa beauté et sa jeunesse à son tuteur. Un roman magistral et tourmenté qui donne des leçons de savoir-vivre (une vie saine à la campagne, une vie saine au contact de la nature, une vie saine dans le respect du travail accompli) à défaut de leçons de morale.
Clotilde, « une adorable jeunesse », aux cheveux blonds, possède une « fraîcheur de lait ». 25 ans, mais en paraissant tout juste 18 ! Une taille de guêpe, des « jambes longues et fuselées ». Une peau... mais une peau d’une qualité, on vous dit que ça. Pour la qualifier, on n’hésitera pas : « un lait pur », « une soie blanche, polie, d’une infinie douceur », « un satin délicat », un « visage de lait et de rose » ! Pour protéger son teint de lait, Clotilde se promène - dès le matin - une ombrelle à la main ou bien protégée par un « large chapeau de paille », agrémenté d’un bouquet de lilas. Le soleil, elle s’en méfie, mais elle l’aime tout de même. « Il faut vivre au soleil », pour être éclatante de santé. Le Dr Pascal approuve cette théorie : « Et elle a raison, vois-tu, on ne se porte bien qu’au soleil, comme les arbres. » « Heureuse de ce bain de lumière », comme une « plante en plein midi », Clotilde déborde de vitalité.
La chambre de Clotilde est « toute moite d’une bonne odeur de jeunesse ». Dans cette chambre, elle réalise des « soins de toilette minutieux », se lave « à grande eau » chaque matin, se peigne, se coiffe... met tout en ordre pour paraitre au mieux de sa forme, devant celui qu’elle appelle « mon maître » ! (Le Dr Pascal évidemment) Pascal est fasciné par « l’odeur pure et l’éclat » de la jeunesse de celle qu’il a élevée comme sa fille. « Elle avait une robe très échancrée, il la respirait toute par cette ouverture, d’où montait le bouquet vivant de la femme, l’odeur pure de sa jeunesse, chauffée au grand soleil. » Un parfum grisant. Un parfum qui s’exhale de son corps, de ses cheveux (« une odeur de violette, qu’il adorait »), de tout son être...
Pascal est un médecin de 59 ans, qui vit dans les nuages... Sa barbe et ses cheveux « de neige » forment, autour de son beau visage, une auréole nuageuse. D’une hygiène parfaite, il prend une douche chaque matin ; il en sort « raffermi et plus sain ». L’eau qui coule chasse les cauchemars de la nuit !
Depuis toujours, Pascal rêve d’une humanité « plus forte », « plus saine ». Passant la grande majorité de son temps dans son laboratoire, Pascal s’adonne à la pharmacie galénique, avec frénésie, afin de mettre au point une formule qui lui permettra de guérir ses patients. Dès qu’il entre dans sa chambre (une chambre-laboratoire), on entend le pilon faire son œuvre dans le mortier. Félicité, sa mère, parle d’une « cuisine du diable », qui entraîne Pascal à sa perte. Le médecin, qui s’intéresse à la « médecine des signatures » - « Pour guérir un organe malade, il suffisait de prendre à un mouton ou à un bœuf le même organe sain, de le faire bouillir puis d’en faire avaler le bouillon. » - est bien décidé à régénérer profondément ses malades. La source de longue et bonne vie est, à coup sûr, dans la cervelle et le cervelet de mouton. Pour en extraire les forces vives, le mortier et le pilon se sont acoquinés... Un peu d’eau distillée pour solubiliser les principes actifs, une étape de décantation-filtration et voilà une liqueur que l’on pourra tester sur le premier malade venu. Par voie orale, mélangée à du vin de Malaga, la liqueur reste sans effet. Injectée en hypodermique, en revanche, grâce à une seringue de Pravaz, elle fait merveille (la posologie idéale se situe entre 2 et 5 grammes). Une injection égale 20 ans de moins, pourrait être le slogan publicitaire de cette « panacée universelle », de cette « liqueur de vie ». Attention toutefois, à utiliser une solution parfaitement limpide, afin d’éviter l’embolie (ça c’est quand la seringue rate sa cible et rencontre une veine !). Et paf... Un jour maudit, une solution qui manque de limpidité a raison de la santé branlante du cabaretier Lafouasse, qui meurt d’une embolie. S’ensuit une période de profonde dépression. Un médecin n’est pas fait pour tuer ses patients. Pascal en tombe malade et, malgré sa foi en sa liqueur guérisseuse, refuse de se piquer... Il finit tout de même par céder et c’est la guérison prompte et rapide.
Dans la grande armoire de la salle à vivre, Pascal a réuni toute son œuvre, une sorte de thèse immense sur l’hérédité, basée sur une expérimentation familiale (celle de sa propre famille avec son lot de dégénérés de toutes sortes). Pour combattre l’hérédité, une seule solution : extraire le patient de son environnement morbide, l’extraire de son milieu familial, le transplanter dans une terre fertile, où il pourra refaire des racines et reprendre pied.
Dès lors que Pascal a ausculté son cœur et déterminé la pathologie dont il souffre : un amour fou pour Clotilde, tout va très vite. L’amour est partagé, consommé ! Pascal rajeunit au contact de la merveilleuse source de Jouvence dénommée Clotilde. Pascal « était rafraîchi, baigné de santé et d’allégresse. » Ses cheveux, sa barbe se mettent à pousser avec fougue, selon une « abondance léonine ».
Malheureusement, lorsque la ruine survient par la faute d’un notaire indélicat, le couple doit se séparer. Clotilde est envoyée à Paris au chevet de son frère Maxime. Dans la chambre de Clotilde, désormais désertée, Pascal s’enivre de la « fraîche odeur de jeunesse, restée parmi l’air comme un parfum ».
La crise d’angor n’est pas loin. Les piqûres d’eau pure (et oui, désormais, depuis l’embolie de Lafouasse, la liqueur miracle a fait place à un placébo) - « 2 fois, au moins 10 grammes » - apporte un léger mieux, très temporaire !
A 80 ans, Félicité possède encore toute la « légèreté d’une jeune fille ». La taille toujours aussi fine, Félicité aime à vivre au grand soleil (« Oh ! Le soleil, c’est un ami ! »). Le soleil divin, qu’elle retrouve tous les jours à la messe ; le soleil astral, dont elle bénéficie chaque jour de beau temps. Sa foi est grande, aussi grande que son intolérance à l’égard de ceux qui s’égarent sur les chemins de la science, sans égard pour le Créateur. Pascal est bien sûr de ceux-là.
Toujours malade, Maxime est de santé débile. 32 ans, des cheveux blancs, des rides. Une vie cloîtrée, dans un bel appartement à Paris. Un beau sujet d’étude pour le Dr Pascal, qui y voit les vices accumulés par de nombreuses générations.
Le fils de Charles est aussi (et même plus) mal en point que son père. Une « pâleur de lis », des cheveux blonds, des yeux clairs, un vrai Petit prince, à la « beauté de mort ». Des hémorragies incessantes, qui le vident de son sang, auront raison de lui.
« La chair baignée » d’alcool, « imbibée ainsi qu’une éponge » ; « L’alcool suintait de sa peau » ; l’oncle Macquart périra par l’alcool enflammé par sa pipe, sous les yeux de Félicité, ravie de voir partir en fumée la honte de la famille.
Le travail, c’est la santé, aurait pu être la devise du Dr Pascal, jusqu’à ce que son regard découvre sa nièce dans toute sa splendeur. En devenant son amant, Pascal en vient presque à regretter tout le temps perdu, le temps passé à étudier, compiler, rechercher, le temps à se voiler la face devant l’amour qui grandit dans son cœur. Pascal ne trouvera pas « la médication nouvelle ». Sa liqueur de cervelle de mouton ne fonctionne pas à 100 %. Les échecs sont nombreux. Les pistes de recherche qu’il a en tête sont pourtant intéressantes, mais le temps manque au médecin souffrant d’angor. « La suggestion, l’autorité toute-puissante du médecin pour les sens, l’électricité, les frictions, les massages pour la peau et les tendons, les régimes alimentaires pour l’estomac, les cures d’air, sur les hauts plateaux, pour les poumons ; enfin les transfusions, les piqûres d’eau distillée pour l’appareil circulatoire »... autant de pistes pour rétablir l’équilibre indispensable à la santé, qu’il faudrait, selon le Dr Pascal, explorer scientifiquement. Malheureusement pour lui, sa vieille mère Félicité et sa gouvernante, Martine, qui s’est consumée, toute sa vie, d’un amour secret et stérile, ont décidé de réaliser un autodafé de toute son œuvre. La vieille armoire fracturée livre son contenu ; les deux femmes se mettent alors à alimenter le feu avec les manuscrits rédigés durant toute une carrière !
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.
1 Zola E., Le docteur Pascal, Le livre de Poche, 1963, 501 pages
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